BLOGUE. Vous est-il déjà arrivé de commettre une énorme erreur? Mais vraiment énorme? Avec de graves conséquences? Comme un spectaculaire accident de voiture, comme un oubli de rendez-vous avec un client très important, comme une trace de rouge à lèvres sur le col de la chemise, etc. Oui, j’en suis sûr. Car ça arrive à tout le monde, au moins une fois. À vous. À moi. À nous tous, sans exception.
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Et après? Telle est la question qui importe véritablement. En effet, vous êtes toujours en vie, vous avez toujours mille projets en tête, vous êtes même plus souvent heureux que malheureux. Pas vrai?
Et comment cela se fait-il? Tout bonnement parce que vous avez su rebondir après un échec. De manière intuitive. Avec plus ou moins d’efficacité, mais vous y êtes tout de même arrivé. L’être humain est ainsi fait qu’il s’adapte à nombre de situations, même les plus terribles. C’est le fameux phénomène de la résilience.
Le hic, c’est qu’il est tabou de parler de nos échecs. On en a honte. On a peur que le regard des autres change en découvrant notre face cachée. On craint d’être ostracisé. Et pourtant, quand une personne a l’humilité de nous faire part de ses bévues, nous lui en sommes immensément reconnaissants, car il partage avec nous ce qu’il y a de plus intime.
C’est justement ce qui s’est produit hier, à l’Événement Qualité 2001 du Mouvement québécois de la qualité, qui s’est tenu au Palais des Congrès de Montréal. L’intervieweur Stéphan Bureau a réussi le tour de force de faire parler cinq leaders de leurs échecs, et surtout de la façon dont ils ont su y faire face…
Ainsi, Jean Bédard, le pdg du Groupe Sportscene (La Cage aux Sports, etc.), a reconnu que la forte croissance connue par son entreprise depuis le début des années 2000 l’avait endormi. Du coup, en 2008, le choc a été rude et aurait pu déclencher un KO : «La crise nous a frappé de plein fouet, et les revenus se sont mis à dégringoler. Nous n’avions pas anticipé les changements qui s’amorçaient tranquillement, à savoir l’apparition d’une concurrence et le changement des goûts de notre clientèle, sans parler des nouveaux besoins de notre personnel», a-t-il dit.
La concurrence? Les bars qui se sont équipés d’écrans géants pour attirer les gens les soirs de match des Canadiens. Les goûts des clients? «Avant, c’était très simple, les baby-boomers commandaient toujours la même chose – deux bocks et des ailes –, les mêmes soirs de la semaine. Maintenant, les X et les Y veulent manger varié et santé, et n’ont aucune régularité dans leurs sorties», explique-t-il.
Mais surtout, le personnel a changé du tout au tout en un clin d’œil. «Avant, les employés voulaient travailler le plus d’heures possible. Aujourd’hui, les jeunes veulent travailler le moins possible et avoir des soirées de libres, pour sortir avec leurs chums ou garder les enfants. À l’un d’eux qui me disait que ça ne l’arrangeait pas de travailler le soir, j’ai dû lui dire que chez nous, c’est là qu’était le business, et qu’il n’avait qu’à s’acheter une licence chez Cora!», a-t-il raconté.
On le voit bien, M. Bédard a frappé un mur avec l’arrivée des X et des Y tant dans son clientèle que dans son personnel. Il l’a vite compris et s’est décidé à changer de mentalité pour s’adapter à cette situation «imprévue». Il a modifié les menus en fonction des nouveaux besoins des clients, notamment en s’inspirant de ce qu’il a pu trouver comme innovations en ce sens sur le Web. Il a changé sa façon de s’adresser aux jeunes recrues, en tentant de se mettre à leur place et en utilisant leurs propres modes de communication (médias sociaux, etc.). Et il a veillé à ne pas se séparer des employés de longue date, mais à plutôt leur faire comprendre la nécessité de changer, eux aussi. «Le plus difficile, c’est de faire comprendre aux autres que ce qui marchait bien dans le passé ne fonctionnera plus dans le futur», a-t-il souligné.
Doug Purdy, vice-président, qualité, de Pratt & Whitney Canada, a lui aussi connu un sérieux revers en 2008 : les ventes ont brutalement chuté de quelque 30%. Pourquoi? La récession économique, des produits qui n’étaient plus à la fine pointe de l’innovation, de nouvelles exigences de la part des clients (par exemple, des moteurs d’avion moins énergivores), etc.
Que faire? En tirer profit! La direction de Pratt & Whitney s’est retroussée les manches, en ayant en tête une idée fixe : se réinventer. «Nous savions que la crise était l’occasion de nous renforcer, et non pas d’adopter une attitude attentiste», a-t-il dit.
Deux voies ont été adoptées pour cette réinvention de soi. La première consistait à investir massivement dans la R&D, afin de mettre au point de nouveaux produits encore plus performants que ceux existants sur le marché. La seconde, à améliorer sa productivité : «Nous avons effectué plusieurs opérations de benchmarking, en particulier dans les industries pharmaceutique et automobile. Le but était de trouver des astuces applicables à notre modèle d’affaires, et cela a donné d’excellents résultats», a-t-il indiqué.
«Le cas de Pratt & Whitney met en lumière le fait qu’une crise permet de mieux se connaître. Ses forces comme ses faiblesses. Et de la nécessité de réagir à la situation à laquelle on est confronté. D’ailleurs, le mot «crise» vient du grec krisis, qui signifie «décision»…», a ajouté Laurent Lapierre, professeur, des HEC Montréal.
De son côté, Manon Pépin, vice-présidente, affaires publiques et marketing, d’Héma-Québec, a décrit comment son organisme s’est remis du scandale du sang contaminé des années 1980. À l’époque, quelque 1 200 Canadiens avaient contracté le virus du sida à la suite d’une transfusion sanguine, et c’était au Québec que le taux de contamination avait été le plus élevé. Plus personne ne voulait donner son sang, de peur que l’aiguille de la seringue ne soit contaminée. La confiance de la population était au plus bas.
Pourtant, aujourd’hui, Héma-Québec fait rêver d’envie des organismes homologues de l’étranger : avec sa moyenne de 1 000 dons par jour, il n’y a plus aucune journée de pénurie dans l’année, il y a même – chose rarissime – sept jours d’avance sur les besoins. Et Héma-Québec jouit d’une image de marque remarquable.
Comment expliquer une telle transformation? Par une stratégie on ne peut plus subtile. «Nous nous sommes dits qu’il fallait claquer notre fonctionnement sur des modèles d’affaires performants et redorer notre blason, et cela s’est fait grâce à la mise au point d’un concept révolutionnaire pour notre secteur : miser sur la collectivité», a-t-elle dit.
Miser sur la collectivité? Cela correspond à laisser les gens s’approprier les opérations d’Héma-Québec. Ainsi, les collectes de sang sont organisées à des endroits précis, par exemple dans les locaux Quebecor ou de Transcontinental, et l’événement est publicisé comme «la collecte de Quebecor» ou «la collecte de Transcontinental», et non pas comme «la collecte d’Héma-Québec». «Les employés qui nous aident à organiser l’opération sont des motivateurs incroyables, et veulent d’eux-mêmes obtenir des résultats encore meilleurs l’année suivante», a-t-elle raconté.
Ce n’est pas tout. Il a également fallu remotiver les troupes d’Héma-Québec, qui avaient naturellement accusé le coup après le scandale. «Nous les avons choyé, en modernisant les installations et en offrant un meilleur cadre de travail. Et nous leur avons rappelé combien notre cause était noble», a-t-elle expliqué.
Autre témoignage fort intéressant, celui de Philippe Simonato, le directeur de l’usine de GE Aviation à Bromont. Comme Pratt & Whitney, les activités se sont ralenties en 2008, en raison de la récession, mais aussi de la volatilité du huard (100% de la production de l’usine est exportée à l’étranger). «Les employés craignaient le pire et se demandaient, chacun de leur côté, si nous allions passer à travers la tempête», s’est-il souvenu.
Du coup, la direction de l’usine a joué la carte de la transparence. «Tous les 15 jours, on organisait des réunions avec les 550 employés pour faire le point avec eux. Nous avons aussi organisé des réunions régulières par petits groupes, des réunions très courtes, de 7 à 8 minutes. Ça a permis de rassurer les troupes», a-t-il raconté.
De surcroît, l’usine a misé sur ses forces en place, et offert une multitude de programmes de formation aux employés, histoire de les rendre le plus flexible possible dans leur travail. «C’est le meilleur moyen pour réagir vite et bien à une situation nouvelle. Et nous y sommes parvenus», a-t-il expliqué.
Enfin, Martin Gauthier, associé principal de l’agence Sid Lee, a montré à quel point l’avenir appartenait, finalement, aux mutants. Chez lui, ce ne sont pas les employés qui ont connu une transformation, ce ne sont pas non plus les activités qui ont changé. Non, ce qui a muté, c’est le marché. Oui, Sid Lee a carrément effectué une mutation de son marché, pour faire en sorte que ce soit lui qui s’adapte à la «drôle de bibitte» qu’est Sid Lee! Incroyable inversion…
«Les agences de pub, trop souvent, se contentent de répondre aux besoins des clients, et parfois même se plient à leurs exigences même si elles savent que cela ne donnera pas les résultats escomptés. Pas de ça chez Sid Lee. Nous, nous nous chicanons sans hésiter avec nos clients pour leur faire comprendre que les besoins réels de leur clientèle ne sont pas forcément ceux qu’ils imaginent. Nous leur faisons découvrir ces besoins, et les incitons à changer de stratégie», a-t-il dit.
Un exemple éclairant : la Société des alcools du Québec (SAQ). Sid Lee a découvert que l’un des problèmes, était la difficulté des clients à parler le langage des conseillers : qui sait, au juste, ce que c’est qu’un vin «ample», «anguleux» ou «agressif»? D’où l’idée de mettre des pastilles de couleurs sur les rayons pour donner des indications de base sur les bouteilles présentées en boutique. «Au départ, personne ne voulait de ça. Personne. La SAQ. Les producteurs en Italie et en France. Les conseillers. Les syndicats. Et j’en passe. Mais nous avons tenu bon, et tous ont fini par nous donner raison», a-t-il dit.
L’agence montréalaise est allée encore plus loin avec la SAQ. Elle a pris en mains le design des boutiques, dans le but de changer les habitudes des consommateurs, de les inciter à faire preuve de davantage de curiosité, au lieu de toujours aller chercher la même bouteille, au fond, à gauche. C’est bien simple, Sid Lee a métamorphosé la SAQ, alors que celle-ci n’en demandait pas tant au tout début de leur relation d’affaires.
«Nous avons un motto que nous disons à chaque nouveau client : «Innover, ou crever». Si cela ne leur plaît pas, libre à eux d’aller voir ailleurs», a-t-il souligné.
«Sid Lee a un mode de fonctionnement spécial, il faut bien le reconnaître. Elle change tout le temps, pour se fondre avec les consommateurs ciblés par son client. Elle mute, et avec elle, son client et le marché de celui-ci», a résumé M. Lapierre, des HEC Montréal.
Impressionnant, n’est-ce pas? Qu’en pensez-vous? Et comment voyez-vous votre propre futur, à travers ces différents prismes?
Le poète français Paul Éluard a dit : «On transforme sa main en la mettant dans une autre»…
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