BLOGUE. Toutes les entreprises, tant en Amérique du Nord qu'en Europe, sont confrontées au même problème : l'état de santé physique des employés va en se détériorant. Un seul indicateur est à lui seul révélateur : celui de l'obésité et du surpoids. Au Canada, 1 personne sur 4 est aujourd'hui obèse et 2 hommes sur 3 sont en surpoids, selon l'OCDE, qui s'attend à une aggravation de la situation dans les prochaines années.
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Du coup, les programmes de bien-être et de remise en forme se multiplient, sous les formes les plus variées : massages offerts sur le lieu de travail, incitations financières à fréquenter un gym, cours de yoga, ateliers de cuisine, etc. Le hic? C'est qu'il est difficile d'évaluer leur réelle efficacité, d'autant plus l'assiduité des employés à ces programmes peut parfois laisser à désirer.
Alors, que faire? Une piste de solution qui me semble intéressante se trouve, à mon avis, dans une étude intitulée Incentives, commitments and habit formation in exercise: Evidence from a field experiment with workers at a Fortune-500 company. Celle-ci est signée par : Heather Royer, professeure d'économie à l'Université de Californie à Santa Barbara (États-Unis); Justin Sydnor, professeur de management à l'Université du Wisconsin à Madison (États-Unis); et Mark Stehr, professeur d'économie à l'Université Drexel (États-Unis).
Les trois chercheurs se sont intéressés au siège social d'une firme du Midwest figurant dans le palmarès Fortune 500, qui compte quelque 1 900 employés (son identité n'est pas dévoilée). Ces derniers se sont vus proposer un incitatif financier spécial – d'une durée d'un mois – pour fréquenter le gym de l'entreprise, soit une prime de 10 dollars pour chaque visite, à condition de faire au moins trois visites par semaine. Une prime a priori séduisante, sachant que pour s'inscrire normalement à ce gym, il faut payer 12,96 dollars toutes les deux semaines, somme qui est directement prélevée sur sa paye.
Un millier d'employés ont accepté de participer à cette expérience, d'une durée, rappelons-le, d'un mois. Une fois les quatre semaines écoulées, une nouvelle offre leur a été faite, ou plutôt deux offres. À la moitié des participants (tirés au hasard), il a été proposé de continuer à fréquenter le gym, sans plus aucun incitatif financier particulier, juste en leur soulignant qu'il le fallait pour obtenir de vrais résultats pour leur santé.
À l'autre moitié, il a aussi été proposé de poursuivre leurs efforts, mais là, avec un nouvel incitatif financier : chaque employé devait s'engager à continuer d'aller aussi souvent au gym pendant encore deux mois supplémentaires, et ce faisant, en misant la somme d'argent de son choix (10, 20, 100, 1000 dollars, ou plus, s'il le voulait). Deux possibilités : l'employé tient son engagement, alors l'employeur double la somme misée et l'employé empoche le tout; ou bien l'employé faillit, et la somme qu'il avait misée est entièrement donnée à un organisme de bienfaisance, United Way, en l'occurrence.
Ce changement d'offre survenait à un moment stratégique. En effet, toute personne qui fréquente pour la première fois un gym connaît surtout… la douleur. Les muscles sont durs à la fin de chaque séance et pendant les heures qui suivent, les courbatures font mal des journées durant, et surtout, le pèse-personne – contre lequel on lutte si fort – ne bouge pas (c'est qu'à ce moment-là, ce qu'on perd en graisse, on le gagne en muscle…). Bref, on a toutes les raisons d'arrêter, par usure, par lassitude, comme l'indiquent d'ailleurs plusieurs études sur le sujet (O'Donoghue & Rabin, 1999 et 2001).
Résultats? Intéressants…
> Une offre tentante. 70% du millier de participants à la première phase de l'expérience étaient des employés qui n'avaient jusqu'alors jamais mis les pieds au gym de l'entreprise.
> Un effet certain. Passé le premier mois, 16% de la moitié des participants qui s'étaient vus supprimer l'incitatif financier spécial ont continué de fréquenter le gym.
> Un effet majeur. Passé le premier mois, 47% de la moitié des participants qui s'étaient vus proposer un nouvel incitatif financier ont continué de fréquenter le gym. Et ce, au-delà de la période de deux mois : l'effet était encore sensible un an plus tard.
Les trois chercheurs ont voulu en savoir davantage sur ceux qui avaient poursuivi leur effort grâce au pari financier qu'ils avaient fait. Et ils ont découvert que :
> Désavantage aux hommes et aux jeunes. Les hommes et les jeunes employés étaient moins tentés par ce pari que les femmes et les employés plus âgés.
> Avantage aux assidus. Les participants qui étaient les plus assidus au gym durant le premier mois ont été ceux qui étaient les plus prompts à faire le pari de la seconde phase de l'expérience.
> Avantage aux optimistes. Les participants qui avaient dit au début de la seconde phase de l'expérience qu'ils iraient de plus en plus souvent au gym sont ceux qui ont le plus réussi leur pari. Autrement dit, les plus motivés au départ ont connu plus de succès que les autres.
Enfin, Mme Royer et MM. Stehr et Sydnor ont regardé si cette expérience avait coûté cher à l'entreprise. Ils ont calculé que le programme qu'ils ont concocté représentait un coût moyen de 57 dollars par employé participant à l'opération. Et ils ont noté que, d'après une étude de Baicker, Cutler & Song (2010), il en coûte en général aux entreprises américaines 20 dollars par heure d'absence lorsqu'un employé se fait porter pâle. Par conséquent, il suffit que 1 employé sur 3 réduise d'une seule journée le nombre de journées où il tombe malade par an pour que l'entreprise rentre dans ses frais. Un objectif raisonnable pour qui fait du sport sur une base régulière pendant une telle durée, d'après eux.
Que retenir de tout cela? Eh bien, qu'il y a moyen de vraiment motiver ses employés à fréquenter un gym, c'est-à-dire à se faire mal à court terme pour se sentir mieux à moyen et à long terme. Un moyen très simple : lui proposer un pari financier tentant. Il ne vous reste maintenant plus qu'à évaluer lequel, au juste…
En passant, l'ex-président français Jacques Chirac a dit lors d'un discours tenu à Paris le 6 décembre 1999 : «On gagne toujours quand on parie sur l'homme».
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