BLOGUE. Soyons honnêtes, lorsque nous songeons à ce qui nous pousse à travailler, nous pensons avant tout à nos petits intérêts personnels. Nous pensons à notre carrière, à notre salaire, à notre souci d'exceller dans notre métier, etc. Et nous ne pensons pas franchement à l'avenir à long terme de l'entreprise pour laquelle nous travaillons.
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Pourquoi? Est-ce à dire que nous sommes des monstres d'égoïsme? N'y a-t-il que le fameux "Moi, moi, moi" qui compte à nos yeux? Non, bien entendu. La raison en est que la société dans laquelle nous évoluons est, c'est vrai, basée sur l'individualisme, mais surtout que la plupart des entreprises ont le réflexe de pousser à fond l'individu à voler de succès en succès : primes à la performance, évaluations personnelles, etc. C'est donc surtout une question de culture d'entreprise.
Petite interrogation insidieuse : que se passerait-il si une entreprise misait moins sur la performance individuelle et davantage sur celle de l'équipe? C'est ce que se sont demandé Ann Bartel, professeure de stratégie organisationnelle à Columbia (États-Unis), et Kathryn Shaw, professeure d'économie à Stanford (États-Unis), assistée de son étudiante Brianna Cardiff-Hicks.
Dans le cadre de leur étude intitulée Compensation matters: Incentives for multitasking in a law firm, elles se sont intéressé à un grand bureau d'avocats dont l'identité n'est pas dévoilée. Elles ont eu accès à toutes les informations liées à 431 employés, dont 131 leaders d'équipe, entre 2005 et 2010 : évolution de carrière, évaluations personnelles, primes obtenues, missions accomplies, etc. Et elles ont regardé les changements qu'a occasionné un changement radical de politique managériale survenu en juin 2007.
Que s'est-il passé ce mois-là? La haute-direction a fait entrer en vigueur un plan destiné à mieux aligner les intérêts personnels des leaders sur ceux de l'entreprise. Un plan révolutionnaire. La mesure adoptée était, somme toute, très simple :
> Primes au leadership. Les incitatifs financiers de type "tu-manges-ce-que-tu-attrapes" ont été quasiment supprimés pour être remplacés par des incitatifs liés au leadership.
Qu'est-ce que ça signifiait, au juste? Eh bien, qu'il n'y avait tout-à-coup plus de prime à la performance pour les dirigeants d'équipe. Et qu'à la place, des primes étaient offertes à qui brillait par son leadership, plus précisément par sa façon de motiver les membres de son équipe à voler de succès en succès tous ensemble. Il était désormais bien vu de :
> Améliorer la réputation du bureau d'avocats (par exemple, en choisissant bien ses clients ou en faisant de belles présentations à l'extérieur).
> Veiller au succès à long terme du bureau (par exemple, en approchant des clients potentiels qui n'ont pas besoin dans l'immédiat des services du bureau d'avocats).
> Contribuer au succès financier du bureau (par exemple, en contrôlant soigneusement les coûts de son équipe).
> Faire du mentorat.
> Encourager les autres associés à progresser dans leur carrière.
> Suivre soi-même des programmes de formation.
> Etc.
Résultats? Surprenants…
> Les leaders ont joué le jeu. Les leaders ont travaillé en moyenne six heures de moins par mois qu'auparavant, à savoir six heures normalement rémunérées (soit une baisse d'environ 4% des heures de cette catégorie-là). Par contre, ils ont travaillé sept heures de plus par mois, à savoir sept heures qui n'étaient pas rémunérées, comme celles, par exemple, consacrées au mentorat (soit une progression de 35% des heures de cette catégorie-là).
> Les membres de leur équipe ont davantage travaillé. Chaque membre de l'équipe des leaders qui ont "sacrifié" des heures payées pour les remplacer par des heures non-payées s'est mis à travailler en moyenne 12 heures de plus par mois (une progression d'environ 9%).
> Les membres de leur équipe en ont tiré profit. Les leaders en question n'ont connu aucun impact financier personnel : ce qu'ils ont "perdu" en heures rémunérées a été totalement compensé par les primes au leadership. Quant aux membres de leur équipe, ils ont chacun connu une progression moyenne de 11% de leur rémunération, du fait qu'ils ont plus travaillé qu'auparavant.
Ce n'est pas tout. Les trois chercheuses ont noté une autre chose intéressante :
> Une plus grande efficacité. De par leurs nouvelles activités de leadership, les leaders ont été en mesure de travailler davantage en équipe et d'aider chacun à s'impliquer davantage et mieux. Du coup, cela a permis de noter une hausse de la productivité de chaque membre des équipes concernées.
Inspirant, n'est-ce pas? Il suffit de changer la manière dont on récompense les dirigeants d'équipe pour booster l'efficacité de l'ensemble des employés. Je serais vous…
En passant, Sénèque disait : «La conscience d'avoir bien agi est une récompense en soi».
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