Au travail, nous passons notre temps à être en interaction avec les autres. C’est d’ailleurs l’essence-même du travail, quand on y pense bien. Parfois, le courant passe, parfois, il ne passe pas. Et on ne sait jamais pourquoi au juste : est-ce l’autre qui ne comprend rien à rien ? Est-ce nous-mêmes qui ne sommes pas au meilleur de notre forme ? Est-ce plutôt une question d’incompatibilité de caractères ? Allez savoir…
Mais justement, ce fameux «Allez savoir» ne m’a jamais satisfait. Car il ne s’agit aucunement d’une vraie réponse ; c’est là une façon horripilante d’éviter un questionnement qui mérite pourtant toute notre attention.
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Or, je suis récemment tombé sur un livre qui a attiré mon attention à ce sujet : Boostez votre charisme (Le Figaro Management, 2010) du coach français Joël Berger. Il y est en effet question d’un concept qui m’a aussitôt séduit, celui de la «sagesse émotionnelle», fort utile pour qui entend multiplier les discussions fructueuses au bureau, et même devenir quelqu'un de passionnant aux yeux d'autrui…
Pour commencer, il convient de réfléchir sur ce qu’est, au fond, un échange, tant avec des collègues qu’avec des partenaires d’affaires (clients, sous-traitants, etc.). Un échange, c’est clair, c’est avant tout un échange d’informations. Mais ce n’est pas que ça. C’est également, de manière plus profonde, pour ne pas dire fondamentale, un échange d’énergie. Oui, d’énergie. Pour le saisir, il suffit d’observer comment se déroule l’échange de deux collègues qui discutent à l’improviste, dans un couloir : bien souvent, celui qui parle dégage beaucoup d’énergie, et l’on voit que la discussion est passionnante dès lors qu’on note que celui qui écoute s’apprête à dégager tout autant, sinon plus, d’énergie dès que son interlocuteur en aura terminé avec sa phrase. Pas vrai ?
En conséquence, M. Berger considère qu’on peut analyser un échange entre deux personnes à travers un double prisme : d’une part, le prisme de l’énergie dégagée par l’un et l’autre ; d’autre part, le prisme de l’ouverture que chacun a envers l’autre. Du coup, chacun des interlocuteurs peut être inscrit dans l’une des quatre zones d’échange répertoriées par l’auteur :
➢ Zone d’affrontement – La personne dégage beaucoup d’énergie, mais ne l’exprime pas de façon appropriée par rapport à l’environnement dans lequel elle se trouve. Elle est dominée par le souci de soi ainsi que par les perturbations intérieures.
Émotions dominantes – Colère ; hostilité ; agacement.
Comportement – Autoritaire ; combatif ; agressif.
➢ Zone de concordance – La personne dégage une grande énergie tournée vers l’extérieur. Elle a une grande facilité de contact et de communication.
Émotions dominantes – Enthousiasme ; gaieté ; curiosité.
Comportement – Constructif ; positif ; curieux.
➢ Zone de dissimulation – La personne a un courage insuffisant pour s’exprimer et agir de manière authentique. Elle est centrée sur l’évitement dans l’optique de conserver ses acquis ou de son image.
Émotions dominantes – Peur ; hypocrisie ; complaisance.
Comportement – Fuyant ; complaisant ; manipulateur.
➢ Zone d’inertie – La personne a peu d’énergie, mais ne dramatise pas pour autant sa situation. Elle ressent une disponibilité passive vis-à-vis de son environnement.
Émotions dominantes – Ennui ; lassitude ; immobilisme.
Comportement – Inertie ; passif ; méthodique.
Bien. À présent, vous êtes en mesure d’identifier les émotions qui animent votre interlocuteur au moment où vous vous adressez à lui. Par exemple, si vous le sentez sur la défensive, voire fuyant lorsque vous l’incitez gentiment à prendre position par rapport à votre idée, vous saurez qu’il se situe dans la zone de dissimulation. Ou encore, si vous le sentez fulminer à mesure que vous lui expliquez votre idée, vous saurez sans l’ombre d’un doute qu’il se situe pile dans la zone d’affrontement.
Du coup, vous serez à même d’user de «sagesse émotionnelle» afin d’amener votre interlocuteur vers la seule zone où l’échange peut se révéler fructueux – passionnant, enrichissant, palpitant, etc. –, à savoir la zone de concordance. Comment ça ? Voici les explications de M. Berger…
«Les émotions sont contagieuses. Ceux d’entre nous qui sont facilement agressifs ont en face d’eux un monde plus hostile ou complaisant que ceux qui abordent la vie avec ouverture. Avant d’entreprendre de changer le monde pour le rendre meilleur, on peut déjà faire beaucoup en l’abordant dans des dispositions émotionnelles plus agréables à vivre. Imaginez que vous n’ayez à rencontrer que des gens gais, ouverts, dynamiques et capables de s’intéresser à vous…
«Vous connaissez sûrement des gens avec lesquels vous vous sentez de meilleure humeur, dans de meilleures dispositions lorsque vous avez passé un moment avec eux. Avouez que ce sont des gens que l’on a envie de fréquenter assidument.
«Comment devenir vous-même une telle personne ? La méthode st simplissime : prenez l’habitude de situer votre interlocuteur dans la zone qui lui correspond au moment où vous lui parlez, comprenez les principes qui l’amèneront à changer de zone pour atteindre progressivement celle de la concordance, et agissez en conséquence. En vous comportant de la sorte, vous donnerez envie au gens de vous fréquenter de plus en plus souvent.»
On le voit bien, il vous faut saisir les «principes du changement de zone». Ces principes sont au nombre de deux :
> Principe numéro 1 – Le principe des vases communicants
«Pour monter le niveau d’énergie de votre interlocuteur, appliquez le principe des vases communicants. Si deux récipients communiquent par leur fond, un liquide tend à se mettre au même niveau dans les deux. D’une manière analogue, le tonus se transmet : on se sent plus tonique et déterminé face à quelqu’un qui l’est. C’est d’ailleurs l’une des grandes forces des grands orateurs : ils vous donnent de l’énergie.
> Principe numéro 2 – Le principe de l’équilibre des flux
«Pour augmenter l’ouverture de votre interlocuteur, appliquez le principe de l’équilibre des flux. La nature aime les équilibres, et tend à créer des cycles équilibrés qui garantissent la pérennité des choses. Une partie consomme de l’oxygène pendant qu’une autre en restitue. C’est ainsi un réflexe de s’intéresser aux gens qui s’intéressent à nous. Rien de moins attirant que quelqu’un qui raconte sa vie et ses problèmes. Les séducteurs le savent bien. Leur stratégie est la suivante : pour intéresser quelqu’un, il ne faut pas chercher à se rendre intéressant, il vaut mieux s’intéresser à lui.»
Une fois ces deux principes bien compris, il suffit de s’en servir à bon escient. Voici comment…
> Si votre interlocuteur est dans la zone de concordance
«Parfait. Contentez-vous d’y rester vous-même, et votre interlocuteur n’aura aucune raison d’en partir.»
> Si votre interlocuteur est dans la zone d’affrontement
«Assurez-vous d’abord de ne pas «réagir». L’affrontement crée l’affrontement, et si vous rentrez dans la spirale, l’échange est mal parti. C’est comme ça que des désaccords dégénèrent en conflits. Faites plutôt un gros effort pour vous intéresser à votre interlocuteur, en tant que personne. Non pas ses problèmes, mais la perception qu’il en a. Trouvez ses vraies préoccupations. Cherchez à le comprendre avec un sincère intérêt. Demandez-lui son opinion personnelle, ses souhaits, ses enjeux personnels ou ce qui le préoccupe, ce qu’il craint. Vous l’observerez dès lors migrer progressivement vers la zone de concordance. Et ce, d’autant plus vite que votre intérêt sera fort et sincère.»
> Si votre interlocuteur est dans la zone d’inertie
«Vous avez en face de vous une personne disponible, mais sans détermination, sans aucune énergie. Peut-être juste parce qu’elle est fatiguée. Il va falloir que vous lui communiquiez de l’énergie. Parlez avec vigueur et enthousiasme, réagissez très positivement à ses propos. Avec cette personne-là, votre meilleure chance est d’être et de rester très tonique, et très déterminé dans vos intentions. Quitte à vous fâcher un peu s’il le faut, voire utiliser un ton autoritaire. Elle risque, certes, de passer alors dans la zone d’affrontement, mais ce passage ne sera que temporaire : ce sera à vous de la faire migrer pas à pas vers la zone de concordance.»
> Si votre interlocuteur est dans la zone de dissimulation
«Vous êtes dès lors confronté à une situation nettement plus épineuse que celle de l’interlocuteur en zone d’affrontement. Pourquoi ? Parce que la personne est complaisante, et donc faussement sympathique. Il vous faut d’abord la rendre tonique, comme dans le cas d’une personne en zone d’intertie. (Passez par la case affrontement s’il nécessaire, quitte à ce qu’il en ressorte un peu agacé.) Puis, faites-la parler d’elle, jusqu’à toucher son authenticité. Ce qui vous demandera temps et enthousiasme. Votre interlocuteur entrera à ce moment-là dans la zone de concordance. Notez que son passage dans cette zone peut se révéler bref, mais qu’il n’en sera pas moins fructueux : ce sera pour lui une forme d’épanouissement temporaire qui lui procurera un grand soulagement.»
Voilà. Vous savez maintenant que le truc pour être passionnant aux yeux d'autrui, c'est de vous passionner pour lui! Que c'est, somme toute, de jongler habilement avec son énergie et son ouverture. Comme par magie.
En passant, le chanteur québécois Félix Leclerc a dans Le Calepin d’un flâneur : «Si tu refuses de discuter avec les sots, tu ne discuteras plus avec personne.»
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