Quoi qu'on entreprenne, il y a toujours une part de risques. Une part de risques, certes, plus ou moins élevée, mais une part de risques tout de même. C'est d'ailleurs ce qui rend toute entreprise excitante!
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Mais voilà, chacun de nous est plus ou moins à l'aise avec la prise de risques. Certains jubilent à l'idée de sauter d'un avion en parachute, d'autres voient leurs jambes les lâcher sans prévenir rien qu'à l'idée de se jeter ainsi dans le vide. Si bien qu'au sein d'une équipe de travail, il convient de tenir compte de l'aversion au risque des uns et des autres.
Concrètement, le manager est confronté à une interrogation lourde de conséquences dès lors qu'il lui faut prendre une décision risquée. Laquelle? La suivante : «Comment annoncer ça aux autres sans déclencher un vent de panique?». Car, on le sait bien, la panique est une émotion ultracontagieuse : il suffit de voir comment réagit une foule devant évacuer de toute urgence une salle de spectacles en proie aux flammes, et de dénombrer par la suite le nombre de personnes malheureusement piétinées dans la cohue générale…
D'où l'intérêt de se pencher sur l'étude intitulée Averting catastrophes: The strange economics of Scylla and Charybdis, et signée par : Ian Martin, professeur de finance à la London School of Economics (Grande-Bretagne); et Robert Pindyck, professeur de finance et d'économie à l'École de management Sloan du MIT (États-Unis). Celle-ci montre en effet qu'il y a toujours un moyen optimal d'annoncer à autrui les risques encourus, y compris lorsqu'ils sont dantesques.
Ainsi, les deux chercheurs se sont intéressé au comportement des gouvernements lorsqu'ils sont confrontés à un risque catastrophique pour une ville, une région, voire l'ensemble du pays. Quel type de risques, au juste? Eh bien, des risques de catastrophes qui deviennent de plus en plus courants, de nos jours : ouragan, inondation, tremblement de terre, etc. Et même, des risques carrément apocalyptiques, mais plus si aberrants que ça : pandémie, explosion nucléaire, bioterrorisme, etc.
Ils ont adopté une approche d'économistes du problème. C'est-à-dire qu'ils ont concocté un modèle de calcul économétrique permettant de simuler les différentes attitudes que peut logiquement adopter un gouvernement pour prévenir la population du péril encouru, et donc d'identifier pour chaque cas de figure la meilleure attitude à avoir.
MM. Martin et Pindyck ont tout d'abord dressé la liste des variables nécessaires à un tel modèle de calcul, dont voici les trois principales :
> Bénéfices. Si le gouvernement annonce une nouvelle terrifiante à la population, c'est qu'il en espère un "gain". Un gain? Oui, en ce sens que l'avertissement lancé à tous devrait permettre, par exemple, de minimiser l'impact de la catastrophe, si celle-ci survient. Un exemple… Un ouragan doit frapper une ville d'ici les 24 prochaines heures. En sonnant l'alerte, les autorités espèrent ainsi que les gens vont soit filer ailleurs, ce qui devrait sauver des vies, soit renforcer leurs habitations (planches clouées sur les fenêtres, etc.), ce qui devrait diminuer la facture globale des dégâts provoqués par la furie des vents.
> Coûts. Les coûts d'une catastrophe sont toujours multiples : matériel, financier, psychologique, etc. Pour simplifier, les deux chercheurs ont considéré les coûts comme une taxe permanente sur la consommation de la population. C'est-à-dire que lorsqu'une catastrophe survient, l'ensemble de la richesse de la population touchée diminue, et ce, de façon durable : cela peut prendre des années, voire des décennies, avant que les gens se remettent économiquement d'une guerre.
> Aversion au risque. Comme à l'échelle individuelle, les populations craignent plus ou moins de prendre des risques. Par exemple, des gens habitués aux tremblements de terre cèderont moins facilement à la panique que ceux qui en vivent un pour la première fois de leur existence. Autre exemple : il est normal qu'une population pauvre craigne davantage une catastrophe qu'une population riche, car elle aura beaucoup plus de mal à s'en remettre.
Puis, ils ont regardé ce que donnait leur modèle de calcul dans une multitude de cas de figure. Quand une petite catastrophe menace. Quand une énorme catastrophe se profile à l'horizon. Quand plusieurs menaces surgissent en même temps. Etc.
Dans un premier temps, ils ont découvert ceci :
> Coûts modestes. Lorsque les coûts potentiels de la catastrophe sont somme toute modestes, la simple intuition permet de trouver la meilleure attitude à adopter. Il suffit au gouvernement de faire un rapide calcul Bénéfices/Coûts pour découvrir la meilleure annonce à faire à la population. «Si une inondation menace un quartier d'une ville, il est clair qu'inviter les gens à se retrousser les manches et à dresser un barrage à l'aide de sacs de sable est une sage attitude. Cela ne déclenchera pas de panique», indiquent les deux chercheurs dans leur étude.
> Coûts élevés. Lorsque les coûts potentiels de la catastrophe sont élevés, alors là, la donne change. Pourquoi? Parce que, comme l'ont découvert les deux chercheurs, il apparaît un phénomène inattendu : l'interdépendance. L'interdépendance? Une petite illustration s'impose… La catastrophe annoncée est terrible, en ce sens qu'elle a de quoi faire peur, de semer la terreur. Et elle est dès lors multiple. De fait, une telle catastrophe ne peut pas être unique : par exemple, un tremblement de terre majeur peut déclencher des incendies gigantesques, mais aussi des explosions dans les zones industrielles et par suite une pollution environnementale monumentale. Les périls sont, on le voit bien, nombreux, et surtout interdépendants.
Dans un deuxième temps, les deux chercheurs se sont, bien entendu, demandé comment un gouvernement pouvait faire face avec efficacité à l'interdépendance inhérente des catastrophes. Vaut-il mieux alerter les gens du tremblement de terre à venir, sans donner de détails, ou plutôt les prévenir des dangers qui en découlent, comme le risque élevé d'incendies majeurs, d'explosions d'usines et de pollution environnementale?
MM. Martin et Pindyck ont creusé davantage dans leurs données et mis ainsi au jour une véritable pépite d'or. À savoir ceci :
> La seule approche Bénéfices/Coûts est trompeuse. Si un gouvernement se contente d'estimer le ratio Bénéfices/Coûts lorsque les coûts encourus sont élevés amène à commettre des erreurs de communication. Des erreurs lourdes, vraiment lourdes de conséquences. Explication… Disons que la catastrophe annoncée pourrait se traduire par trois menaces distinctes, mais liées les unes aux autres. La menace A présente un ratio Bénéfices/Coûts élevé. Quant aux menaces B et C, elles présentent un ratio tout juste positif. Quelle serait votre premier réflexe, en tant que gouvernement, face à une telle situation? La logique voudrait a priori que vous avertissiez les gens des trois menaces, en mettant l'accent sur la première. Erreur! La stratégie optimale consiste, en vérité, à n'alerter que de la première. Car parler des deux autres risquerait d'accroître dangereusement le risque de panique.
Alors? Que faire? Les deux chercheurs de la LES et du MIT ont analysé l'ensemble de leurs résultats, et fini par trouver… une méthode! Oui, une méthode permettant de réagir au mieux face à une catastrophe annoncée, lorsqu'on est le leader d'une équipe. Elle se présente en trois étapes. La voici :
1. Liste exhaustive des menaces. Il faut commencer par identifier l'ensemble des menaces encourues. En dresser la liste exhaustive, en toute objectivité.
2. Évaluation des menaces. Il faut ensuite, pour chacune des menaces identifiées, évaluer sa dangerosité (à l'aide d'un pourcentage, par exemple). Puis, estimer l'impact réel qu'elle pourrait avoir (coûts, nombre de personnes touchées, etc.).
3. Analyse stratégique. Enfin, il faut analyser les différentes stratégies de communication envisageables. Et ce, en tenant absolument compte de l'aversion au risque de son équipe. L'idée est alors d'éviter à tout prix de déclencher un vent de panique, tout en tentant de minimiser les coûts dus à la catastrophe si elle venait à survenir.
Comment effectuer une telle analyse, me direz-vous? Comme suit :
– Inventoriez et estimez les bénéfices (B) d'alerter les membres de votre équipe des menaces encourues;
– Estimez le coût en temps et en ressources (CTR) que demanderait chaque opération de communication auprès des membres de votre équipe;
– Évaluez ce que vous retireriez comme gain communicationnel (soit le ratio B/CTR) pour chacune des alertes envisagées. Et ajustez cette évaluation en fonction de l'interdépendance des menaces. Ce qui vous permettra d'identifier le ou les messages les plus pertinents.
– Identifiez-le ou les membres de votre équipe qui pourraient être les plus prompts à céder à la panique.
– Communiquez à votre équipe le ou les messages les plus pertinents. Et le cas échéant, attachez un soin particulier aux membres les plus sensibles aux risques (invitez-les à venir en discuter en personne dans votre bureau, etc.).
Une méthode très simple, comme vous le voyez. Une méthode qui vous sauvera – qui sait? – la mise, un beau jour. Une méthode, donc, fort utile.
En passant, l'écrivain britannique Daniel Defoe a dit dans Robinson Crusoë : «La crainte du danger est mille fois plus terrifiante que le danger présent».
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