Lorsque nous entrons en compétition avec autrui, nous avons, bien entendu, la ferme intention de gagner. C'est normal. Ce qui nous pousse à prendre des risques, davantage qu'à l'habitude. C'est logique. Et plus la compétition est intense, plus nous sommes appelés à prendre de risques. Jusqu'à ce que l'un des deux en prenne trop, et perde.
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On le voit bien, celui qui l'emporte est donc celui qui a su prendre juste assez de risques, mais pas trop, pour inciter l'autre à faire, lui, l'erreur de prendre trop de risques. C'est finalement celui qui a su raison garder en pleine déraison.
D'où l'interrogation existentielle suivante : comment s'y prendre pour garder la tête sur les épaules en pleine tourmente? C'est justement ce à quoi répond une étude intitulée Does competition make banks more risk-seeking?, signée par Stefan Arping, professeur de finance à l'Université d'Amsterdam (Pays-Bas).
Le chercheur néerlandais a concocté un modèle de calcul économétrique visant à déterminant la meilleure attitude à adopter par une banque lorsqu'elle investit dans un marché ultracompétitif. On peut présenter ce modèle comme suit :
> La banque est composée d'investisseurs aux poches profondes.
> À chaque période de temps qui passe, elle compte un investisseur de plus, riche de 1$.
> Elle investit aussitôt ce nouveau dollar : soit dans un marché payant, mais de plus en plus risqué à mesure que le temps s'écoule; soit dans un marché moyennement payant, présentant un risque constant.
> Son but : s'enrichir de plus en plus, au fil du temps.
M. Arping s'est ensuite lancé dans les calculs et a ainsi découvert deux choses intéressantes :
> Plus la compétition s'intensifie, plus la banque a intérêt à prendre des risques. Pourquoi? Parce que plus elle a investi dans le marché en question, plus il lui est coûteux de ne pas en sortir gagnante. Autrement dit, non pas l'appât du gain, mais plutôt la crainte de la perte pousse la banque à prendre de plus en plus de risques.
> Plus la compétition s'intensifie, plus la banque a intérêt à faire preuve de prudence. Pourquoi? Parce que plus la compétition est forte, plus les risques sont élevés et, donc, plus la probabilité de rater le meilleur placement s'accroît. En conséquence, l'idéal quand la compétition devient vraiment féroce, c'est de rivaliser de… prudence!
Tout cela paraît a priori contradictoire, n'est-ce pas? D'un côté, la compétition amène logiquement à tenter de plus en plus fort de gagner. De l'autre, elle incite à se montrer prudent pour s'assurer de ne pas perdre.
Alors? Quelle est la meilleure attitude à adopter au plus fort de la compétition? M. Arping a poussé encore plus loin son modèle de calcul et a fini par mettre au jour quelque chose de fascinant :
> Mieux vaut tenter de ne pas perdre que tenter de gagner. Quand on est en compétition avec autrui, le meilleur moyen pour l'emporter consiste à rester raisonnable plus longtemps que lui. C'est donc une question de mental. Plus précisément, une question de mentalité : la banque qui s'en sort toujours mieux que les autres est celle qui a en tête l'idée de ne pas perdre, non pas celles qui ont en tête l'idée de gagner.
Pourquoi? Je vais tâcher de vous l'expliquer le plus simplement possible, même si ce n'est pas évident… Plus le temps passe, plus la compétition gagne en intensité. Car chacun a de plus en plus à cœur de l'emporter sur les autres, et est donc prompt à faire ce qu'il faut pour cela, y compris prendre des risques démesurés, pour ne pas dire inconsidérés.
Mais voilà, plus le temps passe, plus la compétition gagne en intensité et… plus le gain potentiel va en régressant, compte tenu des efforts fournis pour l'emporter! C'est-à-dire que plus on se bat, moins le gain objectif devient intéressant!
Je vais vous donner un exemple pour saisir… Imaginez une classe d'enfants à qui on promet un sac de bonbons au meilleur d'entre eux. Comment déterminer lequel est le meilleur? Par une série d'épreuves : d'abord une course sur 50 mètres, dont on ne garde que les 10 premiers; puis du saut en hauteur, dont on ne garde que les 5 premiers; puis une dictée, dont on ne garde que les 3 premiers; puis un exercice de mathématiques, dont on ne garde que les deux premiers; ces deux-là sont si excellents qu'on peine à les départager, et il leur faut encore aller d'épreuve en épreuve.
La question saute aux yeux : un sac de bonbons mérite-t-il vraiment tous ces efforts? La réponse objective est : non. Surtout à mesure que le temps passe, et que les épreuves s'enchaînent. Car à un moment donné, trop c'est trop, et les compétiteurs finissent par se lasser, par se démotiver, par baisser les bras.
Voilà pourquoi l'idéal n'est pas de chercher à l'emporter à tout prix, mais de chercher à ne pas perdre. On reste ainsi dans la course, de manière sereine, conscient de ses forces et de ses faiblesses. Ce qui nous procure l'avantage de ne pas trébucher au mauvais moment, en raison d'une trop grande prise de risques.
Que retenir de tout cela? Ceci :
> Sérénité. Ceux qui savent garder la tête sur les épaules en pleine tourmente ont un truc. Lequel? Ils adoptent au moment critique une mentalité particulière : ils cherchent non pas à gagner, mais à ne pas perdre. Une nuance de taille! Car le souci de ne pas perdre leur permet de continuer de raisonner alors que la situation s'y prête a priori de moins en moins. Car ce souci-là leur permet de faire preuve de prudence, du moins davantage que les autres. Car enfin ce souci va tout de même leur procurer l'énergie nécessaire pour rester dans la course au même niveau que les autres, jusqu'à ce que ceux-ci finissent par commettre l'erreur qui leur sera fatale.
Subtil, n'est-ce pas? À vous, maintenant, de mettre ce truc en application. Et de m'en donner des nouvelles.
En passant, le fabuliste français Jean de La Fontaine a dit dans Le Héron : «On hasarde de perdre en voulant trop gagner».
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