BLOGUE. Un collègue a une idée, et vous, une autre. C'est le clash. Le ton monte, le débit de paroles va de plus en plus vite et les convenances font que vous n'en venez pas aux mains. Puis, la dispute prend abruptement fin, sans gagnant, ni perdant. Fin de la discussion.
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Petite question : êtes-vous maintenant plus avancé? Non, bien sûr. La situation s'est même aggravée, car vous ne voyez pas comment vous allez faire pour, plus tard, reprendre la discussion. C'est que vous vous estimez fâchés.
Comment s'extraire de cette impasse? Beaucoup plus facilement que vous ne croyez. C'est ce que j'ai compris en découvrant une étude passionnante, intitulée When why, and how controversy causes conversation. Celle-ci est le fruit du travail de Jonah Berger, professeur de marketing à Wharton (États-Unis), et Zoey Chen, doctorant en marketing à l'École de commerce Scheller à Atlanta (États-Unis).
Les deux chercheurs se sont demandé s'il était vrai que la controverse favorise le buzz. Vous savez, le dicton qui dit «Parlez-en bien, parlez-en mal, mais parlez-en» et que 91% des personnes pensent fondé, selon un récent sondage mené chez nos voisins du Sud.
Pour s'en faire une idée, ils ont procédé à cinq expériences. Dans la première, ils ont analysé les 208 articles mis en ligne sur le site Web Topix.com les 24 et 25 janvier 2011, en particulier les commentaires qu'ils ont suscité auprès des internautes. Ils ont catalogué chaque article en fonction de son degré potentiel de controverse, à partir du seul titre : par exemple, un titre comme «Une nouvelle espèce de baleine découverte en Arctique» a été jugé comme peu propice à la controverse, à la différence d'un autre comme «Le sénateur de l'Oklahoma prône le port d'armes à feu sur les campus».
Puis, ils ont étudié la teneur de chaque commentaire, la moyenne étant de 22,8 commentaires par article dans les quinze jours suivant sa mise en ligne. Cela leur a permis de découvrir que :
> Une controverse ne suscite un débat que si celle-ci est d'un niveau modéré. À noter que certaines controverses modérées ont tout de même tourné court, ne suscitant guère de débat.
> Lorsque la controverse est forte, le débat n'a pas lieu, cédant toute la place aux cris et aux insultes. La controverse tue alors la discussion.
MM. Berger et Chen ont voulu mettre au jour le mécanisme qui faisait qu'une controverse permettait la discussion, ou au contraire l'annihilait. C'est pourquoi ils ont effectué quatre expériences en laboratoire. L'une d'elles est particulièrement éclairante : 296 étudiants de Wharton ont été placés devant un ordinateur pour classer chacun une série d'articles plus ou moins propices à la controverse, puis ils ont été couplés par deux pour chatter à propos d'un des articles qui avait attiré leur attention.
Résultats? Fort intéressants…
> Intérêt & inconfort. Deux facteurs déterminent si un sujet qui fâche peut se transformer en discussion ou en dispute : l'intérêt et l'inconfort. La discussion sera possible si l'intérêt est plus fort que l'inconfort. Et la dispute surviendra si l'intérêt est plus faible que l'inconfort. Enfin, la situation optimale survient lorsque l'intérêt et l'inconfort sont équilibrés, ce qui se traduit par une discussion passionnée et passionnante.
> Anonymat & proximité. Certains éléments peuvent avoir une incidence sur l'intérêt et l'inconfort que ressentent les débateurs. Par exemple, sur le Web, un internaute bénéficiant de l'anonymat participera plus aisément à un débat sur un sujet brûlant, ressentant moins d'inconfort que s'il intervenait en son nom propre. Idem, nous ne nous comportons pas de la même manière quand nous débattons entre amis ou au sein d'un groupe de personnes participant à un séminaire.
Par conséquent, il est possible de passer de la dispute à la conversation en se servant de différentes clés, sachant que l'une d'elles peut parfois suffire :
> Intérêt. Quand une dispute éclate, c'est que l'inconfort est devenu plus fort que l'intérêt lié au sujet. Il faut donc contrebalancer l'inconfort, en augmentant l'intérêt des parties prenantes pour l'objet du litige. Comment? Par exemple, en recentrant les échanges verbaux sur le sujet lui-même, et donc en écartant tout ce qui en est périphérique.
> Inconfort. Une discussion tourne en général au vinaigre pour une raison fort simple : l'une des parties prenantes, au moins, se sent en danger. L'idée est donc d'apaiser les inquiétudes de celle-ci, histoire qu'elle ne se sente plus personnellement agressée par les autres. Bref, il suffit de diminuer son inconfort pour voir revenir une saine conversation.
> Proximité. Il y a moyen de réduire d'un coup l'inconfort des parties prenantes et accroître simultanément leur intérêt pour le sujet débattu. Lequel? En jouant sur leur proximité, c'est-à-dire en prenant le temps de souligner tous les liens existants entre elles. Chacun se sentira dès lors moins en terrain ennemi et davantage en terrain ami, et sera donc plus disposé à revenir à une discussion calme.
Vous voilà maintenant munis de trois clés efficaces pour générer des discussions fascinantes. À vous de jouer!
En passant, l'écrivain américain Ambrose Bierce a dit dans son Dictionnaire du diable : «Discussion. Moyen de confirmer les autres dans leurs erreurs».
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