BLOGUE. Avez-vous remarqué que lorsque nous sommes en danger notre vraie nature se révèle à nous (et aux autres aussi, par la même occasion…)? Celui qui affiche toujours une mâle assurance sent soudain ses jambes trembler sous lui. Celui qui qui a l’habitude de foncer a brusquement envie de fuir à toute vitesse. Et celle qui n’arrive généralement jamais à se décider prend alors une excellente décision, d’un coup, sans y avoir réfléchi deux secondes. Pas vrai?
Découvrez mes précédents posts
Au travail, la notion de péril est plutôt floue : nous ne courons pas de risque réel pour notre vie, en général. Cela étant, nous connaissons des situations risquées presque chaque jour : signer ou pas un contrat avec un gros client, trancher dans un débat houleux à propos d’un projet d’importance, etc. C’est bien simple, il nous faut quotidiennement prendre des décisions dans des conditions qui sont loin d’être idéales, où il faut tantôt nous fier à notre intuition, tantôt à notre raison. Et c’est pourquoi nous évoluons, souvent sans le savoir, en plein dans le paradoxe d’Allais…
Le paradoxe d’Allais? Je vais tenter de vous l’expliquer le plus simplement possible. Vous allez voir que ça en vaut vraiment la peine, car cela devrait vous permettre, à l’avenir, de prendre de meilleures décisions…
Maurice Allais, qui est décédé il y a pile un an, est le seul Français à avoir reçu le Prix Nobel d’économie. Il est surtout connu pour le paradoxe qu’il a mis au jour expérimentalement dans les années 1950 : quand le risque est élevé, les gens se concentrent plus sur la prime de risque que sur le risque lui-même. Un paradoxe qui remet partiellement en cause la théorie de l’utilité comparée, qui veut grosso modo que l’être humain agit toujours pour son plus grand profit, et ce, en usant toujours de sa raison.
Une récente étude s’est appuyée sur le paradoxe d’Allais pour en savoir un peu plus sur la manière dont nous prenons, vous comme moi, nos décisions lorsque nous sommes sous pression. Intitulée Predictably Rational : When reducing resources increases rationality, elle est signée par deux professeurs de marketing, Kelly Goldsmith, de la Kellogg School of Management, et On Amir, de la Rady School of Management.
L’étude repose sur deux expériences, dont la première est l’exacte réplique de celle d’Allais… Il a été ainsi proposé à 505 personnes réparties en deux groupes de participer à une loterie de leur choix, le premier groupe devant mémoriser un nombre de 10 chiffres durant toute l’expérience, et le second n’ayant rien à garder en mémoire :
> Loterie A : 100% de chances de gagner un chanson sur iTunes.
> Loterie B : 89% de chances de gagner une chanson sur iTunes; 1%, 1 point (qui ne sert à rien, en fait); 10%, 5 chansons gratuites sur iTunes.
Puis, il leur a ensuite été demandé de choisir encore entre deux autres loteries :
> Loterie C : 89% de chances de gagner 1 point; 11%, une chanson gratuite sur iTunes;
> Loterie D : 90% de chances de gagner 1 point; 10%, 5 chansons gratuites sur iTunes.
Voilà pour la méthodologie. Pour bien comnprendre ce qui va suivre, je vais détailler un peu le paradoxe d’Allais, du moins ce que l’économiste a découvert à travers ses propres expériences…
En règle générale, une grande partie des personnes préfèrent la loterie A, qui procure un gain certain, et ce, même si l'espérance de gain de la loterie B est supérieure : 5 chansons gratuites. De plus, les mêmes personnes qui préfèrent A à B choisissent dans la plupart des cas la loterie D à la loterie C. Pourquoi? Semble-t-il parce que D procure en cas un gain significativement plus important que C pour une probabilité de non-gain à peine plus forte.
Ce comportement paradoxal viole l’axiome d’indépendance de la théorie de l’utilité comparée, puisque selon celui-ci, si A est préféré à B, alors C devrait être préféré à D, ce qui n’est pas le cas en pratique.
Que croyez-vous qu’il s’est passé dans l’expérience de Mme Goldsmith et de M. Amir? Je vous le donne en plein dans le mille : 27% de ceux qui n’avaient aucun effort de mémoire à faire ont commis l’erreur A-D, et 37% de ceux qui avaient le nombre à retenir en tête ont fait la même erreur. Un écart considérable de 10 points de pourcentage. «Cela montre que moins nous avons de choses en tête, plus nous sommes en mesure d’agir de manière rationnelle», indiquent les deux chercheurs dans leur étude.
Dans la seconde expérience, 100 étudiants d’une université américaine ont dû indiquer quel type d’opération de promotion avait leur préférence pour une marque fictive de boisson gazeuse. Les choix qui leur étaient proposés étaient semblables à ceux de l’expérience précédente. Une nuance, cette fois-ci : il était émis au préalable à une partie seulement des étudiants une recommandation particulière, «S’il-vous-plaît, prenez le temps de bien réfléchir à chacune de vos réponses avant de la donner».
Résultat? Ceux qui ont été prévenu de faire attention à leurs choix ont fait preuve d’une plus grande aversion à l’incertitude que les autres. «Ces deux expériences tendent à montrer que, sous pression, nous nous montrons moins rationnels qu’en temps normal et que nous avons alors davantage tendance à nous fier à notre intuition», expliquent les deux chercheurs.
«Notre étude a ceci d’intéressant qu’elle suggère que la manière dont nous faisons nos choix a une incidence sur nos décisions elles-mêmes, en ce sens qu’elle affecte notre tolérance à l’incertitude», poursuivent-ils. De fait, cette étude nous apprend que l’idéal pour prendre une bonne décision en situation difficile est de limiter les informations disponibles et de ne pas réfléchir ad vitam eternam, c’est-à-dire, pour simplifier, de «ne pas se prendre la tête»…
Intéressant, non? Au milieu du siècle dernier, Maurice Allais a mis en évidence notre comportement paradoxal, ou pour le dire autrement, le fait que l’être humain n’est pas que raison. Et voilà qu’en ce début de XXIe siècle on découvre que ce «paradoxe» peut nous permettre de faire des choix plus judicieux…
Le gourou du développement personnel Dale Carnegie aimait à dire : «Il y a toujours deux raisons pour faire quelque chose : une bonne raison et… la vraie raison!»
Découvrez mes précédents posts