Connaissez-vous Zappos ? Peut-être que oui, peut-être que non. Il s’agit d’une entreprise américaine de vente en ligne de chaussures et autres accessoires de mode qui connaît un tel succès qu’elle a été acquise en 2009 par Amazon pour un milliard de dollars. Son fondateur, Tony Hsieh, est encore à sa tête, essentiellement parce qu’il trippe toujours au sein de cette boîte qui a su garder un esprit «startup» en dépit du fait qu’elle existe depuis une quinzaine d’années et qu’elle compte aujourd’hui plus de 1 500 employés.
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La priorité des priorités, chez Zappos, c’est la qualité du service à la clientèle. M. Hsieh considère en effet depuis le début que le succès d’une telle entreprise ne peut dépendre que d’une chose : l’expérience vécue par les consommateurs, sachant que les seuls contacts possibles étaient virtuels (Web et téléphone). Il a eu l’intuition qu’en se dotant d’une équipe jeune et passionnée par la vente à distance, il parviendrait à faire des étincelles.
D’où son souci constant de ne recruter que la crème de la crème. Et ce, en prenant le contre-pied des idées reçues en matière de recrutement : «La clé du succès, c’est de recruter lentement et de virer vite fait. Pourtant, la plupart des entreprises font exactement le contraire», a ainsi indiqué M. Hsieh dans son bestseller Moi, mes souliers et les leçons de mon succès (Éd. Transcontinental, 2011).
Bien. Mais une interrogation saute dès lors aux yeux : comment s’y prendre, au juste, pour s’assurer de ne recruter que les meilleurs des meilleurs ? Une question d’autant plus pertinente que M. Hsieh a noté, l’an dernier, quelque chose de vraiment inquiétant à ce sujet : le taux de rebond de la page Carrière du site Web de Zappos était en moyenne de 80%. Qu’est-ce à dire ? Que 80% des personnes qui consultaient cette page-là quittaient ensuite le site pour ne plus y revenir avant longtemps. Autrement dit, 80% des personnes disposées à travailler pour Zappos s’en allaient, déçues, n’ayant pas trouvé ce qu’elles espéraient trouver.
«Un taux de rebond de 80% pour ce type de page, c’est la norme. Mais ça ne convenait absolument pas à Tony, bien entendu», m’a expliqué Stacy Zapar, une consultante américaine en recrutement via les médias sociaux réputée être la femme la plus connectée sur LinkedIn (plus de 36 000 connexions répertoriées), à l’occasion de sa venue à l’événement Marque Employeur du Groupe Les Affaires qui s’est tenu cette semaine à Montréal. Et d’ajouter : «C’est pourquoi il m’a confié le mandat de corriger le tir».
Mme Zapar a commencé par dresser un état des lieux :
➢ En 2013, Zappos disposait d’une équipe de six recruteurs.
➢ Zappos avait reçu cette année-là 30 657 candidatures.
➢ Zappos avait alors procédé à 350 embauches.
➢ Zappos avait donc dû envoyer 30 307 lettres de rejet. Ce qui représentait une moyenne de 83 lettres de rejet par jour tout au long de l’année.
«Bref, l’équipe chargée du recrutement devait passer le plus clair de son temps à rejeter des candidats le plus poliment du monde. Et au final, l’expérience vécue par les candidats n’avait rien d’extraordinaire. Il fallait que ça change !», a-t-elle dit.
Comment ? Eh bien, en s’appuyant sur ce qui fait la particularité de Zappos, sur son ADN. «Chez Zappos, chacun est apprécié tel qu’il est. Un peu comme dans une famille, où chacun a ses propres traits de caractère et où chacun est plus qu’accepté, aimé. Il fallait par conséquent que les candidats retrouvent ça lors de leurs démarches auprès de Zappos, qu’il se sentent les bienvenus, comme faisant presque partie de la famille», a-t-elle illustré.
Du coup, Mme Zapar en est arrivée à la conclusion qu’il fallait mettre l’accent sur deux points : les valeurs de Zappos et la diversité des talents au sein de Zappos. Ce n’est pas tout. Il fallait également mettre fin au sentiment de rejet ressenti par les candidats écartés.
De ces objectifs est née une idée de génie, je ne mâche pas mes mots. Laquelle ? Supprimer l’affichage de postes ! Oui, vous avez bien lu : Zappos a décidé, au début de 2014, de ne plus afficher aucun poste. Nulle part. À commencer par son propre site Web. «Le jour où on a fait ça, ça a été un tsunami dans les médias. Tout le monde en a parlé, en pensant qu’on était tombés sur la tête : le Wall Street Journal, le Washington Post, lHarvard Business Review, etc.», m’a dit Mme Zapar, hilare.
En vérité, la stratégie était on ne peut plus subtile :
➢ La page Carrière a été remplacée par une page Programme Insider. Quiconque s’y rendait était invité à devenir un Insider de Zappos, c’est-à-dire une sorte de membre privilégié de la firme de Las Vegas. Pour ce faire, il suffisait de choisir l’équipe que l’on souhaitait intégrer (ex. : programmeurs, vendeurs à distance, etc.), puis de remplir – en deux minutes, depuis un iPad, par exemple – un formulaire sommaire permettant à Zappos de se faire une idée du profil du postulant (les données ainsi recueillies portaient sur les valeurs de la personne et sur ses compétences professionnelles).
➢ Une fois cela fait, chaque postulant au titre d’Insider se voyait remettre les coordonnées d’un des six recruteurs de Zappos (adresse de courriel, numéro de téléphone, identifiant Twitter, etc.). Et était informé que du nouveau l’attendait bientôt via les médias sociaux…
De quoi s’agissait-il ? De la création d’une page Insider sur une nouvelle plateforme numérique, au rythme d’une toutes les deux semaines. Ça a commencé par Twitter, et ont suivi, entre autres, Facebook, Instagram et Pinterest. Ces pages sont, depuis, animées quotidiennement par l’équipe de recruteurs de Zappos : à tour de rôles, chacun s’occupe d’une page pendant une semaine (Facebook, par exemple), puis passe à une autre la semaine suivante (Pinterest par exemple).
On y trouve du contenu reflétant l’état d’esprit qui règne au sein de Zappos, le fil conducteur étant que chaque employé y a, avant tout, «beaucoup de fun». Un exemple lumineux : un jour, une photo rigolote a ainsi été diffusée, montrant l’équipe de recruteurs au complet, chacun portant les habits du métier qu’il rêvait de faire lorsqu’il était enfant ! «Cette image dit tout. Elle résume les valeurs fondamentales de Zappos (quête du Wow!, authenticité, etc.). Et elle montre combien chacun s’amuse et s’épanouit au sein de Zappos», explique Mme Zapar.
Le point fort de cette nouvelle stratégie résidait, on le voit bien, dans l’originalité des contenus partagés avec les Insiders via les médias sociaux. En voici quelques illustrations :
➢ TweetChat. Chaque semaine, même jour, même heure, les employés de Zappos lâchent leur fou par l’entremise du hashtag #InsideZappos. Et ce, pendant une demi-heure intense. Chaque fois, cinq questions sont posées, auxquelles les participants sont invités à répondre. «Les échanges fusent, pour le plus grand bonheur des Insiders, qui ont ainsi la sensation de faire partie intégrante de la famille Zappos», souligne l’experte américaine.
➢ Google+ on Air. Suivant le même principe que le TweetChat, les Insiders peuvent entrer en contact vidéo avec l’équipe de Zappos grâce à Google+ on Air. Il s’agit, cette fois-ci, de s’adresser plus particulièrement aux «techies», friands de tels échanges via la vidéo.
➢ Émission Webdiffusée. Une fois par mois, une émission télévisée réalisée à l’interne permet aux Insiders de bénéficier de conseils pratiques pour décrocher un job. N’importe quel job, pas nécessairement un job chez Zappos. Cela étant, l’état d’esprit «fun» de Zappos transparaît dans chacune de ces émissions.
➢ Invitations décalées. De temps à autres, Zappos envoie des invitations ciblées à certains Insiders. Ex. : une invitation à «frissonner avec l’équipe de Zappos», en partageant dans ses locaux-mêmes une crème glacée, tous ensemble. Ce qui représente une occasion en or, tant pour Zappos que pour ces Insiders triés sur le volet, d’établir un premier contact sympathique.
➢ Appels surprises. Lorsqu’un profil d’Insider tape dans l’œil d’un des recruteurs de Zappos, il se peut qu’il lui passe un appel téléphonique, comme ça, sans prévenir, juste pour discuter. Bien entendu, l’appel n’est pas innocent : si le recruteur sent qu’il y a un fit possible avec un poste à combler, la discussion se poursuit, histoire d’en savoir davantage sur la personne concernée, le plus discrètement possible, ça va de soi.
«L’idée à travers tout ça, c’est d’établir un pipeline de talents. Un flux de profils différents et pertinents dans lequel Zappos peut puiser à sa guise, sans pour autant que ceux qui ne sont pas immédiatement retenus se sentent rejetés. Un flux toujours dynamique, grâce aux médias sociaux», souligne Mme Zapar. Et d’ajouter une anecdote amusante : «Il s’est même produit quelque chose d’inattendu : des Insiders sont entrés en contact les uns avec les autres, notamment à force de tweeter sous le même hashtag, et ont noué ensemble des liens d’amitié. Du coup, il existe aujourd’hui une communauté autonome d’Insiders. C’est-à-dire qu’il y a des gens qui se rencontrent, virtuellement et réellement, autour du seul centre d’intérêt qu’ils rêvent tous de travailler chez Zappos !»
L’opération a été lancée il y a de cela huit mois. Des résultats se font-ils déjà sentir ? Oui, bien sûr, et ils sont même éloquents :
➢ Zappos compte actuellement quelque 25 000 Insiders.
➢ Le volume des candidatures a chuté de 64%. Et ce, en raison du fait que celles qui n'étaient pas vraiment pertinentes ont fondu comme neige au soleil.
➢ La qualité des candidatures a bondi, puisqu’en 2013 seulement 6,3% des candidats avaient été reçus en entretien alors qu’actuellement cette proportion est passée – tenez-vous bien – à 21,1%.
➢ Le taux de rebond de la page Insider est maintenant de 41%. Une chute de moitié par rapport à la page Carrière qu’elle a remplacée.
Voilà. Ces chiffres parlent d’eux-mêmes, me semble-t-il. Bien utilisés, les médias sociaux peuvent faire des merveilles en matière de recrutement. La preuve en est apportée par Zappos. À vous de voir, à présent, ce dont vous pourriez vous inspirer pour, à votre tour, réussir à dénicher LA perle rare qui vous attend au détour de Facebook ou de Twitter.
En passant, la femme de lettres française Diane de Beausacq aimait à dire : «Pour se plaire, il faut se ressembler beaucoup afin de s’entendre, et différer un peu afin d’avoir à se comprendre».
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