BLOGUE. Est-ce que je me trompe quand je dis que les hommes, en général, se comportent comme de petits coqs lorsqu'ils travaillent ensemble? Vous savez, ce comportement emprunt de virilité et de fierté qu'ils adoptent dès lors qu'il s'agit d'atteindre un but en groupe. Oui, ce comportement qui repose plus sur la rivalité et l'esprit de compétition que sur la coopération et l'entraide.
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Et est-ce que je me trompe toujours en disant que cette attitude n'est pas forcément la meilleure, du point de vue de la productivité et de l'efficacité? Hum… Je ne dois pas me tromper de beaucoup, je pense, n'est-ce pas?
Maintenant, il serait intéressant de savoir comment on pourrait s'y prendre pour qu'une équipe de gars mise davantage sur la coopération et moins sur la performance individuelle. Car – c'en est presque devenu un lieu commun – les meilleures équipes de soccer sont toujours celles qui jouissent d'une parfaite union des forces individuelles (on peut penser à l'équipe d'Espagne, qui gagne compétition après compétition sans avoir de joueur vedette), et non celles qui détiennent un illustre champion (on peut penser à l'équipe d'Argentine, qui compte dans ses rangs l'un des plus grands joueurs de tous les temps, Lionel Messi, mais qui ne va jamais bien loin dans les compétitions internationales).
La réponse à cette interrogation, je crois l'avoir trouvée, dans une étude intitulée A putative human pheromone, androstadienone, increases cooperation between men. Celle-ci est signée par Markus Rantala, professeur de biologie à l'Université de Turku (Finlande), et Paavo Huoviala, étudiant en psychologie à la même université. Elle montre qu'il existe un moyen ultrasimple d'y parvenir…
Les deux chercheurs finlandais avaient l'idée d'observer si une hormone typiquement masculine – l'androstadiénone, un dérivé de la testostérone qui est secrété par la sueur, 20 fois plus chez les hommes que chez les femmes – pouvait avoir une influence sur le comportement des hommes. Pourquoi ont-ils eu cette idée? Parce qu'on connaît fort peu de choses à son sujet, si ce n'est que les femmes y sont, dans certaines conditions, assez sensibles (sentir cette hormone les détend et les rend plus disposées à faire l'amour, par exemple).
MM. Rantala et Huoviala ont demandé à 40 volontaires, que des hommes dans la vingtaine, de jouer individuellement à différents jeux sur ordinateur :
> Le premier jeu était celui dit de L'Ultimatum. Le participant se voyait attribuer une somme de 10 euros et devait décider quelle part il gardait pour lui et quelle part il donnait à un autre joueur en ligne, sachant que ce dernier était libre d'accepter l'offre (en ce cas, le partage se faisait) ou de la refuser (en ce cas, aucun des deux ne reçoit d'argent).
> Le deuxième jeu était également celui de L'Ultimatum, mais cette fois-ci le participant était le second joueur, celui qui accepte ou refuse l'offre qui lui est présentée.
> Le troisième jeu était celui du Dictateur. Ce dernier est une variante de L'Ultimatum, dans laquelle le second joueur n'a rien à dire ou à faire : il se doit d'accepter l'offre qui lui est faite, aussi injuste soit-elle. Le participant jouait le rôle du dictateur.
On le voit bien, le but de ces petits jeux était d'évaluer la générosité et l'esprit de coopération des participants, sachant que tous n'étaient pas logés à la même enseigne :
> Avant chaque partie, la moitié des participants devaient se prêter à un petit rituel : prendre 20 respirations de cinq secondes dans un pot qui renfermait une poudre blanchâtre. Que contenait cette poudre? Un mélange de levure et d'androstadénione, l'hormone dégagée par les dessous de bras des hommes en sueur. (Pour masquer l'odeur particulière de cette hormone, la poudre avait été parfumée…)
> Quant à l'autre moitié, elle devait suivre le même rituel, mais il n'y avait cette fois-ci que de la levure, rien d'autre, dans le pot.
Résultats? Impressionnants…
> Plus généreux. Dans le premier jeu, ceux qui ont respiré de l'androstadénione ont offert en moyenne 50 cents de plus que les autres, dont l'offre moyenne avait été de 5 euros.
> Plus coopératifs. Dans le deuxième jeu, ceux qui ont respiré de l'androstadénione ont accepté des offres inférieures en moyenne de 50 cents par rapport à celles des autres, qui ont été en moyenne de 3 euros.
> Incidence de la testostérone. Plus les hommes produisent de testostérone, plus ils sont sensibles à l'androstadénione, et donc plus ils sont généreux et coopératifs.
«À notre connaissance, c'est la première étude qui montre que l'androstadénione agit sur le comportement des hommes. On peut avancer qu'une des raisons qui font que cette hormone augmente la générosité et la coopération entre hommes est due à l'évolution de notre espèce : la coopération, plutôt que l'agression, avec des individus de même sexe confère un évident avantage de survie», indiquent les deux chercheurs finlandais dans leur étude.
Cela étant, MM. Rantala et Huoviala sont allés un peu plus loin dans leur analyse, en ayant la curiosité d'identifier le profil des personnes les moins coopératives quand il y a de l'androstadénione dans l'air. Et ils ont trouvé quelque chose d'intéressant :
> Les moins généreux et les moins coopératifs. Ce sont ceux qui produisent le moins de testostérone.
Pourquoi eux? Essentiellement parce que ceux qui produisent le moins de testostérone sont ceux qui sont les moins battants, qui sont le moins dans le jeu. «Ceux-là ont le réflexe d'aller chercher le gain immédiat, le plus facile à atteindre, par crainte de ne pouvoir continuer le jeu au même rythme que les autres. Plus individualistes, ils se montrent nécessairement plus opportunistes, et donc moins généreux et coopératifs», avancent les deux chercheurs de l'Université de Turku.
Que retenir de tout cela? Que pour être plus coopératifs au bureau, les gars feraient bien de transpirer un peu et de se renifler sous les bras? Pas sûr, comme l'a expliqué Jan Havlicek, professeur d'anthropologie à l'Université Charles de Prague (République tchèque), au magazine Science : «La concentration d'androstadénione respirée par les participants à cette expérience était très élevée, beaucoup plus que ce que produit un être humain. On ne peut donc pas s'attendre à de tels effets dans une situation réelle», a-t-il noté.
Alors? Tout ça pour ça? Non, bien sûr. Ce qu'il faut dégager de la trouvaille de MM. Rantala et Huoviala, c'est que les hommes sont sensibles – et on ne le savait pas auparavant – à une hormone produite par d'autres hommes. Ils y sont sensibles au point de faire montre de plus de générosité et de plus de coopération. Ils y sont sensibles non pas lorsque leur voisin de bureau se met à transpirer sous l'effort, mais lorsque ses coéquipiers – dans un effort physique commun – se mettent à suer.
Autrement dit, si vous voulez que des gars travaillent vraiment ensemble, il suffit de les faire transpirer ensemble. Comme cela se produit pour une équipe de soccer qui vole de succès en succès. C'est aussi bête que ça.
En passant, le penseur français Jacques Attali a déjà dit : «On a intérêt au bonheur des autres, on a intérêt à ce que les autres ne soient pas malades, on a intérêt au succès des autres parce que nous sommes une équipe collective».
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