BLOGUE. L’innovation, tout le monde ne jure que par ça, n’est-ce pas? Innovation par-ci, innovation par-là, innovation partout. À en avoir mal au crâne. Mais qu’entend-on vraiment par innovation? Généralement, le trait de génie qui fait pousser un grand «Eurêka!», et par suite la méthode utilisée pour y parvenir. C’est bien beau, mais c’est oublier une interrogation fondamentale : et après? Eh oui, et après avoir fait une trouvaille remarquable, comment s’y prend-on pour en faire une nouvelle?
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Bien souvent, le réflexe que nous avons tous est de réutiliser la recette secrète qui nous a mené au succès la première fois. On se dit qu’il n’y a pas de raison que ça ne fonctionne pas au moins une autre fois. Cette recette repose en général sur trois ingrédients principaux que chacun dose à sa façon :
> L’individu. L’innovation radicale provient d’une personne particulièrement créative.
> Le collectif. L’innovation est le fruit d’un travail d’équipe.
> La technologie. L’innovation découle d’une utilisation judicieuse de la technologie, ne serait-ce que pour déceler des tendances émergentes.
Le hic dans cette approche? Son classicisme. Comme tout le monde a recours aux trois mêmes ingrédients, le résultat finit par être toujours à peu près identique. Résultat : les innovations deviennent prévisibles, autrement dit, de moins en moins radicales. Un peu comme le prochain iPhone d’Apple, dont tout le monde sait déjà quelles seront les nouveautés apportées par rapport à la version précédente…
Le problème est bel et bien qu’après avoir innové une fois, il est très complexe de véritablement innover encore une fois. Et ce, en raison du fait qu’on évolue dans une méthode routinière pour innover.
D’où l’immense intérêt d’innover dans sa façon d’innover! Et je crois en avoir trouvé le moyen, dans une étude intitulée Question of maintaining innovative activities: Proposing a cognitive grid of creativity et signé par deux professeures françaises de management, Cécile Ayerbe, de l’ESC Montpellier, et Cécile Fonrouge, de l’Institut de recherche en gestion de l’Université Paris-Est. Celle-ci montre que l’on peut faire preuve de créativité tout autrement…
Ainsi, on peut voir l’innovation comme découlant de la masse de connaissances dont dispose une équipe et de la manière dont elle l’exploite, d’après les deux chercheuses. Pour innover en permanence, il convient dès lors de réorganiser sans cesse ses connaissances. Il s’agit là d’une approche dite «cognitive»…
Maintenant, comment s’y prendre pour «réorganiser ses connaissances»? Pour le savoir, Mmes Ayerbe et Fonrouge ont analysé la manière dont s’y sont prises cinq PME françaises pour enchaîner les innovations. Ces PME étaient : Pellenc, spécialisée dans le matériel nécessaire pour la culture d’arbres; Istar, dans les images par satellite; Innovtech, dans les instruments de mesure; Syntex, dans les images de synthèse; et IDM, dans la biopharmaceutique. Elles ont, au fil des années, conçu et mis au point différentes innovations, certaines découlant des précédentes, d’autres, pas forcément.
Les deux chercheuses ont procédé à des entrevues avec une douzaine d’employés clés de chacune des PME et ont eu accès aux dossiers de leurs innovations. La difficulté étaient d’identifier les données pertinentes pour le sujet qui les intéressait. Elles ont, bien entendu, réussi à les surmonter, et ont découvert qu’il y avait grosso modo trois processus de réflexion qui étaient mis en branle dans chacun des cas :
> La méthode analogique. Une analogie est une ressemblance. Cette méthode consiste donc à chercher une similitude entre des choses et des idées de nature différente, et dans le cas présent, à transférer les connaissances acquises à l’occasion de la première trouvaille dans un autre projet.
> La méthode déductive. Une déduction logique est une analyse d’une situation donnée dans le but d’en tirer des conclusions. Elle est l’occasion de repenser les bases fondamentales ou les stratégies utilisées de longue date par l’équipe, pour faire du neuf, comme, par exemple, découvrir qu’on aurait dû exploiter un marché depuis longtemps, mais faute d’y avoir réfléchi, on ne l’avait jamais fait.
> La méthode inductive. L’induction est l’envers de la déduction, en ce sens qu’elle produit de nouvelles connaissances. Elle a ici pour fonction essentielle de casser les habitudes et la routine, et donc, par exemple, d’améliorer la façon de travailler en en trouvant une nouvelle, plus performante.
La question saute à l’esprit : quelle est la méthode la plus efficace? La réponse, la voici : «Notre étude montre clairement que la méthode analogique joue un rôle primordial dans le flux d’innovations des PME réputées pour leur créativité», indiquent Mmes Ayerbe et Fonrouge. Cela étant, les deux autres méthodes interviennent systématiquement dans chaque trouvaille, même si leur rôle est moins prépondérant. Bref, il faut les trois, mais surtout l’analogie.
Subtil, n’est-ce pas? Le mieux, pour innover continuellement, est de procéder par analogie, c’est-à-dire de transférer les connaissances acquises dans un autre projet, telles quelles, sans trop chercher à vouloir changer par la même occasion les membres de l’équipe et la stratégie qui leur permet d’agir. Il suffit de faire confiance à ceux qui ont connu du succès : ils sauront s’adapter aux exigences du nouveau défi à relever. Oui, ils sauront exceller, une fois de plus.
Certes, il convient de veiller à ce que la routine ne s’installe pas au sein de l’équipe, ou encore à ce que leurs efforts ne se dispersent pas à vouloir révolutionner tout ce qui a déjà été fait. Il faut empêcher le «gaspillage d’énergie». Et pour cela, leur donner comme mission d’innover à partir de ce qui existe déjà. C'est aussi simple que ça.
En passant, Johann Wolfgang von Goethe a dit, un jour, une phrase plus intelligente qu’il n’y paraît à première vue : «Souffler dans la flûte, ce n’est pas en jouer. Il faut aussi bouger les doigts»…
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