BLOGUE. L'excellence. Le mot fait rêver : qui d'entre nous n'a jamais souhaité exceller dans son domaine de prédilection? Oui, qui n'a jamais eu, enfant par exemple, la volonté de devenir le premier astronaute à poser le pied sur Mars, ou encore une star du cinéma adulée de foules entières? Et plus tard, une fois adulte, la volonté de créer quelque chose de si remarquable qu'on en parlera encore pendant des générations?
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Certains finissent par arrêter de rêver, se disant que la quête de l'excellence n'est qu'un leurre, pour ne pas dire qu'une perte de temps et d'énergie. Ils se mettent à penser que seule une poignée d'élus, injustement désignés par les dieux ou la chance, peuvent tutoyer, un beau jour, l'excellence. Bref, que pour un Steve Jobs, il y a des millions de tâcherons.
Ont-ils raison? Ont-ils tort? La réponse est simple : ils ont tort. Pourquoi? Parce qu'en fait, ils n'ont aucune idée de la méthode à utiliser pour tenter d'exceller dans un domaine. C'est du moins ce qui ressort de l'ouvrage Choisir l'excellence (Éditions Transcontinental, 2012) de Jim Collins, «le plus grand penseur vivant en matière de management» selon le magazine Fortune, et Morten Hansen, un professeur de management à Berkeley (États-Unis) et à l'Insead (France).
Pendant neuf années, les deux auteurs ont analysé en profondeur une quinzaine de grandes compagnies, histoire d'identifier ce qui les distinguait de leurs concurrentes, moins performantes. Leurs conclusions sont renversantes : si vous pensez, par exemple, que les plus grands leaders sont les plus visionnaires, que l'innovation est la clé pour durer, ou encore que la chance joue un rôle primordial dans la réussite des entreprises, alors vous vous trompez lourdement, d'après eux.
Un exemple lumineux : qu'est-ce qui fait que certains leaders sont bons, et d'autres excellents? MM. Collins et Hansen ont la réponse, à savoir que les excellents sont les «leaders 10X».
Les leaders 10X? Il s'agit de ceux qui «bâtissent des entreprises qui dépassent d'au moins 10 fois la moyenne de leur secteur». Pour avoir une idée plus claire de ce qui les distingue de leurs pairs, les deux auteurs ont commencé par dresser la liste de ce qu'ils ne sont pas :
> Ils ne sont pas plus créatifs;
> Ils ne sont pas plus visionnaires;
> Ils ne sont pas plus charismatiques;
> Ils ne sont pas plus ambitieux;
> Ils ne sont pas plus chanceux;
> Ils ne sont pas plus attirés par le risque;
> Ils ne sont pas plus héroïques;
> Ils ne sont pas plus audacieux.
Ça alors, pensez-vous peut-être. Ils n'ont pas plus de qualités que les autres leaders qui réussissent moins bien qu'eux, notamment pas plus chanceux, audacieux, ou même ambitieux. Mais, qu'ont-ils donc de plus?
Eh bien, MM. Collins et Hansen considèrent que «lucides et inébranlables, les leaders 10X acceptent, eux, sans se plaindre de devoir affronter des forces incontrôlables, de ne pas pouvoir prédire les événements avec exactitude et de vivre dans l'incertitude». Et d'ajouter : «Cependant, ils rejettent catégoriquement l'idée que la chance, le chaos ou tout autre facteur extérieur déterminent leur réussite ou leur échec».
Les leaders 10X adoptent trois comportements fondamentaux qui, réunis, les distinguent des autres. Soit :
1. Une discipline fanatique. Leur action reste cohérente – avec des valeurs, des objectifs, des normes de performance et des méthodes. Les leaders 10X sont opiniâtres, obsédés, inflexibles dans leur quête.
2. Une créativité empirique. Face à l'incertitude, les leaders 10X ne se déterminent pas en fonction des autres, du bon sens, des figures de l'autorité ou de leurs pairs : ils se fient d'abord aux preuves empiriques. Ils s'appuient sur l'observation directe, sur l'expérimentation et sur les preuves tangibles.
3. Une paranoïa productive. Les leaders 10X restent hypervigilants, à l'affût des menaces et des changements de leurs environnements, y compris – et surtout – quand tout va bien. Ils partent du présupposé que les conditions vont évoluer et se retourner contre eux, peut-être au pire moment. Ils canalisent leur peur et leur inquiétude vers l'action, préparent et développent des plans d'urgence, élaborent des plans B et prévoient de larges marges de sécurité.
«Ces trois comportements que les leaders 10X adoptent constituent une force qui les motive : la passion et l'ambition pour une cause ou une organisation qui les dépasse. Ils mettent leur ego au service de leur entreprise et de leurs objectifs, et non de leur gloire personnelle», soulignent les deux auteurs.
Qu'est-ce que cela donne en pratique? Choisir l'excellence en donne de multiples illustrations. L'une d'entre elles est la stratégie «D'abord les balles, ensuite les boulets de canons».
«La réussite des entreprises dirigées par les leaders 10X s'explique davantage par la méthode «D'abord les balles, ensuite les boulets de canon» que par des innovations révolutionnaires et le génie de la prévision.
«La balle est un test ou une expérience dont le coût est peu élevé, qui comporte un risque faible et dont l'impact est limité en termes de distraction. Ces entreprises utilisent les balles pour valider empiriquement leurs tentatives. Une fois cette validation faite, elles mobilisent leurs ressources pour lancer un boulet de canon, ce qui permet d'obtenir plus de résultats compte tenu de la concentration des objectifs.
«Ces entreprises lancent un nombre significatif de balles qui n'atteignent jamais rien. Elles ne savent pas lesquels, parmi ces projectiles, frapperont leur cible.
«On distingue deux types de boulet de canon, selon qu'ils sont calibrés ou non calibrés. Un boulet de canon calibré permet de savoir à travers l'expérience réelle – la validation empirique – que le tir a atteint son but. Lancer un boulet de canon non calibré revient à parier sans validation empirique.
«Les boulets de canon non calibrés peuvent provoquer des calamités. Les entreprises de notre étude ont subi de lourdes conséquences quand des événements graves et déstabilisants se sont produits au moment où elles lançaient un boulet de canon non calibré qui les a fragilisées. Les entreprises comparées avaient nettement plus tendance à lancer des boulets de canon non calibrés que les entreprises dirigées par des leaders 10X.
«Les entreprises des leaders 10X commettent périodiquement l'erreur de lancer un boulet de canon non calibré, mais elles savent rectifier le tir. Nous avons noté que les entreprises comparées s'efforcent à l'inverse de corriger leur erreur en lançant d'autres boulets de canon non calibré, aggravant ainsi leurs difficultés.
«Refuser de lancer les boulets de canon, une fois calibrés, conduit à des résultats médiocres. L'idée n'est pas de choisir entre les balles ou les boulets de canon, mais de tirer d'abord les balles, puis les boulets de canon.
«Les acquisitions peuvent être considérées comme des balles si elles engendrent peu de coûts, des risques limités et si elles ont un impact faible en termes de distraction.»
Intéressant, n'est-ce pas? Ce n'est pas tout…
«La difficulté est d'allier discipline de fer et créativité, sans laisser la discipline inhiber la créativité, ni permettre à la créativité d'entamer la discipline.
«Les entreprises des leaders 10X ne se sont pas montrées plus innovantes que les autres. Dans certains cas, elles l'ont même été nettement moins.
«Nous avons conclu que chaque environnement admet un seuil d'innovation, défini comme le niveau minimal d'innovation requis pour être compétitif dans son secteur d'activité. Dans certains secteurs, le seuil d'innovation est bas, alors que dans d'autres il est au contraire très élevé. Lorsqu'une entreprise a franchi son seuil d'innovation, le fait qu'elle se montre plus innovante semble perdre de l'importance.
«Les entreprises des leaders 10X ne savent pas mieux prévoir les changements et les événements que les autres. Elles ne sont pas visionnaires, mais pragmatiques.
«L'association de la créativité et de la discipline, qui se traduit par la capacité à échelonner l'innovation dans la durée, explique mieux certaines histoires de réussite – d'Intel à Southwest Airlines, des premières années d'Amgen à la renaissance d'Apple sous la conduite de Steve Jobs – que la mythologie de la grande innovation révolutionnaire.»
Voilà. Oui, voilà déboulonnées quelques croyances bien ancrées sur les conditions du succès . Voilà de quoi, je pense, vous faire vous précipiter dans la librairie la plus proche de chez vous pour vite vous procurer Choisir l'excellence.
En passant, une pensée de l'explorateur norvégien Roald Amundsen tirée de The South Pole : «La victoire va à celui qui s'est minutieusement préparé – les gens appellent cela de la chance. L'échec attend celui qui a négligé de prendre les précautions nécessaire à temps – c'est ce qu'on appelle la malchance».
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