BLOGUE. Lorsqu'on doit faire preuve de créativité, il faut nécessairement sortir de sa zone de confort, et donc se mettre à évoluer au mieux dans le flou et l'incertitude. Et tout le monde n'est pas franchement à l'aise avec ça, n'est-ce pas?
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Petite question qui est loin d'être anodine : existerait-il une astuce permettant de mieux s'adapter à ce genre de situation? Oui, de faire preuve de plus de créativité qu'à l'habitude? Vous voulez la réponse, j'imagine. OK, la voici : un tel truc existe. De surcroît, il est ultrasimple!
Trois chercheurs de l'École de management Rotman de Toronto (Canada) se sont penchés sur le problème : Maja Djikic, directrice du Laboratoire sur l'auto-développement; Keith Oatley, professeur émérite de psychologie cognitive; et Mihnea Moldoveanu, professeur de pensée intégratrice. Ils ont signé une étude intitulée Opening the closed mind: The effect of exposure to literature on the need for closure, qui est parue dans le Creativity Research Journal. Une étude d'une géniale simplicité…
Il a été demandé à 100 étudiants de l'Université de Toronto de fournir quelques données personnelles, dont leurs habitudes de lecture, puis de lire un texte d'environ 6 000 mots. Celui-ci était soit un essai – parmi un choix de huit textes, dont Why do we laugh? d'Henri Bergson, Dreams of the death of beloved persons de Sigmund Freud et Killing for sport de George Bernard Shaw –, soit une nouvelle littéraire, comme The echo de Paul Bowles, In the zoo de Jean Stafford et Prohibition de Glenway Wescott. Des œuvres qui étaient pour la plupart issues de la même période, à savoir la première moitié du siècle passé.
Cela fait, chaque participant a dû remplir un questionnaire visant à évaluer son besoin de certitude et de stabilité. Il s'agissait d'attribuer des notes à une quarantaine d'affirmations comme «Je n'aime pas les situations empreintes d'incertitude» et «J'aime avoir des amis qui sont imprévisibles».
Résultats? Deux trouvailles fort intéressantes :
> Avantage à la littérature. Ceux qui avaient lu une nouvelle littéraire se sont ensuite sentis nettement plus à l'aise avec le flou et l'incertitude que ceux qui avaient lu un essai.
> Avantage aux lecteurs réguliers. Ceux qui lisaient régulièrement des livres – des romans comme des essais – étaient ceux qui se sont sentis le plus à l'aise avec le flou et l'incertitude.
Autrement dit, le simple fait de lire une nouvelle littéraire avant de se lancer dans un travail nécessitant d'évoluer dans le flou et l'incertitude – comme de chercher des idées neuves dans le cadre de son travail – permet d'y parvenir avec plus d'efficacité.
Comment expliquer ce phénomène? Les trois chercheurs ontariens avancent la chose suivante : «Lorsqu'on se met à lire un nouvelle littéraire, notre cerveau se met de lui-même en position d'ouverture à l'inconnu, et non, comme dans le cas d'un essai, en position de compréhension d'un sujet complexe», notent-ils. Dans le premier cas, on entre en mode "?", et dans le second, plutôt en mode "!". Et c'est là ce qui fait toute la différence, semble-t-il.
Or, dès qu'il nous faut briller par notre créativité, il nous faut nous frotter avec les questions, et non avec les réponses. Il nous faut nous éveiller à l'inconnu, et non nous forcer à trouver une solution. Oui, il nous faut nous projeter dans l'obscurité, et non nous précipiter vers la lumière.
«La pensée d'une personne qui lit un roman ne l'amène pas à prendre une décision. Elle fait donc décroître son besoin de certitude et de stabilité, son besoin de trouver une solution à un problème. Elle lui ouvre l'esprit», ajoutent-ils.
Combien de temps ce phénomène dure-t-il? Les trois chercheurs ontariens n'ont ont aucune idée. Ils savent juste avec certitude qu'il est immédiat. Cela étant, comme l'effet s'est révélé particulièrement prononcé chez les lecteurs réguliers, on peut raisonnablement estimer que plus on lit dans sa vie, plus on est disposé à se montrer créatif, le moment venu.
D'où mon conseil du jour :
> Besoin d'être plus créatif que jamais? Prenez le livre de poche de nouvelles que vous emmènerez désormais partout avec vous, lisez-en une vite fait, et lancez-vous aussitôt après à la chasse aux idées neuves.
En passant, le philosophe Aristippe de Cyrène, un disciple de Socrate à Athènes, aimait à dire : «Il ne s'agit pas de beaucoup lire, mais de lire bien».
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