BLOGUE. Il suffit d'un rien – un coin de ciel bleu aperçu par la fenêtre, une photo d'Amsterdam vue sur Google alors qu'on cherchait tout autre chose, un mot capté au hasard lors d'une réunion barbante,… –, et nous voilà en train de rêvasser. À des choses plaisantes, comme nos dernières vacances, ou le sourire du matin du dernier-né. À des choses déplaisantes, comme les courses à faire après la journée de travail, ou le rendez-vous avec le dentiste qu'il faut confirmer. Bref, à toutes sortes de choses.
Découvrez mes précédents posts
Suivez-moi sur Facebook et sur Twitter
Petite question : ces pensées fugaces trahissent-elles quoi que ce soit de votre état d'âme? Par exemple, le fait que vous rêveries sont agréables signifie-t-il que ce que vous faîtes, du moins ce sur quoi vous devriez être concentré, est quelque chose de facile à accomplir pour vous, disons de simple et répétitif, qui nécessite de votre part peu d'efforts intellectuels? Et inversement, le fait que votre esprit décroche pour songer à des choses déplaisantes signifie-t-il que ce sur quoi vous travaillez est complexe et ennuyeux? Ou bien, la teneur de vos rêveries ne signifie-elle rien du tout?
Deux chercheurs se sont sérieusement penchés sur la question : Clayton Critcher, professeur de marketing à Berkeley (États-Unis), et Thomas Gilovich, professeur de psychologie à Cornell (États-Unis). Le fruit de leurs recherches se trouve dans une étude passionnante intitulée Inferring attitudes from mindwandering. Celle-ci montre que vos rêveries en disent plus long sur vous que vous n'imaginez…
Ainsi, MM. Critcher et Gilovich ont procédé à cinq expériences très simples, mais riches d'enseignements. Prenons l'expérience pilote, qui visait à valider la pertinence de creuser le sujet.
Les 206 participants ont dû, dans un premier temps, répondre à un questionnaire sur leurs activités préférées dans la vie. Parmi les activités à évaluer figurait «Regarder un épisode de Bob L'Éponge». Une semaine plus tard, chaque participant a été invité à s'installer dans un cubicule pour – devinez quoi? – regarder d'affilée deux épisodes de Bob L'Éponge. Puis, chacun a été méticuleusement interrogé sur les pensées qui lui ont traversé l'esprit pendant le visionnement des deux dessins animés.
Résultat? Il y a sans l'ombre d'un doute un lien entre nos rêveries et l'intérêt que l'on porte à ce que l'on accomplit comme tâche en même temps. Car ceux qui aimaient ou détestaient Bob L'Éponge se sont mis à rêvasser plus que les autres.
Mais voilà, quel lien, au juste? C'est ce que les deux chercheurs ont voulu savoir, à l'aide de quatre autres expériences. Prenons cette fois-ci la première, la plus déterminante, les trois autres visant surtout à affiner les premiers résultats trouvés.
Il a été demandé à 213 étudiants de Cornell de lire une feuille d'instructions leur demandant de rédiger, pendant cinq minutes, tout ce qu'ils auraient fait en ce moment même, s'ils n'avaient pas été dans le laboratoire pour y participer à l'expérience. La subtilité, c'est que sans le savoir les participants ont été répartis dans deux groupes distincts. Le premier groupe a reçu une feuille d'instructions rédigée de telle manière que ses membres étaient amenés à avoir des pensées positives (il leur était demandé toutes les choses intéressantes et amusantes qu'ils auraient pu faire à la place de l'expérience). Et le second groupe, des pensées loin d'être plaisantes (il leur était demandé de citer des tâches quotidiennes nécessaires à accomplir).
Après cela, les participants ont dû se mettre à une table où un puzzle était en cours de réalisation. On leur a dit qu'ils avaient 15 minutes pour l'avancer, sans obligation de le finir. Enfin, chacun a dû donner des détails précis sur les idées qui leur étaient venues pendant qu'ils cherchaient les bonnes pièces du puzzle, ainsi que sur l'évolution de leurs états d'âme au fil de l'expérience.
Les découvertes sont stupéfiantes. Voici les principales :
– Tous les participants ont rêvassé en faisant le puzzle, à peu près à la même fréquence.
– Ceux qui étaient de bonne humeur (pensées positives avant de se mettre au puzzle) ont eu des rêveries plus agréables que les autres.
– Ceux qui étaient de bonne humeur ont considéré que leurs rêveries provenaient du fait que ce qui leur était demandé de faire (un puzzle) n'était pas intéressant.
– En revanche, ceux qui étaient d'humeur maussade (pensées déplaisantes avant de se mettre au puzzle) ont moins estimé que cela était dû au puzzle.
Intéressant, n'est-ce pas? C'est bien simple, nos rêveries trahissent l'intérêt que nous portons à la tâche que nous sommes en train d'accomplir.
Ce n'est pas tout! Les trois autres expériences ont permis aux deux chercheurs d'en apprendre davantage sur notre ennui au travail. D'après leur étude, nous considérons que nous nous ennuyons franchement dès lors que :
– Nos rêveries sont agréables;
– Nos rêveries portent sur tout autre chose que ce sur quoi l'on travaille actuellement;
– Nos rêveries portent sur plusieurs choses.
Que retenir de cela? Un truc très simple pour en savoir plus sur nous-mêmes au travail. Au moment-même où vous vous rendez compte que vous êtes en train de rêvasser – ce qui est normal et arrive plus d'une fois par jour, rassurez-vous… –, revenez un instant sur l'objet de votre rêverie. Deux possibilités :
1. Si vous songiez à quelque chose d'agréable qui n'avait rien à voir avec votre activité présente, et si vos idées passaient du coq à l'âne, alors vous vous ennuyez fortement. Que faire? Changer au plus vite d'activité, car ce que vous faites, vous le faites mal. Revenez-y plus tard, quand vous aurez la tête à ça.
2. Si vous songiez à une seule chose, et que celle-ci a un lien, même ténu, avec l'activité que vous avez, alors il s'agit d'une rêverie fructueuse. N'ayez aucun scrupule à poursuivre votre rêverie, si cela est encore possible, car elle pourrait bien vous amener à une idée géniale. D'ailleurs, quand vous y pensez bien, cela vous est déjà arrivé plus d'une fois en réunion, non?
Voilà. Il y a rêverie et rêverie. Oui, il y a les rêveries qui vous envoient un signal d'alarme, et d'autres qui vous amènent dans des sphères d'intelligence insoupçonnées. À vous, maintenant, d'en user à bon escient…
En passant, Walt Disney aimait à dire : «Pour réaliser une chose vraiment extraordinaire, commencez par la rêver. Ensuite, réveillez-vous calmement et allez d'un trait jusqu'au bout de votre rêve sans jamais vous laisser décourager».
Découvrez mes précédents posts