BLOGUE. Un poste s'ouvre au sein de votre entreprise. Un poste prestigieux, convoité par tous. Imaginons maintenant que deux managers soient prêts à tuer père et mère pour l'obtenir. Je suis sûr que vous imaginez cela sans problème…
Découvrez mes précédents billets
Suivez-moi sur Facebook et sur Twitter
Que va-t-il se passer? Va-t-on assister à une lutte acharnée, mais dans les règles de l'art? Pis, à une vendetta dévastatrice, où chacun va répliquer au coup de l'autre par un coup encore plus terrible? Et en ce cas, jusqu'où ira-t-elle? Autant d'interrogations auxquelles ont voulu répondre trois professeurs d'économie : Friedel Bolle, de l'Université européenne Viadrina, à Francfort (Allemagne); Jonathan Tan, de l'Université de Nottingham (Grande-Bretagne); et Daniel John Zizzo, de l'Université d'Est-Anglie, à Norwich (Grande-Bretagne).
Les chercheurs ont eu l'idée de demander à 384 volontaires de participer à un petit jeu qu'ils avaient concocté. Les règles de Vendetta étaient les suivantes…
> Deux joueurs : A et B. (Chacun était placé dans un cubicule et jouait avec l'autre par ordinateur interposé.)
> Chacun a une probabilité de départ d'empocher le prix en jeu (10 pounds, soit 15,60 dollars). Pour certaines parties, la probabilité de départ était de 45% pour A comme pour B; pour d'autres, elle était de 25% pour A, et de 65% pour B.
> Chacun joue à tour de rôle.
> Le premier qui joue – déterminé au hasard – doit décider combien de points de pourcentage de chances de gagner il retire à son adversaire, ceux-ci devant être un multiple de 10 (0 point de pourcentage, 10 points de pourcentage, 20 points de pourcentage, etc.).
> Quand on retire des points de pourcentage de chances de gagner à son adversaire, on en perd soi-même de manière proportionnelle. Par exemple, si A décide de retirer 30 points de pourcentage à B, il en perd lui-même 20. (À noter que la proportion a varié au fil de l'expérience, A perdant parfois le tiers des points retirés à B, d'autres fois, les deux tiers.)
> Le jeu prend fin quand, deux fois de suite, aucun des joueurs ne retire de points de pourcentage à l'autre. Et ce, soit parce qu'ils en ont décidé ainsi; soit parce qu'ils ne peuvent plus s'en retirer, leurs chances de l'emporter étant devenues inférieures à 10%
> Le tirage au sort est alors effectué, et le prix remis au gagnant, s'il y en a un.
Tout au long de chaque partie, les joueurs devaient de surcroît indiquer dans un questionnaire les émotions qui les traversaient. Ils devaient indiquer s'ils étaient, entre autres, en colère, indifférent ou encore heureux.
Résultat? Saisissant…
> Un massacre. Deux fois sur trois, les parties se sont terminées avec des joueurs ayant tous les deux moins de 10% de chances de décrocher le prix. C'est-à-dire que la vendetta est allée jusqu'au bout, jusqu'à l'absurde, jusqu'à la "mort" des deux joueurs.
Éberlués par un comportement aussi peu rationnel, les trois économistes ont cherché une explication à ce mystère dans les données recueillies dans les questionnaires. C'est là qu'ils ont découvert des pépites :
> Émotions négatives. Ceux qui ont exprimé les émotions négatives qui les traversaient juste après le coup vache joué par leur adversaire étaient moins portés à avoir un comportement agressif par la suite.
> Temps mort. Ceux qui ont pris plus de temps qu'à la normale pour jouer après un coup vache de leur adversaire étaient, eux aussi, moins portés à se venger par la suite.
Autrement dit, les trois chercheurs ont mis au jour deux trucs pratiques susceptibles d'enrayer une vendetta, deux trucs parfaitement applicables au bureau lorsqu'un tel drame s'y déroule :
> Évacuez les émotions négatives. Si l'un des membres de votre équipe est impliqué dans une vendetta, aidez-le à exprimer tout ce qu'il ressent, toute la rage qui bouillonne en lui. Ne le jugez-pas, ne lui faites pas la morale. Contentez-vous de lui prêter une oreille attentive. De lui-même, il se calmera et sera moins porté à surenchérir dans la méchanceté.
> Jouez la montre. Trouvez un moyen pour empêcher le membre de votre équipe impliqué dans une vendetta de répliquer aussitôt après avoir été victime du coup retors de son adversaire. Par exemple, éloignez-le de lui, ou confiez-lui une mission qui ne lui laissera pas l'opportunité de se venger rapidement. Temporisez. Car le temps adoucit toujours les choses.
En passant, l'écrivain français Henry de Montherlant a dit dans Malatesta : «Une vengeance trop prompt n'est plus une vengeance ; c'est une riposte».
Découvrez mes précédents billets