BLOGUE. Vous comme moi, nous avons un côté obscur que nous préférons dissimuler à autrui. Un petit secret que l’on veut taire à tout prix. Un petit travers qui ferait rire. Une petite manie qui nous rendrait vite insupportable aux autres. Pas vrai?
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Mais voilà, il arrive que ce côté obscur apparaisse au grand jour en dépit de nos efforts constants pour le cacher. Une remarque anodine d’un collègue en lien avec celui-ci, et nous éclatons de colère avec une violence incroyable, complètement démesurée. Une situation au bureau qui nous rappelle ce mal qui nous ronge de l’intérieur, et nous fondons en larmes, à la plus grande stupéfaction des autres. Ou même une simple réminiscence issue d’un détail quelconque (une couleur, un objet,…), et nous perdons toute notre contenance et faisons tout pour prendre la fuite, loin de l’image qui nous hante.
Et puis? Vous me direz que nous vivons très bien de la sorte, sans que cela ne nous occasionne une gêne démesurée. Mais, si vous pensez ainsi, vous commettez, me semble-t-il, une erreur. Ne pas vouloir regarder la réalité en face, et donc ne pas vouloir chercher à comprendre d’où provient ce côté obscur en vous vous nuit quotidiennement, et ce, beaucoup plus que vous ne croyez. Il biaise votre façon de percevoir votre environnement immédiat, il vous stresse à certains moments donnés, il vous empêche de réfléchir sereinement à propos de certains sujets, etc. La liste est interminable, si vous y pensez bien.
Toujours pas convaincus? Alors je vous propose de prendre un cas extrême. Ou plutôt deux cas extrêmes : Batman et le Joker. Je vais m’appuyer pour cela sur une étude très intéressante, intitulée Charactere analysis of Batman and the Joker et signée par une étudiante en psychiatrie dénommée Sandra Lowe. Une étude qui montre à quel point un rien peut nous faire basculer et montrer aux autres le monstre en nous…
Pour commencer, un petit rappel culturel… Batman est né en 1939 de l’imagination débridée de Bob Kane et Bill Finger. Il s’agit d’un super-héros dont la particularité est qu’il n’a aucun pouvoir particulier. Il est, dans le fond, comme vous et moi, à ceci près qu’il a vécu dans son enfance un traumatisme qui, de fil en aiguille, l’a incité à devenir Batman.
Quel traumatisme? L’assassinat, sous ses yeux, de son père et de sa mère, à l’âge de 9 ans. Un soir que la petite famille fortunée est allée à l’opéra, le petit Bruce Wayne a pris peur en voyant sur scène des personnages déguisés en chauve-souris et a obtenu que tout le monde s’en aille avant la fin. Et là, dans une ruelle sombre de Gotham City, le drame s’est produit. «Il n’y a rien de plus traumatisant que d’assister au meurtre de ses parents», ont souligné, un jour, MM. Kane et Finger.
Résultat? Après une longue période de déprime, le jeune Bruce Wayne s’est lancé dans un entraînement intensif, tant physique qu’intellectuel, pour mener à bien le projet de sa vie : éradiquer le mal de Gotham City. Cet entraînement s’est essentiellement déroulé sous la houlette d’un grand maître des arts martiaux, un certain Henri Ducard, qui n’est en réalité que le méchant ambivalent Ra’s al Ghul.
Autre influence importante : Alfred Pennyworth, le majordome du manoir de la famille, un ancien acteur qui l’a aidé, entre autres, à jouer des rôles différents (celui de Batman la nuit, et celui du playboy milliardaire le jour). Enfin, pour effrayer les malfrats, le super-héros a décidé de se vêtir d’un costume de chauve-souris.
Quant au Joker, il a lui aussi vécu un grand traumatisme. Il était grosso modo un homme normal, comme vous et moi, jusqu’au jour où il a vu sa femme se faire défigurer par un requin. Tétanisé par la violence de l’attaque, il n’a pas bougé, il n’a pas volé au secours de sa tendre et douce. Son psychisme ne s’en est jamais remis.
Ainsi, il a voulu prouver à sa femme que son amour dépassait tout. Il a pris un rasoir et s’est tranché les joues pour se défigurer à jamais. Mais ce geste n’a pas eu l’effet escompté : horrifiée, sa femme l’a quitté. Nouveau traumatisme. Il en a perdu définitivement sa personnalité initiale pour en adopter une autre, celle du Joker, parce que celui-ci sourit tout le temps sur les cartes à jouer. Et il s’est donné une mission : faire vivre aux autres l’enfer qu’il subit à chaque seconde de sa vie.
Le diagnostic de Mme Lowe est le suivant :
> Batman
- A été témoin de la mort de ses parents;
- A expérimenté une peur intense, le désarroi et l’horreur;
- A interrompu toute vie sociale normale pendant plus d’une année;
- S’est replié sur lui-même et a été dépressif;
- A quitté son pays pour éviter de faire face à ses problèmes;
- A perdu le goût de vivre normalement;
- Souffre de troubles de la personnalité;
- A des tendances à la violence.
Autrement dit, Batman «se sent responsable de la mort de ses parents, porte un masque, a de multiples personnalités, a un complexe de super-héros, joue au playboy, a des problèmes d’attachement, est impulsif et a un comportement dangereux envers lui-même».
> Le Joker
- A vu sa femme se faire défigurer;
- A expérimenté une peur intense, le désarroi et l’horreur;
- A des comportements auto-destructeurs;
- Est narcissique;
- Est bipolaire;
- A quitté son pays pour éviter de faire face à ses problèmes;
- A perdu le goût de vivre normalement et de cotoyer les autres;
- Souffre de troubles de la personnalité;
- A des tendances chroniques à la violence.
Bref, le Joker est «un psychopathe très dangereux aux tendances auto-destructrices». «Il ne laisse paraître que son côté obscur pour ne plus être confronté à ses traumatismes et pour se «blinder» contre toute émotion liée à un futur rejet», d’après Mme Lowe.
Quant à l’évaluation psychiatrique, la voici résumée :
> Batman
«Son état mental pourrait s’améliorer s’il parvenait à considérer la mort de ses parents comme chose du passé, fonder une famille et réaliser qu’il n’a pas à porter sur ses épaules tous les maux dont souffrent Gotham City.»
> Le Joker
«Son profil paraît irrécupérable. Cela étant, il y a peut-être moyen d’entrer en contact avec lui, du moins pour qui saurait établir un rapport régulier avec lui et l’aimer tel qu’il est.»
On le voit bien, les personnalités de Batman et du Joker sont intrinsèquement liées. L’un est austère, l’autre rit sans cesse (cf. le fameux «Why so serious?»…). L’un est en noir, l’autre se maquille en blanc. L’un respecte la loi, l’autre l’insulte. L’un s’en prend aux coupables, l’autre aux innocents. D’ailleurs, les connaisseurs savent que la première rencontre entre Batman et le Joker est survenue… dès le premier numéro du magazine de Batman!
Pourtant, même s’ils sont différents sur bien des points, on note de grandes similarités entre eux sur le plan psychiatrique. Les deux diagnostics se ressemblent étrangement. De fait, Batman et le Joker sont de dangereux psychopathes aux tendances auto-destructrices, qui ont un goût immodéré pour la violence. À se demander pourquoi l’un a relativement bien tournée (Batman œuvre pour le Bien), et pas l’autre (le Joker œuvre pour le Mal)…
Une interrogation on ne peut plus pertinente, à laquelle Mme Lowe apporte une réponse brillante : «La seule vraie différence entre Batman et le Joker réside dans la capacité à s’adapter à sa nouvelle personnalité», dit-elle dans son étude. Batman navigue entre ses deux personnalités – Bruce Wayne et Batman – à peu près comme il le veut, alors que le Joker en est incapable, ayant tiré un trait sur sa vie passée.
Pourquoi? «Parce que Bruce Wayne, lui, a bénéficié de conseils pour cela», indique-t-elle. Voilà! Oui, voilà tout l’intérêt de cette étude. La notion de conseil.
Je m’explique… Bruce Wayne a eu la chance d’avoir deux maîtres – Henri Ducard et Alfred Pennyworth – pour le remettre dans le droit chemin, du moins autant que possible. Pas le Joker. Batman a bénéficié de conseils judicieux prodigués par deux personnes qui ont su lui parler et éveiller son intérêt. Deux personnes qui l’ont appuyé dans son développement personnel. Deux personnes qui, si l’on y pense bien, l’ont aimé tel qu’il était, avec ses défauts et ses qualités.
Vous voyez sûrement où je veux en venir. Revenons maintenant à notre échelle et à nos menus traumatismes quotidiens. Qu’est-ce qui fait qu’un employé va bien ou mal tourner à la suite d’un revers, comme la révélation au grand jour d’un de ses défauts secrets? Le fait de pouvoir bénéficier, ou non, des conseils d’un coach, pour ne pas dire de son manager ou d’un collègue bienveillant. Tout simplement.
Par conséquent, si vous sentez que dans votre équipe une personne file un mauvais coton, mieux vaut y prêter attention et vous mettre à sa disposition. Sans vous imposer, faites-lui comprendre que vous êtes là en cas de pépin, pour qui que ce soit. Et vous verrez alors peut-être cette même personne se transformer, graduellement, en super-héros oeuvrant pour le Bien, et non pour le Mal…
En passant, Machiavel a dit dans Le Prince : «Il faut estimer comme un bien le moindre mal»…
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