BLOGUE. Sans méchanceté aucune, je me propose de vous faire rire jaune, aujourd'hui. Oui, j'ai une petite question insidieuse pour vous : vous souvenez-vous de la dernière fois où vous vous êtes adressé à un collègue (ou un boss) et où celui-ci – à votre plus grand étonnement – a répondu à côté de la plaque? Vous vous en souvenez? Ainsi que de la brève humiliation que vous avez ressentie sur le moment, en réalisant que votre interlocuteur ne vous écoutait pas vraiment?
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Ce n'était pas agréable. Mais rassurez-vous, ça ne l'est pour personne. En fait, le vrai problème n'est pas dans l'inattention de votre interlocuteur cette fois-ci, mais la répétition des moments d'inattention de vos interlocuteurs. Car, à bien y songer, vous remarquerez que cette scène se reproduit souvent, en particulier au travail. Souvent, c'est-à-dire une ou plusieurs fois par semaine. Pas vrai?
Comment cela se fait-il? Sommes-nous si distraits ou préoccupés que ça? Au point de ne pas bien écouter ce que les autres ont à nous dire? Reconnaissez qu'il serait bon de le savoir. Eh bien, la bonne nouvelle, c'est que j'ai la réponse!
Je l'ai dénichée dans une étude intitulée Questions left unanswered: How the brain responds to missing information. Celle-ci est le fruit du travail de trois professeurs de l'Université de Groningue (Pays-Bas) : John Hoeks, professeur de communication et de science de l'information; Laurie Stowe, professeure de linguistique; et Petra Hendriks, professeure de sémantique et de cognition; assistés de leur étudiant Harm Brouwer.
Les quatre chercheurs se sont intéressé à ce qu'on appelle en neuroscience le P600. De quoi s'agit-il? D'un phénomène qui se produit parfois dans notre cerveau, la plupart du temps lorsque nous sommes confrontés à des difficultés syntaxiques ou sémantiques dans ce qu'on lit ou entend. Dès lors que nous percevons ce qui nous semble une faute dans la phrase prononcée par notre interlocuteur (ex.: une faute de conjugaison), nous ne pouvons pas nous empêcher de corriger mentalement celle-ci. Et cette correction mentale survient en général 600 millisecondes après l'énonciation de la faute en question.
Les recherches scientifiques sur le P600 sont relativement récentes : celui-ci a été mis au jour par Lee Osterhout & Phillip Holcomb en 1992, et depuis, les études se multiplient pour en savoir davantage à son sujet. C'est pourquoi Mmes Stowe et Hendricks ainsi que MM. Hoeks et Brouwer ont voulu savoir, eux, si le P600 survenait, ou pas, dans le cas où la question posée est incomplète, ou à tout le moins difficile à saisir du premier coup.
Pour ce faire, ils ont procédé à deux expériences auprès, à chaque fois, d'une vingtaine de volontaires. La tâche demandée à chacun d'entre eux était simple : il leur fallait lire attentivement les mots qui apparaissaient les uns après les autres sur l'écran d'un ordinateur, lesquels formaient des phrases. À chaque fois, la première série de mots formait une question posée par quelqu'un, et la seconde, la réponse donnée par son interlocuteur. Puis, les participants devaient, de temps à autre, répondre eux-mêmes à une question posée par l'examinateur, histoire de vérifier qu'ils avaient bien compris les deux phrases qu'ils venaient de lire.
Un exemple vous permettra de saisir le type de difficulté dont il s'agissait :
> Q.: Que s'est-il passé?
> R.: Le maire a prié le conseiller municipal et l'échevin de manière exubérante.
Ou encore :
> Q.: Qu'ont fait le maire et l'échevin?
> R.: Le maire a prié le conseiller municipal et l'échevin de manière exubérante.
Vous voyez, ça n'a pas vraiment de sens, comme dialogue. L'objectif de l'expérience était justement de savoir ce qui se produisait dans le cerveau des participants confrontés à ces mini-dialogues bizarroïdes. Ce que des électrodes placées sur le cuir chevelu a permis de découvrir.
Résultats? Fascinants…
> Le phénomène du P600 se produit bel et bien. C'est-à-dire que les participants réagissent mentalement à la bizarrerie de ces phrases comme ils réagissent face à une faute. Et cette réaction se traduit par une intense activité cérébrale, plus ou moins longue, qui se fait au détriment des autres activités normales du cerveau lorsque la personne dialogue avec autrui.
Quelle est cette "intense activité cérébrale", au juste? Les quatre chercheurs de l'Université de Groningue considèrent que le cerveau fournit dès lors un effort pour rendre cohérent ce que ne l'est pas. Autrement dit, nous cherchons à ce moment-là à reconstruire la phrase que l'autre a essayé de nous dire, en tentant de trouver par nous-mêmes les éléments manquants pour que tout cela se tienne. Et nous reformulons la phrase d'une autre façon, à notre manière.
Tout ce processus mental s'effectue en quelques centaines de millisecondes. Ce qui est prodigieux, on s'entend, mais ce qui explique, en fait, les malentendus auxquels nous sommes, vous et moi, si souvent confrontés. Voici ce qui se produit, étape par étape :
> La personne A formule une question alambiquée (du moins paraît-elle telle pour la personne B).
> B prend quelques centaines de millisecondes de plus que normal pour pallier les informations manquantes à la question posée.
> B répond à la question qu'elle croit qui lui a été posée, mais en vérité, elle répond à la question qu'elle a interprétée à sa façon.
> A s'étonne de la réponse fournie par B, car elle ne correspond pas du tout à ce qu'il avait anticipé.
> A perd à son tour quelques centaines de millisecondes à essayer de comprendre pourquoi B a répondu à côté.
> A et B entrent dans un dialogue de sourd.
Maintenant, revenons à la source du problème : la toute première question, formulée par A, n'était pas assez claire pour B. C'est aussi bête que ça.
En conclusion :
> Qui entend intéresser les autres et avoir avec eux une discussion enrichissante doit avant tout veiller à être clair dans ses interventions. Sans quoi, ce que vous dîtes va ralentir, voire parasiter, le cerveau de votre interlocuteur et donc nuire à sa bonne compréhension de vos propos.
En passant, le moraliste français Vauvenargues a dit dans Réflexions et maximes : «La clarté orne les pensées profondes».
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