Dans son Tusculanae Disputationes, le philosophe latin Cicéron disait que «la chance, et non la sagesse, dirige nos vies». Avait-il raison? Avait-il tort? Nous nous souvenons tous de moments, dans notre vie, où la chance a tourné en notre faveur. Et d'autres, où elle nous a joué de sales tours. Mais voilà, ces moments-là, aussi agréables ou pénibles soient-ils, ont-ils été si déterminants que ça?
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Allons plus loin : la chance a-t-elle une réelle incidence sur l'évolution de notre carrière, et donc sur le cours de notre vie professionnelle? Je souligne : une réelle incidence. Impossible à dire, pensez-vous sûrement. C'est ce que je me disais moi aussi, jusqu'à ce que je tombe – par chance? – sur une étude intitulée Luck and entrepreneurial success, et signée par : Diego Liechti, professeur de management du risque à l'Institut de management des finances de l'Université de Berne (Suisse); Claudio Loderer, directeur de l'Institut de management des finances de l'Université de Berne (Suisse); et Urs Peyer, professeur de finance à l'Insead (France).
Dans cette étude, les trois chercheurs ont adressé un questionnaire à 8 245 personnes établies en Suisse, dont un tiers étaient des entrepreneurs expérimentés (les autres étaient, par exemple, des enseignants, des ingénieurs et des managers). Ce questionnaire fouillé visait surtout à déterminer le rôle qu'avait joué jusqu'à présent la chance dans leur vie.
Premier constat lorsque ces questionnaires ont été décortiqués : les entrepreneurs sont des individus à part. Oui, à part, en ce sens qu'ils sont : surtout des hommes; surtout jeunes; surtout prompts à prendre des risques; et surtout überconfiants.
Les trois chercheurs ont ensuite regardé si ces individus-là étaient plus chanceux que les autres. C'est-à-dire si leurs bons coups étaient dus en grande partie, ou pas, à la chance.
Comment s'y sont-ils pris pour le savoir? Eh bien, ils ont concocté un modèle de calcul économétrique visant à évaluer l'importance des différents facteurs jouant dans la réussite d'un entrepreneur (talents personnels, talents des employés, caractéristiques de la start-up, caractéristiques du marché, etc.). Ce qui leur a permis de découvrir ceci :
> 60%. Le facteur résiduel – autrement dit, la chance, soit «le composant inattendu et imprévisible de la performance» – explique à lui seul pas moins de 60% de la réussite d'une personne en affaires.
60%, donc. Un chiffre énorme, n'est-ce pas? Un chiffre, en vérité, imprécis. Car il convient de l'affiner, ce qu'ont d'ailleurs fait les trois chercheurs.
Comment? Par différents procédés. Par exemple, il a été demandé aux 8 245 personnes interrogées de ranger par ordre d'importance les facteurs cruciaux de la réussite professionnelle. Or, les entrepreneurs ont fait figurer la chance en tout dernier de la liste. Bien entendu, les trois chercheurs se sont demandé si les entrepreneurs ne souffraient pas d'un biais cognitif, à savoir s'ils n'avaient pas tendance à minimiser le rôle de la chance dans leur succès. La réponse était négative : les autres (enseignants, ingénieurs, etc.) étaient d'accord avec les entrepreneurs pour considérer que la chance ne jouait pas un rôle fondamental dans la réussite.
«Ce travail d'affinage des données nous a amené à conclure que la chance explique au mieux le tiers de la performance d'un entrepreneur», indiquent MM. Liechti, Loderer et Peyer dans leur étude.
> 33%. Le succès en affaires s'explique par conséquent à hauteur de 33% par la chance.
Néanmoins, là n'est pas la plus belle trouvaille des trois chercheurs! Ils ont en effet mis au jour le fait que deux autres facteurs étaient véritablement primordiaux. Soit :
> Travailler fort. Pas de succès sans travail acharné.
> Avoir de l'expérience. Pas de succès si l'on n'a pas une solide connaissance du domaine dans lequel on évolue.
À noter qu'un autre facteur joue un rôle important, mais pas nécessairement crucial : le niveau d'éducation. C'est-à-dire que l'obtention d'un diplôme universitaire ouvre grand la voie vers le succès, mais que cela n'est pas pour autant la condition sine qua non de la réussite.
«Pour les entrepreneurs qui veulent briller, le message est donc le suivant : étudiez dans le secteur qui vous intéresse, travaillez fort et reposez-vous sur votre expérience lorsqu'il vous faut prendre des décisions importantes; et surtout ne vous laissez pas décourager par les coups du sort, car ceux-ci ne sont jamais un facteur décisif de la réussite», lancent MM. Liechti, Loderer et Peyer.
Que retenir de tout cela? C'est fort simple, à mon avis :
> Pour réussir dans votre entreprise, faîtes de la chance votre alliée. Comment? En suivant les recommandations des trois chercheurs : étudiez, travaillez fort et faites-vous confiance, le moment venu. Dès lors, la chance vous sourira, ou à tout le moins, ne vous nuira que modérément.
En passant, l'essayiste jésuite du Siècle d'or espagnol Baltasar Gracian y Morales a dit dans L'Homme de cour : «La chance qui dure est toujours suspecte».
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