BLOGUE. Notre vie est faite de choix. Au restaurant, il nous faut choisir entre une salade (bonne pour la santé) ou une pizza (moins bonne pour la santé, mais meilleure pour les papilles). Au travail, il nous faut décider entre dire «oui» à la requête abusive d'un client important, ou «non», au risque de le perdre. Bref, entre ceci et cela. Sans cesse. Et il nous arrive nécessairement de prendre de mauvaises décisions, de temps à autre.
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Y a-t-il moyen de s'améliorer? De faire de bons choix plus souvent? Oui, bien sûr. C'est du moins ce qu'indique l'étude intitulée Rejectable choice sets: How seemingly irrelevant no-choice options affect consumer decision processes, signée par Rom Schrift, professeur de marketing à Wharton (États-Unis), et Jeffrey Parker, étudiant à Columbia (États-Unis). Celle-ci a en effet mis au jour un truc très simple pour faciliter notre réflexion lorsqu'un choix s'impose à nous…
Ainsi, les deux chercheurs se sont penchés sur un point très particulier de la prise de décision, à savoir la possibilité de… ne pas prendre de décision! Je m'explique. Prenons le cas d'une personne à qui se présentent deux choix possibles, chacun étant a priori intéressant. Imaginons qu'elle est dans une épicerie, devant le rayon des céréales, et hésite entre deux nouveaux produits distincts, A et B. A présente l'avantage d'être moins riche en glucides que B, mais a le défaut de n'être composé que d'une sorte de céréales, alors que B en compte plusieurs. Que choisir? A ou B?
Le problème avec cette réflexion – si courante, reconnaissons-le bien humblement –, c'est qu'elle écarte l'autre choix que nous avons toujours, celui de ne pas choisir. C'est-à-dire de n'opter ni pour A ni pour B, de ne pas succomber aux charmes de la nouveauté de ces boîtes de céréales dont nous n'avons, d'ailleurs, peut-être pas besoin pour être en pleine forme le matin.
MM. Schrift et Parker ont donc voulu voir ce qui se produisait lorsqu'on rappelait aux gens que, dans le fond, ils ne sont jamais obligés de trancher immédiatement quand il leur faut faire un choix. Pour cela, ils ont procédé à trois expériences, dont voici un exemple…
Il a été demandé à 87 étudiants d'une université américaine de choisir entre deux ordinateurs portables – un HP et un Dell –, à partir de cinq données (la marque, la vitesse du processeur, le nom du modèle, la mémoire du disque dur et le poids). Tous les participants n'ont pas été placés dans les mêmes conditions : une partie devait choisir entre l'un ou l'autre, l'autre devait aussi faire un choix, mais en se faisant préciser qu'il était aussi envisageable de n'en choisir aucun.
Puis, différentes procédures ont été instaurées afin de déceler le cheminement des pensées des participants. Un exemple : après avoir exprimé son choix, chacun se voyait retiré toutes les informations liées aux ordinateurs portables et devait se les remémorer au mieux de ses facultés, l'idée étant ainsi de voir ce qui avait le plus frappé l'esprit des participants.
Résultat? Le fait de souligner aux gens qu'ils peuvent très bien ne pas faire de choix dans ce qui leur est présenté change complètement la façon de réfléchir. Grosso modo, quand on doit choisir entre A et B, et rien d'autre, notre cerveau se contente de comparer A et B pour déceler lequel est le plus intéressant des deux. En revanche, quand notre cerveau sait qu'il peut aussi bien rejeter A et B, il fonctionne autrement : il compare A et B, bien entendu, mais il va plus loin en se demandant s'il a vraiment besoin de l'un des deux. Du coup, le fait qu'A soit un meilleur choix que B ne suffit plus pour le choisir, il faut encore qu'il soit assez intéressant à nos yeux pour être retenu. L'effort intellectuel est ainsi plus conséquent, et par suite, la décision meilleure : nous ne nous contentons plus de A par défaut, nous sommes prêts à nous en passer, le cas échéant, ce qui fait une différence de taille!
Les deux chercheurs n'en sont pas restés là. Ils se sont posé une question logique : le fait de signaler qu'il est possible de ne pas choisir peut-il influencer la réflexion d'une personne au point de peser sur sa décision, à savoir entre sa préférence pour A ou pour B? Pour en avoir le cœur net, ils ont effectué trois autres expériences…
Une cinquantaine d'étudiants d'une université américaine ont dû, cette fois-ci, choisir entre deux appareils photographiques – un Nikon et un Canon. Une partie d'entre eux devait choisir l'un ou l'autre, et les autres pouvaient, s'ils le voulaient, n'en choisir aucun des deux. Surtout, ils devaient détailler les raisons de leur choix, critère par critère (la marque, les mégapixels, etc.). Il en a essentiellement résulté que le fait d'offrir la possibilité de ne pas trancher entre l'un ou l'autre favorisait une plus ample réflexion et débouchait, parfois, sur un choix autre que celui qui résultait d'une réflexion "dirigée".
Ce n'est pas tout! MM. Schrift et Parker ont tenu à vérifier leur découverte sur le terrain. Ils ont effectué un vaste sondage auprès de clients d'une entreprise spécialisée dans l'alimentaire qui voulait savoir quelle était la meilleure stratégie pour se démarquer en tant que société soucieuse de l'environnement. Certains clients devaient indiquer quels étaient les critères qui justifiaient, en général, leurs achats de produits de cette entreprise, et ce, parmi une liste restreinte (marque, prix, initiatives environnementales prises par la société en question, etc.), et même apposer une note d'importance à leurs yeux de chacun de ceux-ci. D'autres, eux, n'étaient pas tenus de faire un choix parmi tous les critères proposés, et encore moins de leur attribuer des notes.
Qu'est-ce que cela a donné? Les clients du second groupe, c'est-à-dire ceux qui ont été les plus libres dans leur réflexion, se sont surtout intéressés aux critères secondaires, notamment ceux liés à l'environnement. Quant à ceux du premier groupe, dont la réflexion a été plus ou moins "dirigée", leur réflexion s'est limitée aux critères primaires, ceux liés aux prix et aux calories. Autrement dit, la meilleure stratégie pour cette entreprise pour attirer l'attention sur son aspect "vert" n'était pas de chercher à mettre trop l'accent dessus dans ses communications, mais plutôt de l'évoquer discrètement, en douce, parmi d'autres informations pertinentes. Car c'est justement cette information "secondaire" qui sauterait aux yeux de ses clients. Subtil, n'est-ce pas?
Deux conclusions s'imposent :
> Offrir la possibilité de ne pas trancher immédiatement peut changer la décision finale d'une personne. Toujours en mieux.
> Inciter quelqu'un à faire un choix nuit à la décision de celle-ci, au point parfois de l'amener à faire un mauvais choix.
Les implications pratiques sautent aux yeux. La principale, d'après moi : prenez le plus grand soin de vos communications. Et ce, que vous vous adressiez à vos clients ou aux membres de votre équipe. Pas besoin de marteler un message pour le faire passer. Ayez confiance dans l'intelligence des autres. S'ils se sentent libres de réfléchir à leur guise sur les informations que vous leur donnez, ils sauront d'eux-mêmes identifier l'information la plus pertinente, laquelle influencera grandement leur choix final. Si, au contraire, ils devinent que vous ne leur dites pas tout, que vous filtrez les informations, alors ils vous fuiront en courant. Avec raison.
Autre implication, sur le plan personnel : n'oubliez jamais que vous êtes libre de… ne pas faire de choix! Oui, vous êtes toujours libre de dire «non» à ce qui vous est proposé. Si A et B pourraient vous satisfaire, mais sans vous combler, alors mieux vaut attendre un peu, histoire de laisser le temps à C de vous apparaître et de vous ravir. Revenons à notre exemple de boîtes de céréales : on peut imaginer que le consommateur renonce à A comme à B et se dirige vers la caisse pour y découvrir C, sa marque préférée depuis qu'il est tout petit et qu'il ne trouvait plus en magasin depuis belle lurette, associée à une réduction de prix de 25%.
En passant, le philosophe français Alain aimait à dire : «Penser, c'est dire non».
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