BLOGUE DEPUIS C2-MTL. J'ai eu le privilège de rencontrer le designer Chris Bangle à l'occasion de l'événement C2-MTL, à savoir l'homme qui a été à la tête du design de BMW de 1992 à 2009, oui, l'homme que la plupart des designers considèrent aujourd'hui comme un génie. Ni plus ni moins.
Découvrez mes précédents billets
Suivez-moi sur Facebook et sur Twitter
Cette chance, je l'ai d'autant plus savourée que j'avais écrit sur lui il y a un peu plus de deux ans, aux débuts du blogue «En Tête». J'avais alors parlé de son idée – vraiment géniale, je le souligne – de design leadership. De quoi? De design leadership, qui est grosso modo l'adaptation du design thinking – un concept très à la mode depuis quelques années, qui considère qu’on a tout intérêt à appliquer l’approche des problèmes et la méthode de travail utilisées par les designers au milieu des affaires – au management, et en particulier à la gestion d'une équipe de travail.
À C2-MTL, il n'a pas parlé de design leadership, mais de tout autre chose : sa manière d'innover radicalement en dépit des bâtons qu'on lui met toujours dans les roues : les limites de budget, les réflexions du genre «C'est bien beau, ça, mais ça ne correspond pas du tout à l'esprit de notre marque», et autres «Vous croyez franchement qu'un truc pareil, ça peut se vendre?». Une préoccupation – j'en suis sûr – qui vous est quotidienne...
Innover radicalement? Un petit retour en arrière sur la carrière de Chris Bangle s'impose, pour bien le saisir... Jeune designer passionné d'automobile, il s’est vite fait remarquer par son design de la Fiat Coupé, jugé à l’époque comme «original» et «osé». Il s’est alors fait recruter par BMW, et est devenu responsable en 1992 du design de toutes les marques du constructeur automobile allemand, à savoir BMW, Mini et Rolls-Royce. Il s’est rapidement distingué, notamment avec le Z9 Gran Turismo, mais aussi avec un projet longtemps tenu secret : Gina.
Gina est l’acronyme de Geometry and Functions In «N» Adaptations. Il découle d’un concours interne à BMW qui a débuté en 1999, où chacun était invité à présenter ce à quoi ressembleraient les voitures de demain. Fernando Pardo, l’un des designers, a alors eu la brillante idée, d’après M. Bangle, de remettre en question le dogme selon lequel l’habitacle des voitures devait forcément être forcément rigide et souple à la fois, histoire de résister aux chocs et de les atténuer. Et lui de proposer à la place… des vêtements! Si, si, de remplacer la carrosserie par un revêtement protecteur malléable comme peut l'être un vêtement, que l'on pourrait même installer soi-même au besoin, sans avoir à faire appel pour cela à un garagiste.
L’idée a fait son chemin, au point d'influencer tous les projets de BMW durant les années 2000, par petites touches. C’est d'elle que sont venues les lignes magnifiques et ingénieuses des modèles du constructeur allemand de cette décennie-là. Un prototype en est même né, dénommé Gina, servant de matière à réflexion aux designers de la boîte. Jusqu’à ce jour de 2008 où un vidéo du mystérieux véhicule a été mis en ligne sur YouTube, dévoilant le grand secret de BMW. «C'était beaucoup plus qu’un concept car, c'était carrément une nouvelle philosophie du design», a-t-il dit à l'époque.
Pas mal, n'est-ce pas? Chris Bangle a réussi le tour de force d'innover dans un milieu où l'on considérait que, aérodynamisme oblige, les automobiles étaient appelées à toutes se ressembler, et même à aller plus loin que ça, en réinventant l'idée que l'on se faisait de ce que devait être une voiture. Chapeau bas!
Alors? Son secret pour innover furieusement? Il tient en cinq étapes, comme il l’a expliqué à C2-MTL...
1. Chercher les "-ismes" de la marque. «Quand vous voulez innover pour une marque, que celle-ci soit liée à un produit ou à un service, il convient de commencer par réfléchie sur ses propres forces, sur ce qui la distingue vraiment des autres. Par exemple, ce qui caractérise BMW n'a rien à voir avec ce qui caractérise, disons, Fiat ou Rolls-Royce», explique Chris Bangle. Comment identifier ces forces-là? «En trouvant les "-ismes" de la marque, c'est-à-dire les termes que connotent son image et sa mission», ajoute-t-il. Des termes comme, prenons l'exemple de BMW, "perfectionnisme" et "élitisme".
2. Trouver la métaphore de la marque. «Une fois les "-ismes" identifiés, il faut élaborer à l'aide de ceux-ci une phrase qui résume toutes les idées que ceux-ci véhiculent. Il faut trouver la métaphore de la marque, à savoir l'illustration verbale de celle-ci. Son slogan, si vous voulez», dit-il.
3. Trouver les opposés extrêmes. «Maintenant, il faut imaginer deux versions du produit ou du service qui sont les plus contraires possibles, dans les limites fixées par la métaphore de la marque. Dans le cas de BMW, on pourrait imaginer d'un côté une voiture décapotable, et de l'autre, une familiale», indique-t-il.
4. Admirer la vue. «À quoi mène l'exercice précédent? À avoir une vue grandiose de l'étendue des possibilités offertes par la marque. Au départ, tout le monde imaginait a priori que le spectre d'innovation était réduit, mais cette impression était fausse. Car personne ne bénéficiait d'une vue aussi spectaculaire, pour ne pas dire vertigineuse», dit Chris Bangle. Et d'ajouter : «À ce stade-ci, on a tout intérêt à rendre cette vue accessible à tous, à permettre à chacun de visualiser l'étendue des possibilités, pour bien la comprendre. Dans le cas de l'automobile, ça peut se faire par des croquis de différentes sortes de voitures spécifiques à la marque».
5. Jouir de sa singularité. «Grâce à toute cette expérience, chacun dispose d'une meilleure compréhension de la singularité de la marque, de ce qui fait vraiment sa force, de ce vers quoi elle peut aller pour innover encore et encore. C'est là le vrai point de départ de l'aventure. Il ne reste plus qu'à retrousser ses manches», dit-il.
Voilà. Tel est le truc de Chris Bangle pour innover quand personne ne croit vraiment que c'est possible. Tel est le truc – je l'espère – qui va vous permettre d'innover à votre tour.
En passant, Albert Einstein aimait à dire : «Inventer, c'est penser à côté».
Découvrez mes précédents billets