BLOGUE. De quoi dépend le succès d'une équipe ou même d'une entreprise? Des idées. Oui, des idées émises par ses membres, plus précisément de tous ses membres. Le hic? Rares sont les équipes qui laissent vraiment s'exprimer tout le monde.
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En effet, les idées neuves peuvent déranger, par exemple les managers qui prennent celles-ci pour des critiques qui leur sont personnellement adressées. Et par suite, certains employés – en particulier les introvertis – risquent d'avoir tendance à se taire plutôt que de bousculer l'ordre établi, craignant de s'attirer les foudres de leur boss et donc de terribles retombées pour l'évolution de leur carrière. Et ce, même s'ils ont conscience que leurs idées sont vraiment bonnes.
Que faire pour remédier à une telle situation? Susan Cain, l'auteure du best-seller Quiet: The Power of Introverts In a World That Can't Stop Talking, a souligné la semaine dernière lors du OFF Montréal d'Infopresse que les leaders et les managers commettaient trop souvent l'erreur de ne pas tirer le maximum des employés introvertis, laissant toute la place aux extravertis, c'est-à-dire aux grandes gueules de service. Et elle a suggéré de repenser, entre autres, la façon dont sont organisées les réunions de travail, notamment la manière dont les uns et les autres peuvent y prendre la parole.
Repenser la prise de parole? Certes, mais comment faire au juste? La conférencière n'a, bien entendu, pas eu le temps d'élaborer, mais j'ai trouvé des éléments de réponse dans une étude intitulée Rocking the boat but keeping it steady: The role of emotion regulation in employee voice. Celle-ci est signée par Adam Grant, professeur de management à Wharton (États-Unis), et met en évidence le fait que l'idéal est de tenir compte des besoins spécifiques des introvertis et de s'y adapter, sans que cela nuise en rien aux autres.
Le chercheur a tout d'abord demandé à une centaine d'employés d'une entreprise américaine spécialisée dans l'optométrie de remplir deux questionnaires. Le premier consistait en un QCM (Questionnaire à choix multiples), qui visait à évaluer la capacité de chacun à maîtriser ses émotions. Le second correspondait à une série d'affirmations auxquelles chacun devait attribuer une note de 1 ("Fortement en désaccord") à 7 ("Fortement en accord"), des phrases comme «Au travail, je porte un masque pour dissimuler mes émotions» et «Au travail, je n'ai pas honte de montrer les émotions qui me traversent». Son but? Évaluer dans quelle mesure chacun "joue un rôle" au travail, à l'image d'un acteur dans un film.
Puis, M. Grant a fait lire tous ces questionnaires à trois responsables des ressources humaines de l'entreprise, trois dirigeants qui connaissaient très bien tous ces employés. Cette lecture avait pour fonction d'éliminer toutes les réponses qui n'étaient pas sincères de la part des participants, sachant que nous avons tous tendance à nous faire passer pour meilleurs que nous ne sommes réellement : même dans un questionnaire a priori "anonyme", nous avons du mal à reconnaître que nous sommes une grande gueule qui empêche toujours les autres d'en placer, ou un coincé de première qui rougit rien qu'à l'idée de s'exprimer devant les autres. Pour terminer, les trois responsables des ressources humaines ont évalué la prise de parole de chacun des participants, ainsi que leur performance au travail.
Résultats? Très simples…
> Plus on maîtrise ses émotions, plus on prend la parole.
> Plus on maîtrise ses émotions, plus on "joue un rôle" au travail.
> Plus on maîtrise ses émotions, plus nos évaluations de performance sont meilleures.
Autrement dit, l'important pour voir les introvertis partager leurs idées avec les autres est de leur permettre de mieux maîtriser leurs émotions. Ce qui peut se faire de trois façons, d'après le professeur de Wharton :
1. Leaders, récompensez les idées neuves. Quand un introverti aimerait exprimer une idée, souvent, ce qui l'empêche, c'est la crainte des retombées négatives de son initiative. Une crainte peut-être infondée, croyez-vous peut-être, mais bien réelles, en vérité : nombre d'études montrent que le simple fait d'émettre des idées peut vite se retourner contre soi au travail (Van Dyne, Ang & Botero, 2003; Morrison & Miliken, 2000; etc.).
2. Employés introvertis, prenez confiance en vous. Cela peut se faire en travaillant le contrôle de vos émotions, en vous amusant à davantage "jouer un rôle " au travail, un peu comme si vous étiez un comédien en représentation. Le moment venu, cela peut vous aider à prendre la parole sans difficulté. Comment y parvenir? «Vous pouvez notamment vous inspirez de la manière dont s'y prennent vos collègues qui, eux, sont à l'aise à ces moments-là, et mieux, leur demander des conseils pratiques», suggère M. Grant.
3. Employés introvertis, préparez vos interventions. Lorsque vous savez qu'il vous faudra prendre la parole (lors d'une réunion planifiée de longue date, lors d'un entretien d'évaluation, etc.), prenez le temps de rédiger les idées qui vous souhaitez faire passer et n'hésitez pas à les lire devant les autres.
En passant, le romancier français Alphonse Karr aimait à dire : «J'ai cessé d'être timide le jour où je suis entré dans un salon que je savais m'être hostile; ce jour-là, ma timidité est morte de peur d'avoir l'air d'une lâcheté».
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