Il y en a toujours un. Toujours. Vous savez, celui qui crie sur tout le monde. Celui qui dit aux autres comment faire pour bien faire. Celui qui joue sans cesse au petit boss, même s’il n’a aucune autorité légitime sur les autres. Oui, il y a toujours un petit tyran au bureau. Pas vrai ?
La question est, de toute évidence : comment faire pour le déjouer subtilement ? Eh bien, la bonne nouvelle du jour, c’est que j’ai déniché une étude à ce sujet, intitulée Beware the angry leader : Trait anger and trait anxiety as predictors of petty tyranny. Celle-ci est signée par trois professeurs de psychologie de l’Université de Bergen (Norvège) : Anders Skogstad, Torbjørn Torsheim et Stale Einarsen, assistés de leur étudiant Leo Kant. Et elle montre qu’il y a moyen d’y parvenir.
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Les quatre chercheurs norvégiens ont eu une belle intuition, lorsqu’ils se sont intéressé aux bosses qui piquaient des colères noires : ils se sont dit qu’ils avaient de fortes chances d’en trouver dans… la marine. De fait, nous avons tous en tête cette image du capitaine en furie qui hurle sur son équipage, à la moindre incartade. Oui, du capitaine qui est seul maître à bord après Dieu, et donc en droit de se comporter comme bon lui semble à l’égard de ses subordonnés. Ce cliché correspond-il moindrement à la réalité ?
Pour s’en faire une idée, ils ont pris contact avec la direction d’une compagnie maritime spécialisée dans le cabotage le long de la côte norvégienne et ont obtenu l’autorisation de soumettre des questionnaires pointus à leurs employés. C’est ainsi qu’ils ont obtenu de précieuses informations concernant les relations de travail de 272 membres d’équipage et de 99 capitaines.
Dans le cas présent, chaque capitaine a la responsabilité d’un équipage de 2 à 10 membres. Lorsqu’ils sont en mer, ils sont ensemble 24 heures sur 24, et cela peut durer jusqu’à sept journées d’affilée. Autrement dit, des conditions de travail idéales pour que surviennent des coups de gueule à répétition de la part du capitaine, ne serait-ce qu’en raison du fait que certains membres de l’équipage lui portent sur les nerfs.
Qu’est-ce que ces questionnaires leur ont permis d’apprendre ? Ceci :
> Plus un capitaine est sujet aux coups de gueule, plus son équipage a le sentiment qu’il est un petit tyran. Logique, me direz-vous. L’ennui, c’est que cette fâcheuse tendance à crier sur les autres a pour conséquence d’inciter le capitaine à franchir une ligne normalement infranchissable, celle où un leader se montre agressif et dominateur. Et donc, à bel et bien agir en tyran. Ce qui a, on s’entend, un impact négatif sur l’équipage, et en particulier sur sa productivité : chacun va dès lors chercher soit à se rebeller (désobéir, etc.), soit à se soumettre (obéir comme un robot idiot, etc.), ce qui va inévitablement nuire à l’efficacité du groupe, dans tous les cas de figure.
> Les membres d’équipage naturellement anxieux sont les plus sensibles aux capitaines tyranniques. Pourquoi ? Parce qu’il est dans leur nature de craindre l’autoritarisme, d’autant plus qu’ils ont conscience d’être impuissants face à celui-ci. Voilà pourquoi un capitaine tyrannique les effraie, voire paniquer, sans même qu’il ait à pousser une gueulante.
> Les membres d’équipage aux traits psychologiques opposés à ceux du capitaine tyrannique deviennent ses souffre-douleurs. Imaginons un capitaine tyrannique qui est de nature anxieuse. Si par malheur l’un des membres de son équipage est, lui, en général serein dans son quotidien au travail, eh bien le capitaine aura tendance à exercer sa tyrannie sur celui-là. Du moins, nettement plus que sur les autres membres de l’équipage. Le pauvre se fera crier dessus pour un rien. Il sera puni plus durement que les autres. Ou encore, il devra assumer plus de tâches que les autres.
Que retenir de tout cela ? Tout bonnement quelques trucs pratiques pour déjouer le petit tyran de votre bureau, que celui-ci soit votre boss, ou pas. Des trucs qui découleront de ce que vous répondrez aux questions suivantes :
1. Quel est le profil psychologique du petit tyran ? Est-il de nature anxieuse ? Ou affiche-t-il plutôt une assurance sans borne ? Se met-il en colère au quart de tour ? Ou, au contraire, se maîtrise-t-il si bien que son côté tyrannique s’exprime par la seule manipulation ?
2. Quel est votre propre profil psychologique ? Il convient ici d’évaluer, comme pour le petit tyran, vos degrés d’anxiété et de self-control. Le plus honnêtement possible, bien sûr.
3. Votre profil et celui du petit tyran sont-ils grosso modo similaires ? Ou au contraire, opposés ?
Bon. Maintenant, consultez le cas de figure qui vous concerne :
> Êtes-vous de nature anxieuse ?
– Si c’est également le cas du petit tyran, sachez qu’il ne devrait pas s’en prendre particulièrement à vous. Vous pouvez en profiter pour lui faire comprendre qu’il n’agit pas de la bonne façon lorsqu’il s’en prend à son souffre-douleur, si vous en avez le cran. Sinon, vous pouvez en profiter pour l’éviter le plus possible, car il ne s’en offusquera pas tant que ça.
– Si ce n’est pas le cas du petit tyran, sachez que vous risquez de devenir l’un de ses souffre-douleurs, voire son souffre-douleur préféré. Le mieux est alors de tenter de vous affirmer plus qu’à l’habitude au travail, par exemple en vous portant volontaire pour une mission que vous savez dans vos cordes.
> Avez-vous un grand self-control ?
– Que ce soit aussi le cas du petit tyran, ou pas, vous ne devriez pas être perturbés tant que cela par celui-ci. Car il va avoir le réflexe de chercher une victime ailleurs : vous êtes difficilement impressionnable, et représentez donc à ses yeux une proie sans intérêt.
> N’avez-vous pas vraiment de self-control ?
– Méfiez-vous dès lors de… vous-même ! Pourquoi ? Parce que vous risquez de déraper et d’agir, sans vraiment vous en rendre compte, comme un petit tyran en puissance. À l’égard de vos collègues, ou pis, de vos subordonnés. Du coup, chaque fois que vous sentez la moutarde vous monter au nez, faites l’effort de respirer lentement et de laisser les autres parler jusqu’à ce qu’ils n’aient plus rien à dire. Retenez-vous d’intervenir le plus longtemps possible, en tentant, si possible, d’écouter les autres. Et vous verrez que tout se passera mieux, notamment face à un petit tyran qui – sachez-le – se fera toujours un plaisir de vous faire sortir de vos gonds.
Voilà. Vous êtes désormais en mesure de prendre à contre-pied le premier petit tyran venu. À sa plus grande surprise, croyez-moi.
En passant, la philosophe française Simone de Beauvoir a dit dans Pour une morale de l’ambiguïté : «L’homme sérieux est dangereux ; il est naturel qu’il se fasse tyran».
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