Un nouveau prix a été lancé cette semaine, le Prix résilience entrepreneuriale BDC, qui entend récompenser une entreprise canadienne qui est ressortie plus forte d'un revers survenu au cours de la dernière année. Ce prix vise, on le voit bien, à souligner l'intérêt qu'il y a à connaître un échec, car on peut en ressortir plus fort qu'auparavant. Il a par conséquent la magnifique mission de faire en sorte que l'échec ne soit plus un tabou.
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Mais voilà, on peut légitimement se demander si l'on gagne vraiment à échouer. Car, soyons francs, nous avons tous connus des revers dont nous ne nous sommes jamais complètement remis. Pas vrai?
Les initiateurs du nouveau prix sont, quant à eux, unanimes : il est bon d'échouer. Écoutons deux d'entre eux. Maxime Bernier, ministre d'État à la Petite Entreprise, au Tourisme et à l'Agriculture : «Les entrepreneurs savent qu'il n'y a pas de honte à échouer. En fait, nous devrions tous nous inspirer de leur capacité à transformer les erreurs en occasions, et, au final, à réussir». Et Michel Bergeron, premier vice-président, marketing et affaires publiques, de BDC : «L'échec fait partie du processus entrepreneurial. L'important, c'est que les entrepreneurs puissent mettre en pratique les leçons qu'ils en ont tirées».
Alors? Ont-ils raison? Ou tort, d'autant plus que M. Bergeron reconnaît que certaines erreurs sont «fatales»? Eh bien, je pense avoir trouvé une réponse intéressante dans une étude intitulée My bad! How internal attribution and ambiguity of responsability affect learning from failure. Celle-ci est le fruit du travail de : Christopher Myers, doctorant en management à l'École de commerce Ross (États-Unis); Bradley Staats, professeur en processus organisationnels à l'École de commerce Kenan-Flagler (États-Unis); et Francesca Gino, professeure en management à Harvard (États-Unis).
Les trois chercheurs ont procédé à trois expériences visant à identifier la meilleure façon pour une personne de tirer les leçons d'un échec. Je vais brièvement décrire chacune d'elles, et surtout vous présenter leurs résultats. Car, comme vous allez le voir, ceux-ci sont fascinants…
La première expérience consistait à analyser le travail de 233 employés de Samasource, une organisation à but non lucratif qui offre aux entreprises des pays pauvres des services d'entrée de données informatiques. Ces employés-là, qui œuvrent dans des pays d'Afrique de l'Est, sont rémunérés pour entrer des informations chiffrées dans des bases de données, un travail de moine, un travail rébarbatif, mais un travail qui permet de s'extirper de la misère.
Les chercheurs ont eu accès à l'ensemble du travail effectué par chacune de ces personnes entre juin 2012 et mars 2013. Et ils se sont intéressé à une chose : les progrès enregistrés par les uns et les autres au fil du temps.
Qu'ont-ils ainsi mis au jour? Ceci :
> On gagne à échouer. Les personnes qui avaient les plus forts taux d'erreurs à leurs débuts ont été, à la toute fin, ceux qui affichaient les plus faibles taux d'erreurs. C'est-à-dire que les plus performants étaient ceux qui avaient le plus échoué à leurs débuts.
Dans la deuxième expérience, il a été demandé à 85 volontaires de se prêter à un petit jeu. Ils devaient chacun s'imaginer à la tête d'une écurie de voitures de course, une heure avant le départ. Un souci mécanique préoccupait certains membres de l'équipe, et il fallait trancher : participer à la course, en dépit d'un risque de bris mécanique; ou bien annuler la participation, car il n'y avait pas assez de temps pour entreprendre une inspection et une éventuelle réparation.
L'astuce résidait dans le fait que, pour prendre la bonne décision, il fallait que le leader ait l'idée de demander à tous les membres de l'équipe ce qu'ils en pensaient, et ne pas se contenter des informations données par certains. Car cela permettait de découvrir que le risque était réel, et même fatal si la voiture roulait à pleine vitesse : il fallait donc absolument annuler la participation à la course.
Une fois que chacun a donné sa directive, les organisateurs de l'expérience ont rassemblé tout le monde et expliqué que ce scénario était une copie exacte de ce qui était arrivé en janvier 1986 à la navette spatiale Challenger : elle avait explosé peu après le décollage, alors même qu'une poignée d'ingénieurs savaient que l'accident avait 99,99% de chances de se produire! Ce drame était survenu parce que les hauts-dirigeants de la Nasa n'avaient pas pris la peine de les consulter.
Puis, chaque participant a dû indiquer par écrit comment il se sentait à l'issue de l'expérience. L'idée était de faire le tri entre, d'une part, ceux qui culpabilisaient parce qu'ils considéraient que l'accident mortel était de leur faute, et d'autre part, ceux qui considéraient que c'était un méchant coup du sort (et donc un événement tragique indépendant de leur volonté).
L'intérêt de cette expérience? Le voici : une semaine plus tard, les mêmes participants ont joué à un autre jeu. Cette fois-ci, il s'agissait de déterminer, à partir d'un rapport épais, lequel des trois suspects présentés était un terroriste qui risquait de passer à l'action aux États-Unis à court terme. La ruse était la suivante : des adresses de courriel d'experts en terrorisme figuraient dans le rapport, il suffisait donc de les contacter pour leur demander leurs lumières, et découvrir de la sorte qu'en réalité le vrai danger venait d'une quatrième personne, qui n'était pas présentée dans le rapport comme l'un des suspects à analyser!
Tout cela a permis aux trois chercheurs d'apprendre ce qui suit :
> On apprend d'un échec, à condition de faire son mea culpa. Ceux qui avaient fait leur mea culpa pour l'accident de voiture mortel ont été ceux qui s'en sont le mieux sortis par la suite, lorsqu'il a fallu identifier le terroriste qui s'apprêtait à agir aux États-Unis. Ce qui signifie que l'on se relève mieux d'un échec si l'on reconnaît que celui-ci est le nôtre, et non pas la résultante d'un phénomène externe imprévisible et incontrôlable.
La dernière expérience faisait, elle, intervenir un concept élaboré par les trois chercheurs, l'ambiguïté perçue de la responsabilité. La quoi? L'ambiguïté perçue de la responsabilité, soit le degré de responsabilité que l'on ressent personnellement lorsque survient une catastrophe. Un degré qui varie en fonction de multiples variables, comme le niveau de complexité de la tâche à assumer (ex.: plus la tâche est complexe, plus on a le réflexe de se dédouaner de l'échec avec des réflexions du genre «C'était trop dur pour pouvoir donner un bon résultat»), ou encore comme le niveau de responsabilisation (ex.: plus l'équipe compte de dirigeants, plus il est fréquent d'entendre des excuses du genre «Moi, je savais ce qu'il fallait faire, mais les autres n'ont pas voulu m'écouter»).
Les 256 participants devaient analyser des images microscopiques d'échantillons sanguins, à la recherche d'éventuelles anomalies des globules rouges que des experts n'auraient pas identifiées. Il leur avait été expliqué que ces images avaient été obtenues à l'aide d'un nouvel appareil, et que pour valider celui-ci il fallait de nombreux tests, dont celui auquel ils contribuaient. L'idée était que la fiabilité accrue de cet appareil ne résidait pas seulement dans sa technologie, mais aussi dans le fait qu'il mettrait à contribution les médecins et les patients eux-mêmes, qui se prononceraient sur leurs propres échantillons. Car deux regards valent toujours mieux qu'un.
À leur insu, les participants ont été placé dans des conditions distinctes. Lesquelles? C'est bien simple, il s'agissait de faire varier chez les uns et les autres l'ambiguïté perçue de la responsabilité.
Résultat? Le voici :
> On est boosté par l'échec. Plus l'ambiguïté perçue de la responsabilité est faible, plus la personne concernée a tendance à prendre sur elle la responsabilité de l'échec, et plus elle fait d'efforts pour tirer les leçons de l'échec. Et inversement.
Passionnant, n'est-ce pas? Échouer est par conséquent bel et bien bénéfique. Pourvu, bien sûr, d'être vécu comme il se doit.
Bien vivre un échec? Au travail, c'est tout à fait possible. Voici d'ailleurs deux suggestions émises à ce sujet par les trois chercheurs dans leur étude :
1. Réduire l'ambiguïté dès le départ. Dès le début du projet, le manager a tout intérêt à bien définir les tâches de chacun des membres de son équipe. Pourquoi? Parce que chacun saura ainsi qu'il a un degré déterminé de responsabilités, et que le succès commun dépend donc directement de sa contribution personnelle. Chacun fera sien le but à atteindre. Du coup, en cas de dérapage, il sera en mesure de faire son mea culpa au lieu de chercher à faire porter la responsabilité sur les autres. Bref, il sera bien placé pour enregistrer une belle performance, en dépit des embûches qui ne manqueront pas de survenir en chemin.
2. Donner un feedback efficace. Le manager a aussi tout intérêt à ne pas tourner autour du pot lorsqu'il faut analyser une erreur commise par son équipe. Pourquoi? Parce qu'en indiquant clairement quelle erreur a été commise et qui en est responsable, il permet au principal intéressé de faire son mea culpa et de redoubler d'ardeur pour que cela ne se reproduise plus jamais. Pour son propre bienfait, mais aussi pour celui de toute l'équipe (à condition, bien sûr, d'avoir la sagesse de ne pas en faire un mouton noir aux yeux de tous).
Voilà. Vous êtes désormais équipés pour surmonter votre prochain échec. À vous de jouer!
En passant, l'ex-PDG de GE Jack Welch aimait à dire : «Punir l'échec est le meilleur moyen pour que personne n'ose».
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