BLOGUE. C’est bien connu, c’est dans l’adversité que l’on se révèle véritablement. Et quoi de mieux, d’après vous, qu’une guerre pour voir si l’on est, au fond de soi, un héros, ou bien un lâche? Mieux, si l’on est solidaire des autres, qui traversent les mêmes épreuves que vous? Rien, bien entendu. D’où l’intérêt de se pencher sur ce qui se produit au sein des armées en guerre, plus précisément sur ce qui fait que des hommes parfois désertent, parfois restent fidèles jusqu’à la mort…
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J’ai justement mis la main sur une étude palpitante à ce sujet, intitulée Cowards and heroes : Group loyalty in the american Civil War. Celle-ci est signée par deux professeurs d’économie, Dora Costa, du MIT, et Matthew Kahn, de la Fletcher School de la Tufts University. Elle montre que le courage et la loyauté des soldats ne tient pas vraiment au leadership du lieutenant ou du général, mais beaucoup plus à certaines valeurs et caractéristiques inhérentes à la troupe dont ils font partie…
Les deux chercheurs se sont intéressés à la Guerre de Sécession. Pourquoi? Avant tout parce que celle-ci a été une véritable boucherie. L’Union, qui comptait quelque 2,2 millions d’hommes, a enregistré 360 000 morts. Et la Confédération a vu 260 000 de son million d’hommes mourir. Un grand nombre de décès ont été dus à la maladie, signe des conditions exécrables dans lesquelles se trouvaient les soldats. Peu ou pas de paye, armes déficientes, approvisionnements inadéquats, etc. Tout semblait a priori réuni pour assister à des désertions massives. Et pourtant, cela ne s’est pas produit.
En effet, dans les rangs de l’Union, plus de 90% des soldats n’ont pas déserté, alors que cela était relativement sans danger de le faire. Les déserteurs n’étaient repris que dans 40% des cas, et quasiment aucun n’était alors condamné à mort. La plupart du temps, ils étaient remis dans le rang, une arme dans les mains, et poussés au combat. C’était tout.
Comment expliquer ce mystère? Les deux chercheurs se sont plongés dans les archives militaires des Etats-Unis et se sont concentrés sur des documents soigneusement choisis, à savoir les dossiers militaires de 31 854 hommes blancs de l’Union. Ces dossiers fourmillaient d’informations, comme l’âge, la taille, le lieu de naissance et celui de résidence, le statut matrimonial, le niveau d’éducation, la profession, les richesses personnelles ainsi que les états de service.
Puis, ils ont mis au point différentes variables visant à décrire différentes caractéristiques individuelles et collectives, à partir des données dénichées dans les dossiers de soldats. Les caractéristiques individuelles correspondaient au profil de chaque individu (grade, âge, etc.); et les caractéristiques collectives, à celui des différentes compagnies (une compagnie comptait en général une centaine d’hommes) dans lesquelles évoluaient les soldats étudiés (âge moyen, grosseur moyenne de la ville de résidence, etc.).
Enfin, ils ont procédé à de multiples calculs économétriques visant à déceler des corrélations entre différentes données. Par exemple, y a-t-il un lien entre le lieu de résidence et le fait de déserter, ou non? Ou encore, entre l’âge et le fait d’être arrêté pour insubordination?
Résultats? Passionnants…
1. Caractéristiques individuelles
> Le profil type du soldat loyal, c’est-à-dire le moins susceptible de déserter ou de désobéir aux ordres, était le suivant : fermier; plus âgé que la moyenne de la compagnie; issu d’une famille aisée; bon niveau d’éducation.
> Les plus susceptibles de déserter étaient : d’origine irlandaise ou britannique; mariés.
> Inversement, les plus susceptibles d’être promus étaient : salariés; propriétaires fonciers; américains de souche.
2. Caractéristiques collectives
> Dans une compagnie, le seul élément permettant de prédire un taux de désertion plus élevé que la normale était la diversité, et ce en matière de lieux de naissance, de professions, ou encore d’âges.
> Idem, en matière d’insubordination, l’unique élément déterminant était la diversité des lieux de naissance.
Mme Costa et M. Kahn sont allés plus loin dans leur analyse. Ils ont concocté une variable correspondant à l’idéologie, soit le niveau de conviction des soldats envers la cause défendue. Comment s’y sont-ils pris pour ça? Grosso modo, en se basant sur l’année d’enrôlement : au début de la guerre, seuls les volontaires entraient dans les rangs de l’Union, puis, les années passant et les morts s’accumulant, les Nordistes ont procédé à des réquisitions, si bien que les dernières recrues étaient toujours moins convaincues par la justesse de se battre. Et là, les deux chercheurs ont découvert que le «niveau idéologique» d’un soldat permettait de prédire s’il allait déserter, ou non. De surcroît, ils ont noté que l’inverse n’était pas vrai : l’idéologie ne permettait pas de prédire les promotions.
Dernière variable retenue : le moral. Il baissait à mesure que les morts et les défaites s’accumulaient pour l’Union, et il remontait quand la situation allait un peu mieux. Et là aussi, il permettait de prédire l’évolution de la couardise et de l’héroïsme chez les Nordistes.
Intéressant, tout cela, n’est-ce pas? Mais bon, pour vous permettre d’y voir un peu plus clair dans cette flopée de résultats, je vais essayer de vous les synthétiser, en les présentant de manière intelligible pour les organisations d’aujourd’hui :
> Vision. L’adhésion à la vision du leader – l’idéologie, dans l’étude – rend loyal;
> Bien-être. Le bien-être au travail – le moral, dans l’étude – donne du cœur à l’ouvrage;
> Homogénéité. Plus que de l’adhésion à la vision du leader et du bien-être au travail, le courage vient de l’équipe elle-même – la compagnie, dans l’étude. Autrement dit, le courage découle de la composition de l’équipe et de l'harmonie qui règne dans celle-ci. Les équipes qui sont relativement homogènes du point de vue ethnique, de l’âge et de la profession sont celles qui sont les moins susceptibles de voler en éclats à la première épreuve rencontrée.
On le voit bien, tout le sel de l’étude est dans ce dernier point. L’important, c’est l’homogénéité de l’équipe. Attention, cela ne signifie pas que les équipes les plus efficaces sont celles dont les membres se ressemblent le plus (même sexe, même tranche d’âges, mêmes origines ethniques, etc.). Pas du tout! L’homogénéité ne doit pas être confondue avec l’uniformité. Elle doit au contraire être entendue comme une convergence de centres d’intérêt. Oui, comme un point de réunion de différentes personnalités et de différents talents, d’où chacun peut rayonner et faire rayonner les autres. Au leader, dès lors, d’orienter ces rais de lumière dans une direction précise pour leur donner toute l’efficacité voulue. Et leur permettre de surmonter ensemble les difficultés à venir. Courageusement.
En passant, l’écrivain français André Malraux a dit dans L’Espoir : «Le courage est une chose qui s’organise, qui vit et qui meurt, qu’il faut entretenir comme les fusils. Le courage individuel, ça n’est plus qu’une bonne matière première pour le courage des troupes»…
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