Soyons honnêtes, nous rêvons tous de faire, un beau jour, des étincelles au travail. C’est-à-dire de trouver l’occasion exceptionnelle qui permettra à notre talent de s’exprimer aux yeux de tous. Et ce faisant, de réaliser une véritable prouesse, oui, une performance époustouflante, que personne avant nous n’a jamais réussi à accomplir. Pas vrai ?
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Mais voilà, nous nous répétons, jour après jour, que ce beau jour finira bien par venir. Et puis le temps passe. Il passe. Il passe. Il passe. Et rien de grandiose ne se produit vraiment. Jusqu’au jour malheureux où certains finissent par laisser tomber les bras. Grillés de n’avoir jamais pu briller.
Vaut-il mieux être fataliste, et se convaincre tout de suite d’arrêter de courir après une lubie. De ne plus agir en bête lévrier qui, entraîné par la course folle des autres chiens, se met lui aussi à filer comme le vent après un lapin mécanique, toujours en vain ? Non, mille fois non ! Car briller au travail, c’est possible. C’est à la portée de chacun de nous. Le hic ? C’est que nous nous y prenons en général tellement mal que nous allons presque toujours d’échec en échec.
Comment puis-je être si affirmatif ? C’est que j’ai dégoté une étude sensationnelle à ce sujet, intitulée Age and the trying out of new ideas. Celle-ci est le fuit du travail de deux professeurs d’économie : Mikko Packalen, de l’Université de Waterloo (Canada), et Jay Bhattacharya, de Stanford (Etats-Unis). Et elle montre sans l’ombre d’un doute qu’il y a moyen d’être considéré par ses pairs comme un véritable prodige.
Ainsi, les deux chercheurs se sont posé une question de départ intrigante : «Y a-t-il, pour un chercheur scientifique, un âge auquel il est plus amené à se pencher sur des idées radicalement novatrices que les autres ?». Autrement dit, ils se sont demandé si, en général, un chercheur tentait plutôt de faire une vraie percée scientifique – disons révolutionnaire, du genre E=mc2 – quand il était jeune, ou bien seulement après avoir un certain bagage, et donc en milieu, voire fin, de carrière. Bref, sont-ils tentés de devenir des prodiges quand ils sont jeunes, ou au contraire quand ils disposent d’une solide expérience ?
Pour s’en faire une idée, ils se sont plongé dans une base de données dénommée Medline, qui recueille toutes les études biomédicales déposées aux Etats-Unis depuis 1946. Ce qui représente pas moins de 20 millions d’études. Qu’y ont-ils cherché, au juste ? Deux choses très précises :
➢ L’âge des idées de chacune des études. Comment peut-on dater une idée, me direz-vous ? Eh bien, c’est somme toute assez simple… Les deux professeurs d’économie ont procédé à une analyse linguistique des résumés de chacune des études, l’objectif étant d’identifier les mots ou les séquences de mots clés, puis de les comparer aux études précédentes. Si les mots clés n’étaient que peu ou pas utilisés dans les études précédentes (par exemple, celles de l’année précédente), c’était qu’il s’agissait d’une idée neuve. Et si en revanche ils étaient déjà fréquents dans les études précédentes, alors c’était le signe qu’il ne s’agissait pas d’une idée neuve. En résumé, une idée neuve partait de zéro tandis qu’une idée ancienne visait, elle, à améliorer ce qui existait déjà.
➢ L’âge du ou des chercheurs de chacune des études. Comment savoir l’âge d’un chercheur au moment où il dépose une étude ? Là encore, c’était assez simple… MM. Packalen et Bhattacharya ont fait preuve de subtilité. Ils n’ont pas, en fait, cherché à savoir si Untel avait 33 ou 44 ans quand il avait signé son étude, mais à évaluer son expérience professionnelle : le jour où un chercheur déposait sa toute première étude était considéré comme le jour de sa naissance, et s’il en déposait une deuxième trois ans plus tard, eh bien, son âge était alors de 3 ans.
Une fois toutes ces informations glanées, les deux chercheurs ont regardé s’il y avait la moindre corrélation entre ces deux catégories d’âges. Ce qui leur a permis de découvrir ceci :
➢ Moins un chercheur a d’expérience, plus il a tendance à réfléchir sur des idées neuves. C’est vraiment dans les 5 premières années d’exercice qu’il s’intéresse à fond pour des idées susceptibles de changer la donne dans son domaine de prédilection. Après cela, la probabilité de le voir se pencher sérieusement sur une idée neuve ne cesse de dégringoler à mesure qu’il acquiert de l’expérience.
➢ Avantage à la collaboration. Plus l’équipe de chercheurs est nombreuse, plus il y a de chances qu’elle s’intéresse à une idée neuve. Et cela se vérifie pour des équipes ayant jusqu’à 9 ou 10 membres (au-delà, aucune tendance particulière ne se dégage). «Par conséquent, il est indubitable que la collaboration ne nuit pas à la réalisation de percées scientifiques spectaculaires, bien au contraire, elle y contribue grandement», indiquent MM. Packalen et Bhattacharya dans leur étude.
Ce n’est pas tout ! Les deux chercheurs ont eu la curiosité de ne considérer, parmi les signataires des études, que les deux principaux : la tradition veut qu’il s’agisse des premier et dernier noms de la liste. Ce qui revenait à regarder si une configuration particulière de ce binôme avait une incidence sur le fait de brasser, ou pas, une idée neuve.
Résultat ? Le voici :
➢ Le binôme idéal est composé d’un jeune et d’un vieux chercheur. Plus précisément, il doit réunir un jeune – moins de 10 années d’expérience – et un vieux – entre 8 et 26 années d’expérience. C’est alors, en effet, qu’il y a le maximum de chances qu’une percée scientifique révolutionnaire soit faite, issue d’une réflexion originale sur une idée neuve.
Cela étant, il y a d’autres binômes intéressants, même s’ils ne sont pas idéaux. Oui, il y a d’autres configurations de binôme qui sont à même de réaliser une percée scientifique impressionnante, même si les chances que cela se produise sont moindres que celles du binôme idéal. Soit :
➢ Deux jeunes. C’est-à-dire, de manière plus précise, l’un ayant entre 1 et 5 années d’expérience, et l’autre, entre 4 et 8 années d’expérience.
➢ Deux expérimentés. C’est-à-dire deux chercheurs ayant tous les deux entre 10 et 15 années d’expérience. Et surtout pas au-delà, car c’est alors que les binômes sont les moins attirés par les idées neuves.
➢ Un jeune et une légende. C’est-à-dire, de manière plus précise, un jeune ayant moins de 10 années d’expérience ainsi qu’un chercheur disposant d’une expérience supérieure à 26 années. Mais à une condition très importante : il faut dès lors que le jeune ait les rênes en mains, que ce soit lui qui dirige les opérations ; sinon, cela ne donne guère de résultat, vu que les binômes dirigés par une légende sont en général réfractaires aux idées neuves.
Le cliché du jeune génie qui fait une découverte révolutionnaire tout seul dans son coin n’est bel et bien qu’un cliché, car il ne correspond pas à la réalité. En vérité, l’idéal pour qu’une idée vraiment géniale voit le jour, c’est qu’un binôme composé d’un jeune et d’un vieux se mette à plancher sur une idée neuve. Et si l’idéal n’est pas possible, on peut y pallier avec efficacité en mariant les semblables (deux jeunes ; deux expérimentés) ou les contraires (un jeune et une légende).
«Notre étude met en évidence l’importance primordiale du travail en équipe, et mieux du mentorat, en matière d’avancées scientifiques. L’idéal est de faire travailler ensemble un jeune chercheur – fort de sa fougue, de son audace et de sa vision neuve de son champ de prédilection – et un chercheur nettement plus expérimenté que lui – fort de sa sagesse, de son jugement et de ses conseils, pour ne pas dire de ses encouragements», soulignent MM. Packalen et Bhattacharya.
Que retenir de tout cela ? Un truc ultrasimple, me semble-t-il :
➢ Qui entend devenir un véritable prodige au travail se doit de travailler en équipe avec la personne le plus susceptible de lui permettre de faire éclater tout son talent. Si vous n’avez que peu d’expérience professionnelle, trouvez-vous quelqu’un de reconnu dans la profession, une star qui a de solides années d’expérience, voire une légende. Si vous avez déjà une dizaine d’années d’expérience, trouvez-vous plutôt un alter ego, quelqu’un digne de vous, avec qui des étincelles jaillissent chaque fois que vous parlez ensemble du boulot. Enfin, si vous êtes déjà considéré par vos collègues comme un vieux, eh bien, tout n’est pas perdu : il vous reste la possibilité de vous associer à un jeune visiblement hyper doué et de l’aiguiller vers une idée neuve, en veillant à intervenir le moins possible, sans jamais chercher à le casser dans son élan créatif.
Voilà. J’espère que cette piste du binôme hypercréatif vous permettra de briller comme jamais au travail.
En passant, l’écrivain français Alfred de Vigny a dit dans Cinq-Mars : «Qu’est-ce qu’une grande vie, sinon une pensée de la jeunesse exécutée par l’âge mûr ?»
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