Vols, gaspillages, négligences… Les mauvais comportements sont innombrables au travail, même si la plupart du temps ils échappent à notre attention. D’ailleurs, chacun de nous en est coupables : par exemple, qui n’a jamais emmené à la maison un crayon ou un carnet du bureau (par pure inadvertance, bien sûr…)? Ou qui ne s’est jamais éloigné de l’imprimante, en sifflotant pour se donner un air innocent, après avoir malencontreusement déclenché un bourrage de feuilles de papier? Hein?
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Or, ces mauvais comportements ont, en vérité, un impact notable sur la performance d’une équipe, voire d’une entreprise. Pour le réaliser, il suffit de penser aux conséquences que peuvent avoir des gestes comme ceux-ci : un mécanicien d’une flotte de camions municipaux qui, pour mille et une mauvaises raisons, néglige de vérifier les plaquettes de frein; un employé de boutique de vêtements qui, pour mille et une mauvaises raisons, dérobe un T-shirt par semaine; un cuisinier qui, pour mille et une mauvaises raisons, a l’habitude de jeter à la poubelle les aliments en trop, au lieu de les mettre au frigo pour les réutiliser dans un autre plat. Ces exemples sont à l’échelle individuelle, imaginez ce que ça donne à l’échelle de l’ensemble des employés. Ça fait froid dans le dos!
Comment corriger le tir? Eh bien, je pense avoir déniché une voie intéressante à explorer à ce sujet, dans un livre qui n’a pourtant rien à voir avec le management. Il s’agit de Tout ce que les publicitaires ne vous disent pas (Les Éditions La Presse, 2015), d’Arnaud Granata (Infopresse) et de Stéphane Mailhiot (lg2), les deux chroniqueurs de l’émission de radio Médium large spécialisés dans l’actualité des marques et des médias. S’y trouve en effet un billet sur le marketing comportemental, un billet si inspirant que je vais me faire un plaisir d’en partager la substantifique moelle avec vous…
Le marketing peut-il nous inciter à adopter un meilleur comportement?
«Dans le village de LaVerne, aux États-Unis, une note a été apposée à la porte des 120 maisons pour informer chacun du nombre de voisins participant au recyclage des ordures ménagères et de la quantité ainsi recyclée. Résultat : les ordures triées ont augmenté de 19% dans tout le village à la suite de cette opération.
«Pourquoi? Non seulement parce qu’un déterminant majeur de nos choix - la norme sociale - a joué, en raison de ce qu’on appelle ‘l’effet de pair’, mais aussi parce qu’un autre déterminant est entré en jeu, à savoir le petit ‘coup de pouce’ que représentait la note affichée sur chaque foyer. Eh oui, nous avons une tendance naturelle à imiter le comportement de nos amis, voisins, collègues.
«C’est cette tendance qui fait l’objet de la théorie du nudge marketing (le marketing coup de pouce, ou incitatif, en français) : donner des raisons d’agir, de changer de comportement. (...) Les nudges sont des incitations - donc, de fortes recommandations non obligatoires, il faut le souligner - qui visent à rendre le comportement de la personne visée plus vertueux. La plupart du temps, on nudge dans un souci de chasse au gaspillage, ou pour faire des économies. En bref, vendre une idée sans contraindre.
«L’ambition de ce procédé est d’aider les individus à faire de meilleurs choix. Il s’agit de coups de pouce non contraignants, qui modifient nos comportements, sans créer d’interdit.
«À l’origine du concept, un économiste, Richard Thaler, et un juriste, Cass Sunstein. Leur thèse : en tant que citoyens consommateurs, nous sommes très loin de faire des choix rationnels et vertueux. Par exemple, plusieurs fument même si les dangers du tabac sont connus; et une campagne d’information, aussi efficace soit-elle, ne suffit pas toujours à faire ‘écraser’.
«L’ouvrage des deux Américains, publié en 2008, Nudge - Improving decisions about health, wealth and happiness, est devenu un best-seller, et a inspiré plusieurs politiques publiques adoptées par l’administration Obama. Idem, le premier ministre britannique David Cameron a créé une nudge unit dès 2010, dirigée par Richard Thaler. Il a été imité en 2009 par Barack Obama, qui a embauché Cass Sunstein pour diriger sa nudge squad sur des questions liées à la santé et à l’économie.
«Voici quelques exemples de nudges salués pour leur efficacité:
> Pour promouvoir une alimentation équilibrée et lutter contre l’obésité des enfants, des cantines scolaires ne privent pas les enfants de desserts riches en calories : elles se contentent de rendre les fruits plus accessibles que le reste sur les tablettes. Résultat : l’effort requis pour se procurer les gâteaux a fait augmenter la consommation de fruits.
> Pour faire diminuer la pollution par les sachets en plastique, il est plus efficace de ne pas en mettre à disposition aux caisses des magasins : les clients se voient ainsi obligés à en faire la demande. Un coup de pouce qui s’est avéré bénéfique plus la planète (et pour la rentabilité des grandes surfaces).
> Pour réduire leurs frais de messagerie, des banques, plutôt que d’envoyer des factures papier par la poste tout en incitant les gens à les recevoir par courriel, font payer une somme marginale pour la facture papier. Le coût apparaissant sur la facture incite fortement le client à appeler immédiatement pour la recevoir par courriel.
> Pour inciter ses clients à réutiliser les serviettes, un hôtel a apposé une affichette où il est écrit : ‘75% des personnes ayant occupé cette chambre avant vous ont utilisé leurs serviettes de bain plusieurs fois. Vous pouvez vous joindre à eux en réutilisant vos serviettes durant votre séjour. Vous protégerez ainsi l’environnement’. Résultat : de 40 à 50% plus de clients ont réutilisé leurs serviettes.
> Messieurs, avez-vous récemment remarqué la présence d’un objet ludique au fond de certains urinoirs? Une mouche, ou un but de soccer? Quelle en est la raison, d’après vous? Eh bien, il s’agit d’encourager les hommes à mieux viser, histoire de réduire les dépenses en nettoyage. De fait, cela a permis de diminuer celles de l’aéroport Schiphol d’Amsterdam (Pays-Bas) de 80%.»
Fascinant, n’est-ce pas? Ainsi, le nudge est une technique éprouvée pour changer les mauvais comportements. Il suffit par conséquent de donner un petit coup de pouce dans le bon sens pour que chacun de nous, vous comme moi, se mette à mieux agir. C’est-à-dire à faire de meilleurs choix lorsqu’il nous faut prendre une décision aux conséquences que, la plupart du temps, on refuse de voir.
Que retenir de tout cela? C’est assez simple, me semble-t-il :
> Qui entend inciter ses employés à adopter un meilleur comportement au travail se doit de leur donner un petit coup de pouce pertinent. C’est-à-dire qu’il lui faut trouver l’argument imparable qui incitera chacun à, d’une part, prendre conscience de ses mauvais choix habituels, et d’autre part, changer de comportement. Un exemple concret, parmi tant d’autres : l’envoi à chacun d’un courriel dont le message serait similaire à celui adressé aux habitants de LaVerne, visant à ce que chacun, de manière délibérée, décide de moins imprimer de documents que d’habitude.
Voilà. À vous de jouer! je suis convaincu qu’en y pensant bien vous trouverez mille et un petits coups de pouce à donner ici et là.
En passant, le philosophe latin Sénèque aimait à dire : «C'est la marque d'une âme grande et belle, de ne chercher d'autre fruit du bienfait que le bienfait lui-même».
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