Au travail, deux collègues divergent à propos de la meilleure solution à apporter à un problème. Ou bien, deux chefs d'équipe se disputent un dossier prometteur. Ou encore, deux entreprises se mettent des bâtons dans les roues pour remporter un gros contrat. Bref, les conflits sont incessants et nous sommes toujours en quête d'un terrain d'entente avec autrui.
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Le hic? C'est que nous ne savons jamais comment nous y prendre pour identifier ce fameux terrain d'entente. Chacun tente sa chance et essaye d'obtenir une plus grande part de gâteau que l'autre, si bien qu'il nous faut progresse de compromis en compromis. Et parfois même, jusqu'au moment où les deux ont l'impression de s'être fait avoir!
Alors? Comment s'y prendre au mieux? Une étude apporte une réponse géniale de simplicité à cette interrogation existentielle. Elle est intitulée Bargaining over a common conceptual space, et est signée par : Marco LiCalzi, professeur d'économie au département du management de l'Université Ca' Foscari de Venise (Italie); et Nadia Maagli, doctorante en mathématique à la Sorbonne (France).
Les deux chercheurs ont adopté une approche purement mathématique de la recherche d'un terrain d'entente, en s'appuyant sur un pan moderne de la théorie des jeux, celui des espaces conceptuels. De quoi s'agit-il? Pas de panique, c'est très simple, comme vous allez le voir.
L'idée est la suivante… Imaginez un bouclier circulaire posée à terre, un bouclier, disons, similaire à celui sur lequel est toujours transporté Abraracourcix, le chef du village d'Astérix et Obélix. Puis, imaginez deux joueurs – deux Gaulois, si vous voulez – qui doivent se partager la propriété du bouclier et qui veulent, bien entendu, en avoir la plus grande partie. Chacun dispose d'un bout de ficelle dont il tient les extrémités à bout de bras, celui-ci lui permettant d'indiquer à l'autre la partie du bouclier qu'il revendique. Tous les deux doivent dès lors discuter – et non pas se taper sur la figure! – pour finir par trouver un terrain d'entente.
Afin de simplifier davantage la situation, les deux chercheurs ont considéré de surcroît que :
> Têtus. Les deux joueurs sont particulièrement têtus, si bien qu'aucun des deux n'est plus prompt que l'autre à céder le moindre pouce de terrain. Pourquoi avoir décidé cela? Parce que c'est ce qui se produit immanquablement lorsque l'objet convoité est vraiment intéressant aux yeux des parties prenantes.
> Chicane mineure. Dans le premier cas de figure, la dispute territoriale porte sur une petite portion du bouclier. C'est-à-dire que la chicane est mineure. Visuellement, cela correspond à une situation de départ où les deux bouts de ficelle tendus ne se croisent pas au-dessus du bouclier.
> Chicane majeure. Dans le second cas de figure, la dispute territoriale porte sur l'ensemble du bouclier. C'est-à-dire que la chicane est, là, majeure. Visuellement, cela correspond à une situation de départ où les deux bouts de ficelle tendus se croisent au-dessus du bouclier.
Puis, les deux chercheurs ont modélisé tout cela mathématiquement pour tenter de trouver d'éventuels points d'équilibre. Des quoi? Des points d'équilibre? Une fois de plus, c'est fort simple : il s'agit de situations où les deux joueurs ne se considèrent ni comme gagnants ni comme perdants ; c'est, en fait, la solution qui nous intéresse, à savoir la ou les situations où les deux joueurs ont trouvé un terrain d'entente.
Résultats? Carrément fascinants :
> Impasse. Dans le cas d'une chicane mineure, les deux joueurs ont tendance à ne rien céder du tout. Du coup, le terrain d'entente finalement trouvé correspond à peu de choses près à la situation de départ : celui qui avait dès le début la plus grande partie du bouclier la conserve.
> Dilemme. Dans le cas d'une chicane majeure, la donne change. Car chaque joueur est alors confronté à un dilemme : quand il déplace son bout de ficelle, il gagne d'un côté (par rapport au point où se croisent les deux bouts de ficelle) et en perd automatiquement de l'autre. (Je sais, c'est subtil, mais en fermant les yeux et en imaginant le jeu des deux ficelles au-dessus du bouclier, vous comprendrez…) Du coup, il ne devient possible de trouver un terrain d'entente qu'à une condition, soit que chacun se mette à reculer à mesure que l'autre recule, histoire de réduire la zone de conflit à sa plus simple expression.
Autrement dit, le meilleur moyen pour trouver un terrain d'entente avec autrui est de procéder en deux temps :
1. Évaluez la situation. Analysez les données dont vous disposez à propos de l'objet du litige, et déterminez s'il s'agit d'un litige mineur ou majeur. Dans le premier cas, passez à l'étape 2; sinon, directement à l'étape 2'.
2. Ne cédez rien, et passez à autre chose. Et ce, que vous soyez partiellement gagnant ou partiellement perdant. Mais surtout, passez vite à autre chose, car le temps que vous consacrerez à ce litige sera du temps perdu : la situation, si vous êtes tous deux aussi têtu l'un que l'autre, n'évoluera jamais.
2'. Usez de doigté. Accordez beaucoup d'importance à l'objet du litige, car la moindre inattention de votre part se traduira aussitôt par la victoire de l'autre. Calculez bien chacun de vos faits et gestes, et surveillez chacun de ceux de votre rival puisque vous pourrez tirer un grand bénéfice de sa plus petite erreur stratégique. Vous finirez par trouver un terrain d'entente à partir du moment où chacun aura compris que l'autre est aussi têtu que lui et où vous commencerez à désamorcer le conflit. Comment? En reformulant les problèmes sur lesquels vous butez tous les deux.
Voilà. J'espère que cette méthode vous permettra d'y voir plus clair lors du prochain conflit dans lequel vous vous retrouverez. Et surtout, d'arriver plus vite à trouver comment satisfaire chacun.
En passant, le philosophe américain John Dewey a dit dans Morale et conduite : «Le conflit est la mouche du coche de la pensée. Il stimule l'observation et la mémoire».
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