Peut-être cela vous est-il arrivé au bureau. Sinon, imaginez la scène… Un beau matin, la nouvelle tombe comme un couperet : un collègue s’est enlevé la vie, durant la soirée. Il ne viendra plus travailler avec vous. Plus jamais. L’onde de choc est phénoménale. Certains pleurent, d’autres s’enlacent pour ne pas craquer, d’autres vont prendre l’air, ou même rentrent carrément chez eux, dans l’espoir – illusoire – de se changer les idées. Tout le monde est secoué, et se souvient des derniers moments vécus avec le disparu, les bons comme les moins bons. Et chacun, en secret, se dit qu’il l’avait vu venir, mais qu’il n’avait rien fait pour éviter le drame. Rien.
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Je sais, ça fait froid dans le dos. Mais il convient, je pense, d’avoir le cran de regarder la réalité en face, surtout si elle fait mal. D’autant plus qu’elle est beaucoup plus courante qu’on ne le croit. C’est que les problèmes de santé mentale – qui peuvent se traduire dans certains cas par des gestes suicidaires – sont très fréquents au Canada.
Ainsi, une enquête du cabinet-conseil en ressources humaines Morneau Shepell montre que 60% des employés canadiens reconnaissent souffrir d’un problème de santé mentale ou de stress excessif. Et en conséquence, 1 employé sur 4 a été malade au cours des six derniers mois en raison du niveau de stress élevé qu’il ressent au travail.
Entrons un peu plus dans les détails, pour bien saisir l’ampleur du problème :
➢ Démission. 45% des employés affirment qu’ils ont songé à quitter leur milieu de travail en raison du stress qu’ils y ressentent.
➢ Congé. 31% des employés ont pris des jours de congé en raison du stress ressenti au travail.
À souligner : les employés de 35 ans et moins affichent des pourcentages encore plus élevés que ceux-ci, concernant ces deux points. C’est-à-dire que les jeunes recrues – les Y et autres Milleniums – sont les premières à avoir l’idée de fuir leur travail si elles ne s’y sentent vraiment pas bien. Et ce, alors que les entreprises d’aujourd’hui ont tant besoin d’assurer une relève pérenne.
Comment expliquer un tel phénomène ? Un chiffre peut permettre de s’en faire une idée : seulement 56% des employés considèrent que leur entreprise œuvre vraiment pour leur bien-être. Oui, vous avez bien lu. Au Canada, seulement 1 employé sur 2 pense que son employeur se soucie de son bien-être !
Et ce, alors qu’une telle préoccupation a des effets positifs qui dépassent presque l’entendement :
➢ Productivité. 90% des employés pensent qu’un employeur qui se soucie vraiment de la santé mentale de ses employés a des répercussions positives sur la productivité.
➢ Loyauté. 86%, sur la loyauté.
➢ Fidélité. 83%, sur le recrutement et sur la fidélité.
C’est clair, me semble-t-il. Maintenant, la question saute aux yeux : comment s’y prendre concrètement pour envoyer le message à ses employés qu’on a à cœur leur santé mentale, pour ne pas dire leur bien-être quotidien au travail ? Voici les principales réponses données par les employés interrogés dans le cadre de l’enquête de Morneau Shepell :
➢ «Communiquez davantage et cessez de cloisonner.»
➢ «Aidez les employés à s’exprimer et à parler aux dirigeants.»
➢ «Encouragez la communication, sans risque de conséquence négative pour celui qui prend la parole.»
On le voit bien, la clé, c’est la communication. Une communication directe et sincère. Un point corroboré par les médecins également interrogés dans le cadre de cette enquête : leur principale recommandation pour pallier aux différents problèmes de santé mentale rencontrés en milieu de travail concerne «une meilleure communication» et «un meilleur soutien social». Soit, concrètement pour l’employeur : «Des superviseurs bien formés», «Des processus de résolution de conflits» et autres «Une meilleure écoute».
Bon. Je sais ce que vous pensez en ce moment précis. Quelque chose du genre : «C’est vrai, une meilleure communication, c’est primordial. Heureusement, chez nous, ça va bien sur ce plan-là». Ne le niez pas, c’est bel et bien ce que vous croyez, n’est-ce pas ?
Le hic, c’est qu’il se peut fort bien que vous vous trompiez. Que vous portiez des lunettes roses. C’est du moins ce que montre l’enquête de Morneau Shepell, sans l’ombre d’un doute :
➢ Respect. 56% des employés donnent à leur milieu de travail une cote de «bon» à «excellent» en matière de respect ; en revanche, 76% des employeurs donnent à leur milieu de travail une cote de «bon» à «excellent» en matière de respect. L’écart est de 20 points de pourcentage. Ce qui est énorme.
➢ Reconnaissance. 43% des employés donnent à leur milieu de travail une cote de «bon» à «excellent» en matière de reconnaissance; en revanche, 60% des employeurs donnent à leur milieu de travail une cote de «bon» à «excellent» en matière de reconnaissance. L’écart est de 17 points de pourcentage. Ce qui est considérable.
➢ Équilibre travail-vie privée. 48% des employés donnent à leur milieu de travail une cote de «bon» à «excellent» en matière d’équilibre travail-vie privée; en revanche, 63% des employeurs donnent à leur milieu de travail une cote de «bon» à «excellent» en matière d’équilibre travail-vie privée. L’écart est de 15 points de pourcentage. Ce qui est beaucoup trop.
Vous voyez? Vous avez encore du chemin à parcourir avant de pouvoir vous féliciter de vraiment prendre à cœur le bien-être de vos employés.
Bon. Une fois cette prise de conscience faite, comment pourriez-vous vous y prendre pour faire un premier pas dans le bon sens ? Eh bien, j’ai une bonne – même excellente – nouvelle pour vous ! Imaginez-vous que j’ai fait hier une rencontre fabuleuse à ce sujet en la personne de… Dave Morissette ! Oui, oui, l’ex-goon de l’équipe de hockey des Canadiens de Montréal !
Une petite mise en contexte s’impose… Dave Morissette a frappé les esprits dans le tout dernier épisode de la télésérie «Lance et compte», en raison du suicide de son personnage, Philippe Lalumière, le bagarreur du National. Une idée du scénariste Réjean Tremblay qui lui est venue à la suite du suicide de trois joueurs de la LNH, ces dernières années. «J’ai accepté de jouer ça pour faire comprendre aux gens que ce n’est pas parce qu’on est millionnaire qu’on a pour autant une belle vie. Le bien-être, c’est fragile, et un rien peut tout faire basculer», m’a-t-il dit.
Ce n’est pas tout. Dave Morissette avait une autre raison pour vouloir jouer cette scène terrible, nettement plus personnelle : «Mon frère s’est suicidé. Et le pire, c’est qu’au fond de moi je savais que ça allait arriver. Je le savais, et je n’ai rien fait. Je le regrette tellement ! J’aurais dû avoir le cran de lui parler, d’aborder franchement le sujet, comme ça se fait dans le vestiaire, où les problèmes, on les règle drette là, sans attendre que la situation s’envenime. Mais voilà, je ne l’ai pas fait», a-t-il raconté, en serrant les gencives.
Dave Morissette sait de quoi il parle quand il aborde le sujet du suicide, et de manière plus générale du mal-être dans la vie et au travail. Il sait ce que c’est que d’être scruté à la loupe dans chaque de ses faits et gestes, de risquer d’être «relégué dans la Ligue mineure» au premier faux-pas professionnel, bref de sans cesse penser à sauver sa peau, au point de parfois perdre la notion d’esprit d’équipe. Comme cela se passe si souvent dans le hockey professionnel, semble-t-il.
«Au Canadiens, j’ai eu comme collègue un Russe qui s’appelait Vladimir Malakhov, a-t-il dit. Un très bon joueur, mais qui était – disons – très réservé : il arrivait que je lui lance un «Bonjour Vlad !», et parfois il me répondait, parfois il ne me répondait pas. Sans qu’on sache au juste pourquoi. Il était froid, il était comme ça. L’ennui, c’est que les autres ont commencé à dire de lui qu’il n’avait pas vraiment l’esprit d’équipe, qu’ils trouvaient son comportement bizarre et désagréable. À tel point que la direction a commencé à envisager de l’échanger. Quand je l’ai appris, je me suis dit qu’on ne pouvait pas se permettre de perdre un tel joueur. Alors, un beau jour, au lieu de le saluer, je l’ai carrément pris dans mes bras et je lui ai fait un câlin ! Et regardez-moi bien, quand je décide de faire un câlin à quelqu’un, c’est impossible de m’en empêcher. Oui, je l’ai fait pour briser la glace. Pour lui montrer qu’on l’appréciait. Pour lui faire comprendre qu’on comptait sur lui pour gagner. Pour qu’il saisisse que ce serait mieux s’il se montrait lui-même un peu plus chaleureux avec les autres.»
Résultat ? «Vlad a vite changé d’attitude. Il s’est mis à adorer mes câlins – non, je plaisante! Il a tout compris, et en a été enchanté. Il s’est intégré d’un coup à l’équipe. Il n’était plus question de l’échanger. Il a d’ailleurs joué plus de saisons au Canadiens que moi», a-t-il précisé.
Depuis, Dave Morissette, celui qui était réputé pour la puissance de sa droite, n’a de cesse de faire des câlins partout où il passe. Authentique! «Le bonheur, c’est contagieux. Il ne dépend que de nous de rendre les autres heureux, et d’ainsi nous rendre nous-mêmes heureux. Le jour où j’ai compris ça, je l’ai mis en pratique. Et mon truc à moi, c’est de faire des câlins. Rien de mieux, croyez-moi, que de démarrer la journée par un câlin. Ça fait du bien, c’est fou!», lance-t-il, radieux.
Vous me voyez venir, j’imagine. Avec mon fameux truc pratique pour résoudre toute sorte de problème au travail, un truc ultrasimple – une fois n’est pas coutume – directement inspiré d’un ex-joueur du Canadiens :
➢ Qui entend améliorer le bien-être de ses employés – et par la force des choses éviter que l’un d’eux en arrive à brasser des idées suicidaires – se doit d’instaurer une nouvelle routine matinale au bureau : les câlins. Au lieu de vous contenter d’un sempiternel et insipide «Salut gang!», mieux vaut prendre un collègue dans ses bras, franchement, et de savourer cette accolade. À l’image de ce qu’adore faire à présent Dave Morissette. «Regardez autour de vous, et vous trouverez forcément quelqu’un qui meure d’envie d’un beau câlin. Personne n’ose se l’avouer, mais nous adorons tous ça», affirme-t-il. L’idée est donc simple : tous les matins, faire un câlin au premier collègue que vous croisez ; bien entendu, les premières fois, il y aura un petit geste de recul, mais une fois la glace brisée, vous verrez que les câlins n’ont pas de prix. C’est garanti.
En passant, l’écrivain français Romain Gary a dit dans Gros-Câlins : «La tendresse a des secondes qui battent plus lentement que les autres».
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