Vous voilà à la tête d'une équipe, voire d'une entreprise. Vous voilà donc avec de nouvelles responsabilités, et en particulier une que vous n'avez pas vraiment été amené à assumer jusqu'à présent, à savoir la stratégie. Oui, cet art de planifier et organiser les actions qui permettront aux vôtres d'atteindre l'objectif fixé.
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Les autres comptent sur vous. Vous le savez bien, ils attendent de vous une vision claire de l'avenir vers lequel il va vous falloir tendre tous ensemble. Et encore plus, ils désirent un plan génial pour y parvenir avec brio. Le hic, c'est que – soyons honnêtes – vous n'avez quasiment jamais fait ça auparavant et vous n'avez pas la moindre idée de la meilleure façon de procéder. Pas vrai?
Bon, vous me direz qu'il existe une tonne de bouquins sur le sujet et qu'il vous suffira d'en lire un ou deux qui font référence pour vous en sortir relativement bien, d'ici à ce que vous preniez un peu d'expérience. De fait, une étude datant de 2010 recensait quelque 70 000 ouvrages en anglais traitant de stratégie. Rien de moins.
Le problème, c'est qu'il est aisé de se noyer dans un tel océan de savoir. Et surtout, de ne pas être ainsi confronté à des interrogations auxquelles, pourtant, vous devriez absolument répondre. Des interrogations du genre : «Vous êtes le leader. C'est bien. Mais êtes-vous vraiment la personne la mieux placée pour prendre en mains la stratégie de votre équipe ou de votre entreprise?» Vous voyez, on est ici très loin des classiques de Machiavel et autres Sun Tzu, qui partent du principe que, puisque vous êtes le boss, il vous suffit de suivre une recette à la lettre pour vous transformer, comme par magie, en un excellent stratège…
D'où le vif intérêt que j'ai ressenti en découvrant une étude intitulée Strategy and the strategist: How it matters who develops the strategy. Une étude signée par Eric van den Steen, professeur de gestion des affaires à Harvard (États-Unis). Une étude qui se penche non pas sur la stratégie en tant que telle, mais sur le stratège lui-même.
Ainsi, le chercheur s'est posé quatre questions fondamentales à propos du stratège et de son rôle au sein de l'entreprise. Des questions que l'on n'ose jamais poser, de peur qu'elles ne bouleversent nos croyances et nous habitudes. Il s'est notamment interrogé sur les points suivants :
> La personne qui formule la stratégie, disons pour simplifier le PDG, peut-elle présenter le risque d'empêcher que la stratégie optimale soit adoptée? Autrement dit, se peut-il que cette personne ne soit pas la meilleure pour formuler la stratégie à suivre, même si c'est pourtant son rôle de le faire?
> Dans quelle mesure le PDG doit-il s'impliquer dans la formulation de la stratégie?
> Le PDG doit-il vraiment avoir un œil sur l'application de la stratégie pour que celle-ci porte fruits?
> Enfin, la vision du PDG doit-elle jouer le moindre rôle dans la formulation et l'application de la stratégie?
Comment s'y est-il pris pour y répondre? Tout bonnement en concoctant un modèle de calcul économétrique, c’est-à-dire un modèle permettant d'évaluer quelle est la meilleure attitude à adopter pour les agents concernés dans une situation donnée. Là, le chercheur considère un groupe de personnes qui ont un projet commun et qui doivent faire des choix pour atteindre les résultats désirés. Chacun peut librement avoir accès aux informations nécessaires pour faire des choix et afficher son éventuel désaccord avec les autres quant aux choix à faire. L'une des personnes est distincte des autres : le stratège. Le modèle de calcul vise à déterminer quelles doivent être les caractéristiques de celui-ci pour que le groupe fasse les choix optimaux, c'est-à-dire formule et applique la meilleure stratégie qui soit.
Pas besoin de donner le détail des calculs. Voici les résultats :
> Une question de biais cognitif. Toute personne qui fait un choix stratégique est biaisée. Car elle a une perception biaisée de ce qu'est le "meilleur choix". Par exemple, si c'est le responsable du marketing qui doit prendre une telle décision, il aura tendance à davantage tenir compte de la dimension marketing de la stratégie qu'un responsable d'un autre secteur. Pourquoi? D'une part, parce que nous avons davantage confiance en nous quand il s'agit de prendre une décision en lien avec notre champ de compétence. D'autre part, parce que nous avons tendance à privilégier les choix sur lesquels nous aurons un contrôle par la suite plutôt que de nous en remettre aux autres. En conséquence, l'idéal pour prendre la décision la moins biaisée possible est de s'en remettre à un stratège le plus "indépendant" possible.
> Une solution forcément à l'interne. Nous venons de voir que le stratège idéal est celui qui est le plus "indépendant". Faut-il dès lors s'en remettre à quelqu'un de carrément extérieur à l'entreprise? L'étude montre que non. De fait, les ennuis débouleront dès lors inévitablement au moment de l'application de la stratégie. Car les choix faits par cet expert externe ne seront pas crédibles aux yeux du personnel, lequel n'embarquera pas dans la voie proposée. «C'est d'autant plus vrai lorsque la stratégie adoptée est sujet à la controverse, c'est-à-dire lorsqu'elle déclenche une levée de boucliers chez certains membres du groupe», est-il indiqué dans l'étude.
> L'apanage du PDG. Par conséquent, la personne la mieux placée pour jouer le rôle de stratège est le PDG. Ou à tout le moins, l'équipe de la haute-direction. Parce que le PDG est, en théorie, le moins biaisé des hauts-dirigeants. Et parce qu'il est, toujours en théorie, le plus crédible aux yeux du personnel. Cela étant, il est crucial qu'il ait un œil sur l'application de la stratégie adoptée. Plus précisément, montre l'étude, il faut qu'il ne contrôle que deux sortes de décisions, lors de leur application : celles qui sont stratégiques et celles qui sont sujettes à la controverse. Pas les autres. «C'est bien simple, la stratégie doit être l'apanage du PDG», souligne M. Van den Steen.
> Les deux faces d'une même médaille. Enfin, meilleure est la vision du PDG, et meilleure est la formulation et l'application de la stratégie. «La vision et la stratégie forment, si l'on veut, les deux faces d'une même médaille», précise le professeur de Harvard. C'est-à-dire que l'une ne va pas sans l'autre, et si jamais l'une est tordue, l'autre l'est forcément aussi.
Pour résumer, on peut donc dire que :
> La meilleure personne pour prendre en mains la stratégie est le PDG. Cela étant, ce dernier doit avoir une bonne vision de l'avenir et être doté d'un solide leadership. De surcroît, il doit limiter ses interventions lors de l'application aux décisions stratégiques et à celles qui peuvent déclencher la controverse au sein des rangs de l'entreprise. Sinon, jamais les objectifs visés ne seront pleinement atteints.
Que retenir de tout ça? Une ligne de conduite précise dès qu'il vous faut jouer le rôle de stratège, me semble-t-il. La suivante, présentée en trois points :
1. Convainquez-vous que vous êtes le stratège en chef. Et ce, même si vous n'en êtes vraiment pas persuadé vous-mêmes. Comment? En prenant conscience que vous êtes la personne la mieux placée pour formuler la stratégie optimale. Bien entendu, il n'est pas question de vous isoler dans une tour d'ivoire : le mieux est d'écouter les conseils des autres, tout en ayant en tête le fait que chacun d'eux va – plus ou moins inconsciemment – prêcher pour sa chapelle.
2. Soignez votre vision. Veillez à avoir une bonne compréhension de la situation que l'entreprise connaît actuellement et tâchez de saisir ce qui l'attend, de manière prévisible, à court, moyen et long termes. Car aucun stratège ne peut briller s'il n'a pas une connaissance parfaite du terrain où vont s'affronter les différentes troupes présentes, les vôtres comme celles de vos rivaux.
3. Ayez un œil sur le déroulement des événements. Ne vous attardez pas aux menus détails de l'application de la stratégie adoptée. En revanche, portez toute votre attention sur la réalisation sur le terrain des décisions d'une importance cruciale ainsi que sur celles qui ne font pas l'unanimité au sein de vos propres rangs.
Voilà. À vous de jouer, maintenant.
En passant, l'écrivain allemand Johann Wolfgang von Goethe disait : «Les idées audacieuses sont comme les pièces qu'on déplace sur l'échiquier : on risque de les perdre, mais elles peuvent aussi être l'amorce d'une stratégie gagnante».
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