BLOGUE. Aller droit dans le mur. Ça nous est tous déjà arrivé au moins une fois. Après coup, on s'est dit qu'on l'avait pressenti et que notre principale erreur avait été de ne pas tenir compte des lumières rouges qui s'allumaient tout autour de nous. On culpabilise. Et on se console – un peu – en se disant que les autres non plus n'avaient pas vu venir le danger.
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Soit. Mais qui d'entre nous a vraiment réfléchi à ce qu'il aurait dû faire pour éviter la catastrophe annoncée? Et surtout au fait que l'équipe entière n'a pas su réagir comme il le fallait? Soyons honnêtes, quasiment personne…
Heureusement, des chercheurs se sont penché sur le problème : Arne Traulsen, professeur de biologie évolutive à l'Institut Max-Planck de Plön (Allemagne), assisté de deux de ses étudiants, Christian Hilbe et Maria Abou Chakra, ainsi que Philipp Altrock, chercheur à l'Institut Dana-Farber de recherche sur cancer de Harvard (États-Unis). Le fruit de leur travail se trouve dans une étude intitulée The evolution of strategic timing in collective-risk dilemmas, dont les résultats sont riches en enseignements pour qui se pique de leadership et de management.
Ainsi, les quatre chercheurs ont concocté un modèle de calcul économétrique visant à regarder comment se comporte un groupe de personnes jouant à un petit jeu très simple. Chacun dispose au départ du même montant d'argent (disons 100 dollars). Le jeu se déroule en 10 tours de jeu, durant lesquels chacun doit déposer dans le pot commun la somme qu'il souhaite, sachant qu'un maximum est imposé (disons 9 dollars), mais pas de minimum (un joueur peut donc décider de ne rien mettre dans le pot commun durant un tour). L'objectif est de faire en sorte que la somme d'argent se trouvant dans le pot commun à l'issue des 10 tours dépasse le montant annoncé au départ (disons qu'il y a 10 joueurs et qu'ils doivent cotiser globalement à hauteur de 700 dollars).
Deux règles déterminent l'issue du jeu :
> Si, à la fin des 10 tours de jeu, l'argent qui se trouve dans le pot commun dépasse effectivement l'objectif fixé, alors chacun empoche ce qu'il a personnellement mis en trop et conserve ce qui lui restait.
> Et si l'objectif fixé n'est pas atteint, alors tout le monde perd l'argent mis dans le pot commun et ne conserve que ce qui lui restait.
Le gagnant est, bien entendu, celui qui se retrouve avec le plus d'argent à la toute fin.
On le voit bien, il s'agit là d'un jeu éminemment stratégique. L'idéal est de laisser les autres dépenser leur argent pour atteindre l'objectif fixé, en contribuant le moins possible. Mais le risque est que tout le monde adopte la même stratégie, et donc que l'objectif ne soit pas atteint. Bref, nous sommes confrontés à un cas de figure où la catastrophe est annoncée, car tout pousse à aller collectivement droit dans le mur.
D'où l'intérêt de l'approche économétrique des quatre chercheurs, puisqu'elle peut permettre d'identifier la meilleure stratégie à adopter quand on sait que les risques d'échec collectif sont élevés. Ils ont mis tout ça dans un ordinateur et observé ce qui se passait dès lors. Résultats? Saisissants…
> Coopération. Plus le risque d'échouer est grand, plus les uns et les autres se mettent à coopérer ensemble pour éviter le drame. Et inversement.
> Échec. Les échecs ne surviennent pas le plus souvent quand le risque d'échouer est élevé, mais quand il est modéré. Pourquoi? Parce que tous les joueurs ne mesurent pas bien le danger lorsqu'il est modéré, et poursuivent donc leur stratégie égoïste trop longtemps : le temps qu'ils réagissent, il est déjà trop tard.
> Temps. En général, les joueurs contribuent de manière modérée durant les premiers tours de jeu, puis arrêtent durant un certain temps – par prudence, de crainte de contribuer davantage que les autres –, pour finir par contribuer massivement à la toute fin. À noter que lorsque les joueurs ne contribuent quasiment pas à l'effort commun au début du jeu, l'objectif fixé est rarement atteint à la fin.
Que retenir de tout cela? Trois conseils pratiques destinés au manager, à mon avis :
> Unissez-vous. Face à une catastrophe annoncée, si vous voulez que les membres de votre équipe se serrent vraiment les coudes, vous devez veiller à ce que dès le départ chacun œuvre à l'effort commun, même si cette contribution est faible. Car sans ça, l'échec est garanti.
> Informez tout le monde. Idem, vous devez bien informer chacun du danger réel qui est encouru. Car si plusieurs ne le mesurent pas bien, ils ne contribueront pas à l'effort commun autant qu'ils le pourraient. Il importe, par ailleurs, de tenir chacun informé tout le temps, vu que plusieurs auront tendance à économiser leurs forces pour les dépenser d'un seul coup à la toute fin.
> Restez vigilant. Car la probabilité d'échouer collectivement est plus forte lorsque le risque d'échec est modéré que lorsqu'il est élevé. Ce n'est donc pas parce que vous avez l'impression que votre trajectoire semble dévier de celle qui vous mène droit au mur que ça va mieux. Au contraire.
En passant, l'écrivain Jules Renard a dit dans son Journal : «Notre égoïsme va si loin que nous croyons, en temps d'orage, qu'il ne tonne que pour nous».
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