BLOGUE. Il nous est tous arrivé de nous faire avoir par un tricheur ou un arnaqueur. Par ce beau parleur qui a réussi à nous faire acheter une chose qui, au fond, ne nous intéressait pas du tout. Par cette jolie jeune femme qui a su nous attendrir au point de nous faire gober son mensonge. Ou encore par ce coureur cycliste américain si convaincant lorsqu'il jurait n'avoir jamais touché à l'EPO et mépriser ceux qui l'avaient fait.
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Nous nous faisons même si souvent berner que c'est à se demander si nous ne le faisons pas exprès. La question saute aux yeux : y a-t-il un moyen de se faire avoir moins souvent?
C'est justement la question que se sont posés trois chercheurs en psychologie, à savoir : Jens van Lier, de l'Université de Louvain (Belgique); Russell Revlin, de l'Université de Californie à Santa Barbara (États-Unis); et Wim de Neys, de l'Université Paris-Descartes (France). Dans leur étude Detecting cheaters without thinking: Testing the automaticity of the cheater detection module, ils se sont demandés si différents facteurs pouvaient perturber, ou pas, notre faculté à détecter les tricheurs.
Pour cela ils ont procédé à trois expériences. Dans la première, 117 étudiants de l'Université de Louvain ont dû répondre à des questions de logique qui demandaient beaucoup d'attention pour ne pas se tromper, puis ont dû effectuer un test visant à déterminer leur capacité à résister à l'envie de vite sauter à une conclusion, surtout lorsque les éléments dont on dispose sont trompeurs. Un exemple : «Un cahier et un crayon coûtent 11 dollars en tout. Sachant que le cahier coûte 10 dollars de plus que le crayon, combien coûte le crayon?» Spontanément, on a envie de répondre 1 dollar, et spontanément, on se trompe…
L'idée derrière cette expérience? Regarder s'il y a une corrélation entre notre capacité à être logique et notre faculté à détecter la tromperie. Et le résultat est sans équivoque :
> Plus on est logique, plus on est performant dans les tâches qui nous sont assignées.
> Notre capacité à être logique et notre faculté à détecter la tromperie ne sont aucunement corrélées.
Autrement dit, peu importe que l'on soit logique ou pas dans la vie, ce n'est pas cela qui nous aidera à détecter les tricheurs. Les deux n'ont tout bonnement aucun rapport entre eux.
Dans la deuxième expérience, 191 étudiants d'une école secondaire belge d'âges différents ont été soumis à des tests similaires à l'expérience précédente. Cette fois-ci, il s'agissait d'étudier si l'âge avait une incidence sur notre faculté à deviner si nous sommes victimes d'une tentative d'arnaque. Le résultat est, là encore, très simple :
> Notre performance dans les tâches qui nous sont assignées dépend de notre âge (en ce sens qu'un élève de secondaire est moins bon dans des exercices de logique qu'un étudiant en université).
> Notre âge et notre faculté à détecter la tromperie ne sont aucunement corrélés.
Dans la dernière expérience, 281 étudiants de l'Université de Louvain ont effectué des tests qui combinaient à la fois la logique et la tromperie : il fallait notamment identifier le moyen le plus logique pour vérifier si celui qui donnait les informations était un menteur, ou pas. De surcroît, le cerveau était plus ou moins chargé d'informations avant de se lancer dans chacun des tests : par exemple, les participants devaient mémoriser l'emplacement précis de plusieurs points dans un graphique.
Résultat? Les voici…
> Plus on doit mémoriser de choses, moins on est performant dans les tâches qui nous sont assignées.
> Notre capacité de mémorisation et notre faculté à détecter la tromperie ne sont aucunement corrélées.
En résumé, la logique, l'âge et la disponibilité d'esprit n'ont aucune incidence sur notre faculté à détecter les tricheurs. Ce n'est donc pas parce qu'on est une personne très logique qu'on arrive mieux que les autres. Ni parce qu'on bénéfice de l'expérience due à l'âge, ni parce qu'on porte toute son attention sur la personne en face de nous. Aussi incroyable que ça paraisse, on peut par conséquent très bien être distrait, et pour autant aussi bien détecter une tromperie que si on était concentré sur le tricheur qui nous parle.
Comment expliquer un tel mystère? Pour répondre à cela, une petite plongée dans l'histoire de la neuroscience s'impose…
En 1992, Cosmides et Tooby ont fait paraître une étude dans laquelle ils mettaient au jour ce qu'ils ont appelé le Module de détection des tricheurs (MDT), c'est-à-dire une partie du cerveau qui avait pour fonction de détecter la tromperie. Sa particularité : cette partie du cerveau serait, d'après eux, particulièrement isolée des autres, si bien que peu importait que le cerveau soit encombré de diverses informations ou émotions, notre faculté à repérer la tromperie demeurait constante à partir du moment où une première alerte l'avait mise en action.
Par leurs trois expériences, MM. Van Lier, Revlin et De Neys apportent du crédit au MDT, puisque ni la logique, ni l'âge et ni la disponibilité d'esprit ne permettent de mieux, ou de moins bien, deviner que l'on a affaire à un tricheur. Ainsi, on peut raisonnablement considérer que notre mécanisme de détection agit de manière indépendante, sans l'intervention de la plupart de nos autres capacités intellectuelles.
Que déduire de tout cela? Qu'on aura beau faire, on demeurera toujours aussi naïfs et démunis face aux arnaqueurs, si telle est notre nature profonde? Bien sûr que non. À y regarder de plus près, un détail de l'étude permet, à mon avis, de parvenir à se faire avoir moins souvent.
Quel détail? Eh bien, le fait que le MDT se met automatiquement en marche dès que nous identifions une première alerte. Tout se joue à ce moment précis : votre cerveau vous envoie un message selon lequel quelque chose ne tourne pas rond, sans trop savoir quoi au juste. Ça peut être la curieuse nervosité de votre interlocuteur, ou au contraire son calme remarquable alors qu'il vous sort une énormité. Ça peut aussi être autre chose, comme une interrogation qui vous vient à l'esprit, par rapport à ce qui vous est dit. Mais voilà, vous ne vous attardez pas assez sur ce détail, et votre MDT ne se met pas en marche : vous êtes en train de vous faire arnaquer en beauté.
Comment allumer votre MDT au moment opportun? C'est là qu'il vous faudra vous exercer pour vous améliorer. Dîtes-vous que lorsque votre cerveau s'étonne d'une chose, même infime, ce n'est pas pour rien. Et posez-vous systématiquement la question : «Ce qui m'est dit est-il vrai?», voire «Ce type (cette femme) est-il (elle) en train de m'embobiner?». Rien que le fait de s'arrêter deux secondes à ces interrogations suffira à mettre en marche votre MDT. Et vous ne vous ferez plus avoir aussi facilement que d'habitude. C'est aussi bête que ça.
En passant, l'humoriste français Pierre Desproges a dit dans son Fonds de tiroir : «Tout salaud qu'on soit, on n'est pas moins naïf et susceptible de déceptions».
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