BLOGUE. «Le cynisme détruit beaucoup d'idées naissantes. Moi, je pense qu'il faut absolument combattre la morosité.» Celui qui a dit ça est Daniel Lamarre, le président et chef de la direction du Cirque du Soleil. Il l'a dit la semaine dernière, à la tribune d'un déjeuner-causerie de la Chambre de commerce du Montréal métropolitain. Et il avait raison.
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M. Lamarre a aussi indiqué que pour qu'une grande idée puisse naître, il fallait allier passion et énergie. Il a précisé que, dans son cas, le fait de côtoyer Guy Laliberté, le fondateur du Cirque, lui avait permis d'y parvenir : «Grâce à lui, j'ai pu nourrir mes rêves et en réaliser plusieurs», a-t-il dit. Et il avait encore raison.
Raison? Oui, car la créativité a besoin de conditions très particulières pour pouvoir s'exprimer et se déployer. Et cela est vrai pour tout le monde, y compris pour ceux qui pensent qu'ils sont tout sauf créatifs dans la vie et au travail. Plusieurs études récentes en attestent…
Ainsi, les idées géniales surgissent le plus souvent quand on y pense le moins. Ce n'est pas en se cassant la tête sur un problème, enfermé à double tour dans son bureau, qu'on peut trouver la solution, mais plutôt en faisant autre chose que d'y penser : sous la douche, en promenant le chien, au volant, etc. Pourquoi? Parce que les grandes idées résultent en général de la connexion entre deux idées qui a priori n'avaient rien à voir ensemble, d'après une étude de Jennifer Wiley, professeure de psychologie à l'Université de l'Illinois à Chicago (États-Unis), parue l'an dernier dans Psychological Science.
Le processus est très simple : dans un premier temps, on emmagasine dans notre cerveau le plus de données possible sur le problème qui nous préoccupe; et dans un second temps, il ne faut surtout pas – comme on le fait pourtant tous les jours – nous acharner à trouver la solution, mais tout laisser en plan et penser à tout autre chose, l'idéal étant de se distraire. Notre inconscient tourne alors tout seul, et s'allume dès que notre cerveau capte une idée en apparence incongrue, mais qui, associée adéquatement à notre problème, déclenche l'eurêka tant attendu. Sans prévenir.
Un exemple lumineux… Amy Baxter, une docteure spécialisée dans la douleur, cherchait depuis des années comment éviter aux enfants de pleurer à chaque vaccination, et donc le moyen d'éviter qu'ils ne soient traumatisés à vie à la vue d'une seringue. Un soir, elle rentrait chez elle en voiture et a remarqué que le volant tremblait bizarrement. Elle s'est arrêtée sur le bas-côté et a identifié le problème : les roues n'étaient plus vraiment parallèles, si bien que le volant était pris de vibrations constantes. Elle a poursuivi son chemin malgré tout, et une fois arrivée, a noté que les muscles de ses mains et de ses avant-bras étaient devenus presque complètement insensibles. Pourquoi? À cause des vibrations continuelles.
L'idée lui est alors venue d'un seul coup : il suffisait d'associer vibrations et froid pour "anesthésier" en douceur et de manière temporaire les enfants là où l'aiguille devait faire son œuvre. Elle a aussitôt testé le truc sur son garçon de 7 ans, et ça a marché. Aujourd'hui, elle commercialise Buzzy, un petit gadget vibreur en forme de gentille abeille qu'on sort du frigo le moment venu. Celui-ci est utilisé quotidiennement dans quelque 500 hôpitaux américains, d'après le Wall Street Journal (WSJ).
D'autres astuces permettent de faire naître les idées qui ont du mal à sortir au grand jour. En particulier lorsqu'on ne dispose pas vraiment du temps nécessaire pour les laisser émerger quand bon leur semble. J'ai pour cela un truc renversant, si renversant même que vous n'allez pas me croire. Il faut en ce cas s'accorder des périodes de temps dans la journée pour… s'ennuyer profondément!
C'est en effet ce qui ressort d'une étude de Jonathan Schooler, professeur de psychologie à l'Université de Californie à Santa Barbara (États-Unis), parue, elle aussi, dans Psychological Science. Il a été demandé à 145 étudiants de réfléchir individuellement pendant un moment à toutes les utilisations inédites que l'on pourrait faire d'objets courants comme une brique ou une brosse à dents.
Puis, ils ont été répartis en quatre groupes distincts, à l'occasion d'une pause de 12 minutes. Ces groupes devaient, pour l'un, plancher sur un puzzle complexe, pour un autre, faire ce qu'ils voulaient pour se relaxer, pour un autre, remplir une tâche ennuyante au possible, et pour le dernier, se mettre aussitôt à réfléchir en groupe au problème soumis (autrement dit, pas de pause pour eux). Une fois les 12 minutes écoulées, tous les groupes ont dû se remettre à plancher sur le problème auquel chacun avait déjà réfléchi individuellement.
Résultat? Vous le connaissez déjà : le groupe le plus performant, c'est-à-dire celui qui a émis le plus d'idées intéressantes, a été celui à qui on avait demandé d'accomplir une tâche sans intérêt. L'explication est simple : leur cerveau a été contraint d'arrêter de penser au problème, devant se concentrer sur autre chose, mais surtout, toute sa capacité n'a pas été accaparée par la nouvelle tâche à mener à bien (contrairement au puzzle), si bien que leur esprit a pu se mettre à rêvasser. Un peu comme lorsqu'on lave la vaisselle ou lorsqu'on passe le balai par terre : le geste est mécanique et nos pensées se mettent à vagabonder agréablement. Bref, leur créativité a été décuplée par le simple fait d'avoir été "forcés" à leur insu à rêver éveillés.
C'est d'ailleurs la technique régulièrement utilisée par Tor Myrhen, le président et chef de la création de l'agence publicitaire Grey New York, pour dénicher des idées de génie. Quand il lui reste très peu de temps pour répondre à la commande d'un client, il procède en trois étapes :
1. Il emmagasine le plus de stimuli possible en un temps record. Dernièrement, il a ainsi lu de la première à la dernière page tout un exemplaire du magazine Wired, et il est allé voir au cinéma juste après le film Django Unchained.
2. Il s'installe tranquillement à son bureau, la nuit, avec un verre de whisky et de la bonne musique sur son iPod, et pense à tout et à rien. «Après avoir bien nourri mon cerveau, je le mets dans de bonnes dispositions, et ça vient tout seul», a-t-il expliqué au WSJ.
Voilà. Peut-être ces suggestions vous permettront-elles de vous faire trouver, un jour, la meilleure idée que vous ayez jamais eue. N'hésitez pas dès lors à m'en faire part.
En passant, George Lucas, le père de Star Wars, aime à dire : «L'art, ce n'est pas d'arriver avec des idées neuves, mais d'interpréter les idées qui nous entourent depuis toujours».
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