BLOGUE. La vie est un éternel conflit. On se dispute avec un collègue, on a un vif échange avec son boss, on gronde son enfant, on lance un nom d'oiseau à un chauffard, etc. C'est sans fin. À se demander s'il n'y a pas une – je dis bien «pas une» – journée où l'on ne se trouve pas impliqué dans un conflit.
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Certes, me direz-vous, et puis? Qu'est-ce que ça peut faire? S'il est habituel de se trouver en conflit, c'est que c'est normal, c'est que c'est le propre de l'être humain de sans cesse vouloir marquer son territoire et imposer le respect aux autres.
Si l'on veut, vous répondrais-je alors. Le hic? Ce sont les conséquences de ces incessants conflits. Et l'une des principales d'entre elles réside dans le fait qu'on passe ainsi notre temps à se faire des ennemis. Oui, des ennemis parce que nous cherchons avant tout à gagner, à avoir raison, à être le meilleur, et donc à faire perdre l'autre, à lui donner tort, à être moins bon que nous. Et avoir des ennemis est toujours pénalisant pour notre propre évolution, puisque ceux-ci ont à cœur de nous mettre des bâtons dans les roues.
On le voit bien, le nœud du problème est la difficulté que nous avons à nous réconcilier avec autrui. La réconciliation est en effet une forme de résolution de conflit, une forme honorable et efficace, mais que nous avons beaucoup de mal à envisager et à appliquer. Pourquoi? C'est ce qu'a voulu savoir Christine Webb, étudiante en psychologie à l'Université Columbia (États-Unis), après avoir noté que la réconciliation était un comportement adopté, à l'occasion, par une vingtaine d'espèces de primates et même par certaines espèces d'oiseaux.
Plus précisément, Mme Webb a eu l'idée de regarder s'il y avait un pont possible entre les animaux et l'être humain, en matière de réconciliation. Les motivations des animaux pour se réconcilier sont-elles les mêmes que celles des êtres humains? Par cette approche animalière, elle se disait a priori qu'elle pourrait peut-être faire une belle trouvaille. Et c'est bel et bien ce qui s'est produit, comme l'indique son étude intitulée Motivations for reconciliation: Regulatory mode, individual differences, and evolutionary considerations.
Ainsi, Mme Webb s'est servie d'un outil pratique dénommé la Regulatory Mode Theory (RMT), qui vise à analyser l'autorégulation d'un être vivant, animal comme humain. L'autorégulation? C'est un système qui permet à un être vivant (un humain, un animal, une cellule,…) d'être en harmonie avec lui-même, c'est-à-dire en situation d'équilibre stable. En cas de dérèglement, l'être en question risquerait d'être exposé à un emballement, ou au contraire à un étouffement, et par suite, de mourir. Prenons l'image d'un écosystème : si l'on y introduit brutalement une bête qui dévore les autres sans risquer d'être dévorée elle-même, vite un déséquilibre se créé, et l'ensemble de l'écosystème se trouve en danger (faute de proies, les prédateurs disparaissent).
La RMT considère que l'autorégulation est caractérisée par deux éléments, soit la mobilité et l'évaluation :
> Mobilité. Quand on s'autorégule, on est forcément amené à passer d'un état à un autre. Ceux qui s'autorégulent le mieux sont ceux qui sont les plus mobiles.
> Évaluation. Pour s'autoréguler, il faut être en mesure de se comparer aux autres, histoire de deviner vers quel nouvel état ont devrait passer pour s'améliorer. Ceux qui s'autorégulent le mieux sont aussi ceux qui manient l'évaluation à la perfection.
Comment la chercheuse a-t-elle utilisé la RMT? En demandant à 91 étudiants de Columbia de participer à une petite expérience. Il s'agissait de remplir un questionnaire composé de 30 éléments que les participants devaient noter de 1 à 6 (1: pas d'accord du tout ; 6: totalement d'accord). Parmi les éléments figuraient ceux-ci :
> «Je me compare souvent aux autres» [Évaluation]
> «Quand j'ai terminé un projet, je prends toujours du temps avant de me lancer dans un autre» [mobilité, sous une forme inversée]
> «Je suis souvent critique à l'égard de mon travail et de celui des autres» [Évaluation]
Puis, les participants devaient lire et réfléchir sur six cas de figure concrets de situation conflictuelle avec un ami. Enfin, ils devaient indiquer comment ils s'y prendraient pour résoudre chacun de ces conflits, à l'aide d'un nouveau questionnaire composé de 16 éléments à noter, toujours de 1 à 6. Les éléments étaient du genre :
> «Je suis motivé à résoudre ce conflit avec mon ami»
> «J'ai un a priori négatif quant à la possibilité de trouver une solution à ce conflit»
Résultats? Voici les principaux :
> Avantage aux mobiles. Les plus mobiles sont les plus prompts à se réconcilier et ceux qui ressentent le moins d'émotions négatives à l'idée de se réconcilier.
> Désavantage aux évaluateurs. Les plus évaluateurs sont les moins prompts à se réconcilier et ceux qui vivent le plus mal l'idée de se réconcilier.
Comment expliquer cette différence? «Ce qui motive surtout les mobiles, c'est le mouvement, c'est l'envie de passer d'un état à un autre, envie qui peut surpasser les aspects négatifs liés à ce passage. Quant aux évaluateurs, le fait de se comparer amène à avoir toujours en tête les aspects négatifs d'une éventuelle réconciliation, ce qui peut représenter un frein au passage à l'acte», avance la chercheuse de Columbia dans son étude.
Intéressant, vous ne trouvez pas? Tout le monde n'est pas sur le même pied d'égalité en ce qui concerne la réconciliation, en ce sens que c'est plus facile à faire pour les uns, les «mobiles», que pour les autres, les «évaluateurs». Par conséquent, si vous songez, un jour, vous réconcilier avec un ennemi, voire votre pire ennemi, il convient de procéder en quatre étapes :
1. Analysez votre propre personnalité, afin de voir si vous êtes plus «mobile» ou plus «évaluateur».
2. Analysez la personnalité de votre ennemi.
3. Réfléchissez à la meilleure approche à adopter pour faire les premiers pas, sachant pour lequel de vous deux ce sera le plus dur d'accepter l'idée d'une réconciliation.
4. Lancez-vous!
Par ailleurs, un dernier élément dont il vaudrait mieux tenir compte : le sexe des personnes concernées semble jouer un rôle dans une opération de réconciliation. Mme Webb, perplexe, a en effet noté que les femmes paraissaient moins promptes à se réconcilier que les hommes. Cela étant, elle n'a pas validé cette découverte, car le test de robustesse du résultat ne permettait pas de l'affirmer : des expériences ultérieures sur ce point sont nécessaires pour être en mesure de le faire. À vous, donc, de voir s'il est pertinent ou pas de considérer cette donnée…
En passant, le philosophe français Denis Diderot a dit dans ses Principes de politique des souverains : «Lorsque les haines ont éclaté, toutes les réconciliations sont fausses».
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