BLOGUE. Au travail, le succès passe toujours par la capacité de chacun à œuvrer avec les autres. Entre en ligne de compte un élément fondamental : la confiance. Oui, la faculté de chacun a de faire confiance à autrui et, surtout, d'inspirer confiance aux autres. Sans cela, aucune coopération n'est possible. C'est clair.
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Mais voilà, dans quelle mesure peut-on vraiment faire confiance à quelqu'un d'autre? Sur quoi se baser pour cela? Sur sa réputation professionnelle? Sur ses réalisations passées? Sur l'impression qu'il nous donne à l'issue d'une première rencontre? Pas facile à dire.
D'où l'intérêt d'une étude passionnante, intitulée Cooperation in criminal organizations: Kinship and violence as credible commitments. Celle-ci est signée par : Frederico Varese, professeur de criminologie à Oxford (Grande-Bretagne); et Paolo Campana, chercheur en sociologie à l'École de commerce Saïd d'Oxford. Une étude qui met au jour ce qui fait que des mafieux, italiens comme russes, parviennent à avoir confiance les uns dans les autres, alors que tout les pousse a priori à se méfier terriblement d'individus sans foi ni loi.
En effet, quoi de plus risqué que de nouer une alliance avec un mafieux? C'est-à-dire avec un être prêt à tout pour décrocher le pactole – menacer, tabasser, voler, trahir et même tuer. Et pourtant, les organisations mafieuses ne cessent de prospérer, décennies après décennies, au point de parasiter aujourd'hui des pans entiers de l'économie de certains pays frappés par ce fléau (Italie, Russie, Mexique, etc.).
Comment expliquer un tel paradoxe? MM. Varese et Campana ont eu accès à deux documents fabuleux pour le savoir, soit la retranscription des échanges téléphoniques au sein de deux groupes mafieux distincts, établie par la police italienne :
> D'une part, tout ce que se sont dit entre eux durant sept mois 8 hauts-dirigeants, dont le boss, du clan de la Camorra établi à Mondragone, à une cinquantaine de kilomètres au nord de Naples. Un clan qui a été complètement démantelé en 2003, à la suite de l'arrestation de tous ces criminels mis sous écoute et de leur transformation en "balances" pour la Justice.
> D'autre part, tout ce que se sont dit entre eux durant neuf mois 19 membres du groupe criminel moscovite Solntsevkaya qui ont créé dans les années 1990 une antenne à Rome. Un groupe qui avait dû déménager sur la côte du Lazio en 1994, en raison d'une guerre ouverte entre clans mafieux dans la capitale italienne.
«J’ai beaucoup étudié la mafia russe ces dernières années, a récemment expliqué au quotidien italien Linkiesta Federico Varese, qui a d'ailleurs signé un essai titré The Russian Mafia (Oxford Press, 2005). En général, les mafias ont deux façons de pénétrer un territoire étranger : ou elles essaient de reproduire leur expérience de contrôle du territoire ; ou – et c’est la stratégie de la mafia russe en Italie – elles recyclent leur argent sale sur le marché local. Au cours de ces activités de recyclage, les Russes sont entrés en contact avec des trafiquants, des magouilleurs et des fonctionnaires corrompus.»
Et d'ajouter : «Il existe des passerelles entre ces deux mondes, mais chacun a son rôle : d’un côté les Russes recyclent et investissent, de l’autre les Italiens contrôlent le territoire. Il serait d’ailleurs impensable pour la mafia russe de leur disputer ce contrôle».
Les deux chercheurs italiens ont ainsi analysé chacun des 1 824 échanges téléphoniques des mafieux italiens et chacune des 758 communications des criminels russes. Ils ont décortiqué le langage utilisé et les termes employés, histoire de découvrir ce qui permettait de nouer un lien de confiance entre les deux personnes impliquées à chaque fois. Cela pouvait être une allusion subtile à un lien familial, une menace cachée, ou encore un échange d'informations confidentielles.
Puis, ils ont regardé s'il y avait un procédé qui revenait plus que les autres. C'est-à-dire s'il existait, ou pas, une manière de nouer un lien de confiance plus fréquent, et donc plus efficace, que les autres. Résultats? Accrochez-vous bien…
> Affinité. Plus deux mafieux se connaissent, plus ils sont portés à coopérer. Mais cela ne suffit pas à les faire œuvrer ensemble une première fois.
> Compromission. Plus deux mafieux échangent d'informations confidentielles, pour ne pas dire compromettantes, entre eux, plus ils sont portés à coopérer. C'est que le fait d'avoir en mains une "arme fatale" pour l'autre (si la police en avait vent, cela suffirait à envoyer l'autre en prison pour de longues années) est un fort incitatif à trouver un moyen de travailler ensemble.
Autrement dit, il y a une manière ultrasimple de nouer une alliance solide entre deux personnes, même si elles se connaissent peu ou mal. Une manière parfaitement applicable à votre quotidien au bureau :
> Qui entend œuvrer avec un partenaire fidèle doit échanger avec lui des informations confidentielles de façon réciproque. Car cela minimisera les risques que l'autre fasse soudain défaut, puisque les dégâts en cas de fuite d'informations seraient considérables pour l'un comme pour l'autre.
En passant, le dramaturge français Pierre Corneille a dit dans Le Cid : «Le trop de confiance attire le danger».
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