Il suffit d'un rien pour saboter une bonne ambiance de travail. Un boss qui croit bien faire en suivant de près ce que font les membres de son équipe et qui ne réalise pas qu'il leur met ainsi une pression de fou. Un bougon parce qu'il n'a pas obtenu la promotion qu'il espérait avoir. Ou encore, un saboteur anonyme.
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L'ennui, c'est que nous avons tous dès lors le même réflexe : nous feignons d'ignorer le problème. Oui, nous refusons de le regarder en face. Nous n'osons même pas l'aborder avec le principal concerné. Bref, nous adoptons la politique de l'autruche.
Pourquoi? Parce que nous nous mentons à nous-mêmes en nous disant que tout ça ne nous regarde pas. Parce que, disons-le carrément, nous n'avons aucune idée de la manière de s'y prendre pour résoudre le problème, ou ne serait-ce que pour détendre l'atmosphère au bureau.
D'où ma joie lorsque je suis tombé sur une note d'étude intitulée Münchhausen at work, signée en 2007 par Nathan Bennett, professeur de management à l'Université d'État de Géorgie à Atlanta (États-Unis). Car celle-ci met au jour un mal insoupçonné dont souffrent nombre d'équipes et, surtout, présente des idées intéressantes pour l'annihiler.
De quel mal s'agit-il? Du syndrome de Münchhausen par procuration. Pas de panique, vous allez vite saisir ce que c'est.
Avez-vous déjà entendu parler du baron de Münchhausen? J'imagine que oui. C'était ce militaire allemand du 18e siècle qui ne cessait de s'attribuer les exploits les plus invraisemblables et dont s'est inspiré l'écrivain Rudolph Erich Raspe pour en faire un personnage devenu légendaire. C'était l'affabulateur dans toute sa splendeur.
Dans les années 1950, le médecin britannique Richard Asher a noté que certains de ses patients s'inventaient – le plus sérieusement du monde – des histoires de maladie grave, et semblaient eux-mêmes si convaincus qu'ils présentaient des symptômes inquiétants (arythmie, fièvre, diarrhées, vomissements, saignements, etc.). Des histoires en général si détaillées qu'elles en devenaient vite invraisemblables aux yeux des experts. Des histoires dont ces derniers finissaient par rire sous cape, comme l'on rit aux récits farfelus du baron allemand. Il a alors eu l'idée d'appeler ce trouble mental "le syndrome de Münchhausen".
Bien entendu, M. Asher s'est demandé pourquoi des gens agissaient de la sorte. En effet, à quoi bon se dire gravement malade quand on va bien? Il en est arrivé à la conclusion que ces personnes-là étaient désespérément en quête d'attention, pour ne pas dire de compassion.
Presque trois décennies plus tard, le pédiatre britannique Roy Meadow a découvert autre chose : des mères inventaient des maladies graves à leur enfant, avec une telle conviction que même leur petit ne se portait pas bien. Et ce, toujours pour les mêmes motifs : elles souhaitaient par-dessus tout qu'on les plaigne d'avoir un bambin en si piètre santé. Il a appelé ce phénomène "le syndrome de Münchhausen par procuration".
Et tout récemment, M. Bennett a réalisé que ce syndrome-là se retrouvait également sur le lieu de travail, ici et là. Il a d'ailleurs une anecdote à ce sujet…
Un jour qu'il recueillait sur place des informations sur une entreprise figurant dans le palmarès Fortune des 100 des plus grandes entreprises américaines, il a rencontré "Philip" (prénom fictif). Ce dernier avait la réputation d'être un champion de la résolution de conflits entre employés. Tout le monde faisait sa louange. Dès qu'il y avait le moindre pépin quelque part entre deux personnes, on l'appelait au secours et il s'en sortait toujours avec un brio incroyable. Comme par magie.
Mais voilà, M. Bennett s'est intéressé de près à cette histoire, ce qui lui a permis de découvrir quelque chose de curieux. Un conflit était né entre "Mary" et "Tom". Mais en réalité, le professeur a compris que lorsque Philip avait su que les deux allaient faire équipe pour mener à bien un projet important, il est allé voir Mary pour lui glisser que Tom était fâché à l'idée de travailler avec elle. Puis, il est allé voir Tom, pour lui confier que Mary ne cessait de dire du mal dans son dos.
Sans surprise, Mary et Tom ont été incapables de travailler ensemble. Et Philip en aurait profité pour passer, une fois de plus, pour le sauveur, si M. Bennett n'avait pas fait part de ses soupçons à la haute-direction. Résultat? Philip a été, un temps, écarté du bureau, et, comme par hasard, les conflits ouverts entre personnes ont aussitôt disparu au sein de l'entreprise.
«Ce Philip souffrait, de toute évidence, du syndrome de Münchhausen par procuration», indique le professeur de management. De fait, il inventait des maux graves, ce qui lui donnait l'occasion de briller aux yeux de tous en se faisant passer pour un super-héros. Il avait une soif maladive d'attention, et se souciait aucunement des conséquences de ses agissements sur les autres et sur l'entreprise.
D'après M. Bennett, il y a des Münchhausen tout autour de nous au bureau, mais ceux-ci sont si malins qu'il est complexe de les repérer. Car ils peuvent prendre différents visages, comme ces deux-ci :
> Le Cobra. Ça peut être cet employé au bord de la retraite qui se propose d'agir comme mentor pour la relève et qui, en vérité, va distiller son venin auprès des nouveaux venus. Son objectif? Faire croire que les petits nouveaux sont si nuls qu'il va falloir prolonger son contrat plus longtemps que prévu. Ce qui lui permettra de faire croire aux autres qu'il est essentiel à la prospérité de l'entreprise.
> Le Pic bois. Ça peut être cet employé qui ne cesse de glisser des erreurs dans le système informatique, ce qui lui permet de passer pour un crack parce qu'il sait toujours régler les bogues qui surgissent "à l'improviste".
Alors, comment s'y prendre pour deviner s'il y a un Münchhausen près de soi? Le professeur de management recommande de se poser les questions suivantes :
> L'employé que vous soupçonnez être un Münchhausen est-il très souvent impliqué dans la résolution de problèmes? Et dans l'affirmative, y parvient-il aussi très souvent avec un brio impressionnant?
> Cet employé fait-il alors beaucoup d'efforts pour découvrir l'origine des problèmes qu'il résout si bien? Ou a-t-il plutôt tendance à vite passer à autre chose?
> La version de l'histoire de la résolution du problème rencontré donnée par cet employé correspond-t-elle aux versions des autres principaux intéressés?
Vos réponses à ces interrogations devraient suffire à vous mettre la puce à l'oreille. Ou bien, à vous rassurer.
Maintenant, imaginons que vous réalisez qu'un Münchhausen rôde aux alentours. Ou, de manière plus classique, qu'un employé nuit grandement à la productivité de l'équipe dans laquelle il évolue en raison de troubles du comportement sévères. Comment faire face à ça? M. Bennett suggère deux choses :
> Attention. Portez exprès nettement moins d'attention à cet employé. Ne lui attribuez plus des lauriers comme auparavant, mais discernez-les plutôt à tous ceux qui ont contribué à la solution du problème réglé. Car le simple fait de ne plus pouvoir attirer l'attention sur sa personne va perturber le Münchhausen au point, peut-être, de ne plus agir comme il le faisait jusqu'alors.
> Compassion. Partagez vos inquiétudes concernant cet employé à des personnes qui seront en mesure de s'en occuper adéquatement (ressources humaines, psychologue du travail, etc.). Et ce, tout en gardant un œil bienveillant, mais distant, sur cette personne qui souffre.
Vous devriez dès lors voir l'ambiance de travail changer du tout au tout. Les sempiternels problèmes disparaîtront d'eux-mêmes. Et surtout, les sourires reviendront sur tous les visages. Comme par enchantement.
En passant, le dramaturge français Pierre Corneille a dit dans Rodogune : «Qui ne sent point son mal est d'autant plus malade».
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