Nous rêvons tous. Nous rêvons tous, par exemple, de nous retrouver au sein d'une équipe formidable, où chacun est un champion dans son domaine et où les talents de chacun sont complémentaires à ceux des autres. Oui, nous rêvons tous de l'équipe parfaite. Et mieux, d'évoluer sur le plan professionnel au sein d'un vaste réseau de contacts exceptionnels, où chacun ne souhaite qu'une chose, collaborer au maximum de ses possibilités avec tous les autres.
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S'agit-il là d'un beau rêve en couleurs? Eh bien non! Ce rêve peut tout à fait devenir réalité. Dès demain. Pour vous comme pour moi. Mais à condition de suivre les enseignements d'une étude fantastique – je pèse mes mots –, intitulée Aspiration-based partner switching boosts cooperation in social dilemmas. Une étude signée par Long Wang, professeur d'intelligence des systèmes à l'Université Xidian à Xi'an (Chine), assisté de ses étudiants Zhi Li, Zhihu Yang et Te Wu.
Les quatre chercheurs chinois ont eu une idée géniale. Ils ont noté que la civilisation avait pu voir le jour et se développer comme elle l'a fait jusqu'à aujourd'hui uniquement parce que chaque être humain avait su collaborer avec les autres. Et ce, en dépit des conflits perpétuels – grands comme petits – qui surgissent entre les uns et les autres. Bref, ils se sont dit que si nous avions collectivement si bien réussi jusqu'à présent, c'était dû avant tout au fait que chacun de nous avait su s'adapter aux autres, sans pour autant renoncer à ce qui nous est propre.
D'où leur envie de vérifier si cette intuition était juste, ou pas. Comment s'y sont-ils pris pour s'en faire une idée. Eh bien, ils ont considéré notre civilisation comme un immense système doué d'intelligence, où chaque unité – comprendre chaque être humain – se doit d'interagir avec d'autres pour survivre, et même croître. Puis, ils ont regardé s'il y avait un mode de fonctionnement idéal pour ces interactions individuelles.
Concrètement, ils ont repris différents classiques de la théorie des jeux, comme le "dilemme du prisonnier", qui permettent d'identifier les meilleurs comportements à adopter dans certaines situations.
Prenons le temps de quelques explications pour y voir plus clair… Le "dilemme du prisonnier" caractérise les situations où deux personnes auraient tout intérêt à coopérer, mais où les incitations à trahir l'autre sont si fortes que la coopération n'est jamais sélectionnée par un joueur rationnel. Albert Tucker, un mathématicien américain d’origine canadienne, le présentait sous la forme d’une histoire…
Deux suspects (en réalité, les deux responsables du crime) sont arrêtés par la police. Le hic? Les agents n'ont pas assez de preuves pour les inculper, donc ils les interrogent séparément en leur faisant la même offre : «Si tu dénonces ton complice et qu'il ne te dénonce pas, tu seras remis en liberté et l'autre écopera de 10 ans de prison. Si tu le dénonces et lui aussi, vous écoperez tous les deux de 5 ans de prison. Et si personne ne se dénonce, vous aurez tous les deux 6 mois de prison».
Chacun des prisonniers a alors logiquement la réflexion suivante à propos de son complice :
• « Dans le cas où il me dénoncerait :
- Si je me tais, je ferais 10 ans de prison ;
- Mais si je le dénonce, je ne ferais que 5 ans. »
• « Dans le cas où il ne me dénoncerait pas :
- Si je me tais, je ferais 6 mois de prison ;
- Mais si je le dénonce, je serais libre. »
Et de conclure : «Quel que soit son choix, j'ai donc intérêt à le dénoncer».
Si chacun des complices suit effectivement ce raisonnement, ils écoperont de 5 années de prison, l’un comme l’autre. Mais voilà, s'ils étaient tous deux restés silencieux, ils n'auraient écopé que de 6 mois chacun… Cet exemple montre qu’être purement rationnel et individualiste ne mène pas toujours à la meilleure solution.
Le dilemme du prisonnier est ce qu’on appelle un jeu est à somme non nulle, c'est-à-dire que la somme des gains pour les participants n'est pas toujours la même. Il faut dès lors tenir compte de l’option de la collaboration.
Bien. J'espère que c'est maintenant un peu plus clair pour vous. Les quatre chercheurs chinois ont donc considéré plusieurs classiques de la sorte, et y ont introduit une dimension supplémentaire. Laquelle? La possibilité pour chaque joueur de faire varier l'intensité du lien qu'il a avec l'autre, au fil du temps.
Un exemple très simple… Imaginons que vous soyez l'un des deux joueurs, et que vous ayez une prédisposition à vous montrer collaboratif avec autrui, de manière générale. Vous remarquez que l'autre, lui, a plutôt tendance à chercher son profit personnel à chacune de vos interactions, n'ayant pas trop de scrupules à vous flouer si cela fait son affaire. Eh bien, dans le modèle de Long Wang et de ses assistants, vous êtes en mesure, par exemple, de diminuer l'intensité du lien qui vous unit à cette personne égoïste, dans l'optique de vous faire moins arnaquer par elle, ou, autre exemple, d'augmenter l'intensité du lien en modifiant sa nature (disons que vous vous montrez moins généreux avec elle, pour lui faire sentir que vous n'êtes pas dupe), dans l'optique, cette fois-ci, d'inciter l'autre à changer d'attitude à votre égard. Subtil, n'est-ce pas?
Puis, les quatre chercheurs chinois ont analysé ce qui se passait, une fois cette modification apportée aux classiques de la théorie des jeux. Et tenez-vous bien, ils ont ainsi mis au jour des merveilles! Oui, des merveilles, comme vous allez le voir :
> La force de la collaboration. Le simple fait de permettre à un individu de faire varier l'intensité de ses liens avec autrui permet à la collaboration de finir par l'emporter sur la défection. Oui, la collaboration finit par prédominer, même si ce n'était pas le cas au départ, y compris lorsqu'au début le lien considéré nouait entre elles deux personnes foncièrement égoïstes.
> L'importance de la souplesse. Plus le lien est noué serré, moins la collaboration est possible. Pourquoi? Parce que la collaboration, pour voir le jour et grandir, a besoin de souplesse. Il faut que chacun puisse faire varier l'intensité du lien à sa guise pour trouver l'équilibre parfait entre lui et autrui.
> L'intérêt de la différence. Le meilleur moyen pour un individu de développer un réseau de contacts efficace, c'est non pas d'intensifier ses liens avec les personnes avec lesquelles il a les rapports les plus fructueux, mais d'intensifier ses liens avec les personnes avec lesquelles il a les rapports les moins fructueux. Autrement dit, c'est en cherchant à renforcer son réseau à l'aide de personnes qui lui "ressemblent" le moins a priori, celles qui ont le moins de points communs avec lui.
> Une question d'attentes. L'évolution de la collaboration entre deux individus dépend fortement des attentes de chacun envers l'autre. La collaboration pâtit d'attentes trop élevées ou trop faibles. L'idéal, c'est lorsque les attentes sont modérées. Car chacun peut, dès lors, librement donner et recevoir. Car chacun peut ainsi trouver un juste équilibre dans le partage.
Que retenir de tout cela? Ceci, à mon avis :
> Qui entend devenir un champion de la collaboration se doit d'agir en caméléon. C'est-à-dire qu'il se doit s'adapter à autrui, quel qu'il soit, tout en restant fondamental lui-même. Il se doit de miser sur le partage, sans avoir d'attentes démesurées. Il se doit de s'intéresser à l'autre, en le voyant tel qu'il est, non en le voyant tel qu'il aimerait qu'il soit. Il se doit même de se mettre sur la même longueur d'ondes que lui, histoire de trouver les atomes crochus qu'ils ont ensemble.
Voilà. Maintenant, à vous de jouer! Et – qui sait? – peut-être parviendrez-vous un jour à former des duos d'enfer, à l'image de celui qui va prochainement unir Superman et Batman au cinéma…
En passant, Montaigne disait de son amitié exceptionnelle avec La Boétie : «Parce que c'était lui, parce que c'était moi».
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