Nous avons tous de bonnes comme de mauvaises habitudes, et ça se vérifie tout particulièrement au travail. Par exemple, certains sont ouverts aux idées d'autrui, tandis que d'autres y sont fermés, même s'ils font semblant du contraire (je vois que des noms vous viennent en tête!). Autre exemple : certains ont la discipline de ne consulter leur boîte de courriels que deux fois par jour, alors que d'autres commencent à se sentir mal s'ils ne l'ouvrent pas toutes les heures (de nouveaux noms vous viennent en tête!).
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Nous rêverions tous d'avoir un peu moins de mauvaises habitudes et un peu plus de bonnes, n'est-ce pas? Mais nous nous trouvons démunis dès lors que nous envisageons de nous y attaquer vraiment. Moi le premier.
D'où ma joie lorsque j'ai découvert une étude intitulée The power of a bad example: A field experiment in household garbage disposal. Celle-ci est signée par deux professeurs d'économie : Robert Dur, de l'Université Érasme de Rotterdam (Pays-Bas); et Ben Vollaard, de l'Université de Tilburg (Pays-Bas). Et elle montre qu'il y a un moyen simple pour transformer une mauvaise habitude en bonne habitude. Si, si…
Les deux chercheurs ont été intrigués par un phénomène curieux quand on y pense bien : notre maniaquerie de la propreté. Au centre-ville, c'est frappant. Nous ne supportons pas la vue du moindre papier gras qui traîne par terre. Cela nous dérange tant que des employés de la Ville n'ont pour tâche quotidienne que ça, ramasser les menus détritus qui parsèment les rues commerçantes et touristiques. Ceux-ci passent plusieurs fois par jour, avec toute sorte de matériel, allant du simple balai à la voiturette high-tech capable d'aspirer tout mégot coincé dans une fente de béton.
Prenons un peu de recul, et demandons-nous si tout cela n'est pas démesuré? Oui, n'y a-t-il pas là une dépense d'énergie et de ressources excessives, pour ne pas dire absurde?
Prenons un premier raisonnement, le plus évident, le plus commun… Quand quelqu'un enfreint l'interdiction de jeter un papier sale par terre, cela a certes un impact direct mineur (faible pollution), mais cela a surtout un impact indirect majeur. Lequel? Eh bien, cela envoie le message aux autres qu'on peut le faire impunément, surtout si cela n'entraîne aucune réaction de la part des autorités : si la Ville ne redoublait pas d'ardeur pour ramasser sans relâche les détritus des belles rues du centre-ville, tout le monde se mettrait à jeter ses déchets à droite et à gauche.
Maintenant, allons un peu plus loin dans la réflexion, avec un autre raisonnement, moins évident… Et si le travail acharné des employés de la Ville avait un impact négatif? Comme, par exemple, le fait d'inciter tout le monde à polluer sans vergogne.
Je m'explique… Quelqu'un magasine dans le centre-ville et grignote une barre de céréales pour retrouver un peu d'énergie. Il se retrouve avec l'emballage collant dans les doigts. Que faire? Perdre de précieuses minutes à chercher une poubelle? Ou le jeter discrètement par terre, en se disant que : 1) la pollution va être mineure, car de faible durée puisque les employés de la Ville vont bientôt passer; 2) ce simple geste justifiera peut-être même le travail des employés concernés, qui, sinon, risqueraient d'être au chômage?
En conséquence, à sans cesse traquer le moindre déchet des rues du centre-ville, la Ville ne ferait qu'aggraver la situation, puisqu'elle "encouragerait" involontairement les citoyens à polluer à tort et à travers. Bref, à vouloir trop bien faire, elle obtiendrait l'effet contraire à celui souhaité.
Qu'en pensez-vous? Ce dernier raisonnement est-il tarabiscoté? Improbable? C'est pourtant celui qu'ont tenu MM. Dur et Vollaard avant de se lancer une expérience visant à savoir ce qu'il en était au juste.
Durant trois mois, ils ont observé quotidiennement 41 poubelles publiques d'un quartier de Rotterdam, la deuxième plus grande ville des Pays-Bas. Sur chacune d'elles ont été posé des autocollants municipaux rappelant que le dépôt illégal de déchets au sol (notamment à côté des poubelles publiques) était passible d'une amende de 115 euros (172 dollars). Et elles ont été mises aléatoirement dans des conditions différentes :
> Pour la moitié d'entre elles, il a été maintenu le service de ramassage de déchets quotidien.
> Pour l'autre moitié, le ramassage n'a été effectué par les employés de la Ville que deux ou trois fois par semaine.
Que s'est-il alors produit? Ceci :
> Apparition d'une mauvaise habitude. Les poubelles qui n'ont plus bénéficié du service de ramassage quotidien ont vu leur quantité de déchets illégaux croître de 75%. C'est-à-dire que les gens ont vite pris la mauvaise habitude de déposer leurs saletés à côté des poubelles pleines, plutôt que d'en chercher une autre où il y aurait de la place.
> Apparition d'une bonne habitude. Incommodées par les déchets illégaux, les personnes vivant au voisinage des poubelles à problèmes se sont organisé pour effectuer elles-mêmes des ramassages. Autrement dit, ceux qui étaient directement confrontés aux nuisances ont trouvé le moyen, par eux-mêmes, d'y remédier.
C'est dans cette seconde trouvaille que tient, d'après moi, tout le sel de cette étude. Une bonne habitude est née là où personne ne l'attendait. C'est-à-dire que lorsqu'une mauvaise habitude voit le jour, il y a là aussi l'occasion d'en faire naître une bonne!
Reprenons, en appliquant tout ça au bureau… Vous êtes le manager d'une équipe et vous venez de noter l'apparition d'une mauvaise habitude. Par exemple, le fait que les uns et les autres sont de moins en moins ponctuels aux réunions.
Spontanément, la première idée qui vient est de le faire remarquer à tout le monde, de marteler le message que cela n'est pas correct, et au besoin, de sévir. Et de désormais veiller au grain à ce sujet. Cette réaction correspond, on le voit bien, à celle de la Ville face aux déchets qui traînent ici et là dans les belles rues : dire que ce n'est pas correct (messages sur les poubelles), sévir (amendes) et veiller au grain (services de ramassage quotidiens).
Pourquoi pas? Mais l'ennui, c'est que l'on dépense ainsi une énergie et des ressources folles, sans pour autant obtenir la moindre bonne habitude. Comme l'étude de MM. Dur et Vollaard l'a montré.
Une meilleure idée consiste à… lâcher prise! Oui, l'idéal pour le manager est alors de ne pas prendre en mains le problème lui-même, mais de laisser les membres de son équipe s'en charger eux-mêmes. Il suffit qu'il fasse réaliser à tous les nuisances dues aux retards des uns et des autres aux réunions (une suggestion : ne rien faire du tout tant que tout le monde n'est pas là, avec interdiction de prévenir en douce le retardataire (courriel, texto,…); chacun va trouver ce quart d'heure très très long!). Et son équipe va comprendre la leçon et trouver elle-même un moyen pour que chacun renoue avec la ponctualité. Mieux, elle en fera une nouvelle bonne habitude!
En passant, l'écrivain américain Mark Twain disait : «On ne se débarrasse pas d'une habitude en la flanquant par la fenêtre; il faut lui faire descendre l'escalier marche par marche».
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