BLOGUE. J'ai eu la chance d'assister à la conférence que Renée-Pascale Laberge, responsable du Centre des études complémentaires de l'École Polytechnique de Montréal, a tenu lors du dernier Symposium du PMI-Montréal. La chance, oui, non seulement parce que Mme Laberge est-elle une brillante conférencière, mais aussi en raison du fait qu'elle a su me plonger dans une réflexion sans fin à partir d'une de ses pensées.
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Quelle pensée? La suivante : «Le leadership, ce n'est pas quelque chose qu'on a en soi, mais quelque chose que les autres nous donnent spontanément».
Prenez le temps de lire et de relire cette phrase. Si, si, vous allez voir, ça en vaut vraiment la peine. Car ça contredit nombre d'approches du leadership, et avec justesse, je crois.
Je me suis alors demandé si des études scientifiques abondaient dans le même sens, et c'est ainsi que je suis tombé sur The origins of deference: When do people prefer lower status? Celle-ci est le fruit du travail de : Cameron Anderson, professeur de leadership à l'École de commerce Haas (États-Unis), assisté de son étudiante Courtney Brown; Robb Willer, professeur de sociologie et de psychologie à Stanford (États-Unis); et Gavin Kilduff, professeur de management à l'École de commerce Leonard-Stern (États-Unis). Il en ressort une vision vraiment enrichissante de ce qu'est, au juste, le leadership.
Ainsi, les quatre chercheurs ont pris le contre-pied de la façon dont on aborde d'habitude le leadership. Ils se sont intéressé non pas à ce qui fait que nous agissons en leader, mais plutôt à ce qui fait que – parfois, pour ne pas dire la plupart du temps – nous n'agissons pas en leader au sein d'une équipe. Subtil, n'est-ce pas?
En effet, n'avez-vous pas déjà remarqué, comme moi, que parfois nous agissons en leader (par exemple, lors des séances de brainstorming inopinées), et d'autres fois, nous nous contentons de jouer les seconds rôles (par exemple, lors de la traditionnelle réunion d'équipe du lundi matin)? Et donc, que certaines choses font que notre leadership tantôt s'exprime et tantôt s'éteint?
Mme Brown et MM. Anderson, Willer et Kilduff ont tenu à éclaircir ce mystère et ont, pour ce faire, procédé à cinq expériences. Je vais me contenter de vous dépeindre la première, afin de vous permettre de saisir tout l'intérêt de leur démarche…
Il a été demandé à 100 étudiants d'une université de la Côte ouest américaine de se prêter à un petit exercice. Pour commencer, chacun a dû s'inscrire en ligne, ce qui leur permettait d'apprendre qu'il leur faudrait, la semaine suivante, s'attaquer à des problèmes mathématiques en équipe de quatre personnes. Il leur fallait alors indiquer le rang hiérarchique qu'ils souhaitaient occuper au sein de celle-ci, soit 1, 2, 3 ou 4, sachant que 1 correspondait au poste de leader.
Le jour venu, des équipes de quatre ont été formées, puis isolées dans différentes salles. En jeu : 400 dollars attribués à l'équipe la plus performante, celle qui résoudrait la première tous les problèmes.
Chaque équipe œuvrait sous l'œil d'une caméra : cela a permis à des experts du comportement d'indiquer, par la suite, qui avait agi vraiment en leader. Et à la fin de l'expérience, chaque participant a dû indiquer quels avaient été, dans les faits, les rôles joués par les autres, à savoir s'ils avaient été le 1, le 2, le 3 ou bien le 4.
Résultats? Fort intéressants…
> Préférence pour les seconds rôles. Les deux tiers des participants (66%) ont dit préférer ne pas être le leader de l'équipe. Et aucun n'a dit vouloir être la quatrième roue du carrosse.
> Un leadership assumé. La très grande majorité de ceux qui ont dit souhaiter être le leader l'ont bel et bien été dans les faits.
Vous me direz qu'il n'y a pas là de grande surprise : on le sait tous que tout le monde ne veut pas agir en leader et que ceux qui le veulent vraiment arrivent souvent à leurs fins. Et vous aurez raison. En fait, le sel de l'étude est dans ce qui suit, c'est-à-dire dans la recherche de ce qui motive certains à ne pas être le leader de l'équipe.
Les autres expériences ont ainsi permis de mettre au jour plusieurs choses passionnantes à ce sujet :
> Une simple impression. Ceux qui préfèrent jouer les seconds rôles agissent de la sorte parce qu'ils croient qu'ils n'ont pas les qualités de leader attendues par les autres membres de l'équipe. Autrement dit, ils ne pensent pas qu'ils sont dépourvus de ces qualités, ils pensent que les autres pensent qu'ils ne les ont pas! Il s'agit donc d'une perception qu'ils ont d'eux-mêmes par rapport aux autres. Bref, d'une simple impression.
> Toujours une simple impression. Il arrive que ceux qui préfèrent jouer les seconds rôles se mettent tout de même à agir comme leader. Quand ça? Tout bonnement quand la personne concernée croit que c'est ce que les autres attendent d'elle. Du coup, il y a des équipes où l'on sent qu'on doit jouer les seconds rôles, et d'autres où, au contraire, on sent qu'il nous faut être le leader. C'est donc toujours une question d'impression.
La conclusion est lumineuse : Mme Laberge a raison. Le leadership n'est pas quelque chose que l'on a en soi, mais bel et bien quelque chose que les autres nous donnent spontanément. Nous sentons tout à coup qu'il nous faut prendre les rênes, et nous le faisons, sans y réfléchir. Et ce, même si d'habitude nous préférons rester tranquillement dans l'ombre du leader.
Maintenant, certains d'entre vous s'étonneront du fait que, dans la première expérience, ceux qui voulaient être le leader l'avaient été dans les faits. Ça semble en effet contredire ce que je viens de dire. L'explication est pourtant aisée : ces personnes-là avaient juste la conviction que les autres leur demanderaient d'être le leader, vu leur don pour les mathématiques; et cette impression-là s'est vérifiée pour la plupart d'entre elles, au moment de la composition des équipes.
Que retenir de tout ça? Ni plus ni moins qu'une nouvelle vision du leadership :
> Qui entend devenir un leader, un vrai, ne doit pas chercher à agir comme il croit qu'un leader se doit d'agir, mais plutôt chercher à… ne pas agir comme tel! Car nous n'exprimons pas "notre" leadership, nous le recevons en offrande des autres.
Prenons l'exemple de Barack Obama : un beau jour, ce travailleur social des quartiers sud de Chicago s'est senti appelé à devenir un plus grand leader et s'est présenté devant les électeurs américains, en toute simplicité. C'est ainsi qu'il a fini par devenir le 44e président des États-Unis, et probablement l'un des plus grands leaders de notre époque.
En passant, Alexandre-Auguste Ledru-Rollin, l'un des chefs de file de la Campagne des Banquets qui aboutit à la révolution française de 1848, a dit lors du soulèvement populaire : «Il faut bien que je les suive, puisque je suis leur chef!»
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