Êtes-vous en forme aujourd'hui? Je l'espère, car j'ai la ferme intention de faire virevolter vos neurones! Plus précisément, de vous confronter un paradoxe sensationnel, qui vous permettra de mieux comprendre le monde dans lequel nous évoluons tous actuellement. Rien de moins.
Prêts? Parfait, installez-vous confortablement, respirez un grand coup, puis plongez-vous corps et âme dans le texte qui suit...
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J'ai mis la main sur une étude renversante de simplicité et d'intelligence, qui a mis au jour le phénomène de 'l'illusion de la majorité'; un phénomène qui va vous faire voir votre quotidien sous un tout nouveau jour. Cette étude est intitulée The majority illusion in social networks et est signée par Kristina Lerman, professeure de science des réseaux à l'Université de Californie du Sud à Los Angeles (États-Unis), assistée de ses étudiants Xiaoran Yan et Xin-Zeng Wu. Voici de quoi il s'agit...
Les trois chercheurs ont noté un fait curieux, tellement curieux même qu'il semble paradoxal. C'est ce qu'on appelle le paradoxe des amis : pensez à chacun de vos amis; essayez ensuite de dénombrer le nombre d'amis que chacun d'eux ont eux aussi (au besoin, faites l'exercice sur une feuille de papier); puis, faites la moyenne du nombre d'amis qu'ont vos amis. Que remarquez-vous? Tiens, leur moyenne est plus élevée que le nombre d'amis que vous avez vous-même. Vos amis semblent donc avoir plus d'amis que vous.
Continuons avec un paradoxe similaire. Prenez votre taille (disons, 1,80 m). Maintenant, prenez celle de chacun de vos amis, et notez-les sur une feuille de papier (leur taille approximative, on s'entend). Faites à présent la moyenne de la taille de tous vos amis, et comparez-la à votre propre taille. Tiens, tiens, vos amis sont en moyenne plus grands que vous.
Comment se fait-il donc que lorsque vous vous comparez à ceux qui vous sont proches, ceux-ci affichent une performance supérieure à la vôtre, dans presque tous les domaines? D'autant plus que le paradoxe est le suivant : si chacun se compare à ses amis et trouve à chaque fois que les autres lui sont supérieurs dans presque tous les domaines, ça ne fonctionne pas. Ce n'est pas logique. Il devrait a priori y avoir certaines personnes pour qui c'est vrai, mais pas pour d'autres. Pas vrai?
L'explication de ce paradoxe est pourtant simple, comme l'ont découvert les trois chercheurs de l'Université de Californie du Sud. C'est que la notion mathématique de moyenne est trompeuse, dès lors qu'on réfléchit en terme de réseau. Elle mène à ce qu'ils ont dénommé l'illusion de la majorité.
Un exemple concret va vous permettre de comprendre. Reprenons l'expérience de votre taille comparée à la moyenne de celle de vos amis, mais avec une différence : disons que l'un de vos amis est haut - j'exagère pour que vous saisissiez - de 100 mètres. D'accord? Que se passe-t-il à ce moment-là lors du calcul de la moyenne de la taille de vos amis? C'est simple : la moyenne vous donnera l'impression d'être un lilliputien par rapport à vos amis. Ce qui, bien entendu, est absurde.
Par conséquent, lorsqu'on calcule une moyenne quelconque concernant notre réseau d'amis, on occulte le fait que peut-êre un ou deux individus qui nous sont connectés 'faussent' les résultats. Par exemple, parce que l'un est ultrapopulaire et compte une centaine d'amis alors que vous en avez personnellement 30; ou encore, parce que l'un mesure pas loin de 2 m de haut. Et on se fait avoir par l'illusion de la majorité, qui nous donne l'impression que nos amis sont, dans le fond, plus beaux, plus intelligents et plus riches que nous (entre autres).
Bon, vous me direz que tout cela est bien gentil, et que vous vous demandez bien ce que ça change de savoir que le calcul d'une moyenne dans un réseau de connexions mène à l'illusion de la majorité. «What the f***?!», me lancerez-vous, sourire en coin. Eh bien, c'est justement là que l'étude prend toute sa saveur.
Les trois chercheurs ont regardé si ce phénomène survenait dans trois réseaux de connexions particuliers, à savoir : un réseau de chercheurs scientifiques spécialisés dans l'énergie; le média social Digg; et un réseau de blogues politiques. Et ils ont vu que l'illusion de la majorité y sévissait dans chacun d'eux.
«Le phénomène était particulièrement virulent dans le réseau de blogues politiques, où de 60 à 70% des internautes étaient connectés à une majorité d'internautes actifs alors même que seulement 20% des internautes étaient actifs», indique l'étude. Autrement dit, la majorité des membres du réseau étaient passifs, mais connectés à une poignée d'internautes actifs, si bien que leur perception du dynamisme et de la pertinence de ce réseau était inévitablement biaisée par ces influenceurs-là.
C'est comme ça qu'un internaute peut avoir l'impression qu'une nouvelle est virale, alors qu'elle ne l'est aucunement. Sur son fil Facebook, il voit passer deux ou trois fois la même nouvelle, en provenance d'amis distincts, et a du coup la certitude qu'elle circule partout. Et pourtant, les chances sont fortes pour qu'il ne s'agisse là que du fruit de l'illusion de la majorité : les deux ou trois amis qui ont relayé la même information sont, peut-être bien, des influenceurs de son réseau, c'est-à-dire des personnes hyper-actives par rapport aux autres membres de son réseau; et du coup, il est poussé à croire que tout le monde en parle.
Cela explique, entre autres, pourquoi certains contenus (une nouvelle, une vidéo, etc.) deviennent viraux, et pas les autres traitant pourtant du même sujet. «Il suffit que des influenceurs se mettent à l'oeuvre autour d'un même contenu pour que ce qui est, en réalité, insignifiant devienne un hit», expliquent les trois chercheurs dans leur étude.
C'est ainsi que des opinions extrêmistes, qui en théorie ne concernent qu'une infime minorité de personnes, donnent l'impression d'être ultrarépandues, pour ne pas dire ultrapopulaires. En raison tout bonnement d'influenceurs on ne peut plus rapides sur la gâchette.
Bref, lorsqu'on est victime de l'illusion de la majorité, on prend le particulier pour le général. Et par suite, une fausseté pour une vérité.
À noter que ce phénomène d'une redoutable efficacité entre en jeu dès que survient un réseau de connexions. Et l'air de rien, cela d'applique partout. Je le souligne : partout. Non seulement dans les médias sociaux, mais dans notre quotidien, en particulier au bureau.
En effet, qu'est-ce qu'une organisation si ce n'est un réseau de connexions plus ou moins vaste et plus ou moins harmonieux? Vous occupez un poste (ex.: journaliste). Lequel est en relation directe avec les membres de votre équipe, dont le boss (ex.: l'équipe de la rédaction). Lequel est encore en contact avec d'autres collègues, que vous côtoyez à l'occasion (ex.: l'équipe des ventes publicitaires, l'équipe des ressources humaines, etc.). Etc. Vous êtes ainsi un point de l'ensemble des connexions existantes au sein de votre organisation (ex.: Le Groupe Les Affaires, dont fait partie le journal Les affaires), un point plus ou moins bien relié aux autres. Et il suffit que l'un des points soit plus influent que les autres (il compte plus de connexions que les autres), que vous soyez en contact direct avec celui-ci, pour que vous ayez l'impression que tout ce qui vient de lui, directement ou indirectement, est quelque chose d'important (alors qu'il se peut très bien que ce ne le soit pas). Oui, cela suffit pour vous envoûter, sans même vous en douter une seule seconde.
Est-ce que vous me suivez? Je l'espère de tout coeur parce qu'il s'agit là d'un phénomène qui peut tourner à votre avantage. Très simplement : puisque les influenceurs ont le pouvoir de rendre populaire ce qui, au départ, était loin de pouvoir le devenir, pourquoi ne vous serviriez-vous pas d'eux pour faire adopter vos idées révolutionnaires à toute l'organisation? Hein? Pourquoi pas?
J'imagine que c'est une rengaine dans votre entreprise : «Ton idée, là, elle passera jamais auprès de la haute-direction», «On l'a déjà tenté un million de fois, p'tit gars» et autres «Si ça marchait, ça se saurait depuis belle lurette». Mais voilà, si vous êtes vraiment convaincu de votre idée, au point de souhaiter la voir se concrétiser, alors le mieux est de faire subtilement appel aux influenceurs qui figurent au sein de votre organisation.
> Qui entend faire adopter son idée révolutionnaire au bureau se doit de recourir à l'illusion de la majorité. Il lui faut identifier quels sont au juste les influenceurs présents dans son réseau, puis trouver le moyen de leur en parler en détails. À l'instant-même où il réussira à les convaincre de la pertinence de son idée, il verra celle-ci devenir, comme par magie, populaire au sein de l'ensemble de l'organisation. À lui, à ce moment-là, de profiter du momentum pour lui donner vie.
En passant, l'écrivain français Victor Hugo a dit dans Les Misérables : «Les révolutions sortent, non d'un accident, mais de la nécessité».
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