Qui dit nouveau projet d’envergure dit souvent nouvelle équipe. Car le succès du nouveau défi à relever dépend non seulement de la réunion de talents pertinents, mais aussi de la chimie entre ceux-ci. Logique, n’est-ce pas ?
Mais voilà, il y a toujours un pas – pour ne pas dire un gouffre – entre la logique et la réalité. Car créer une toute nouvelle équipe de travail relève de l’art. Oui, de l’art : il n’y a aucune recette magique pour que cela marche à tous les coups. Parfois, cela fait des merveilles ; parfois, cela déclenche des catastrophes. Et ce, sans qu’on sache jamais trop pourquoi.
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Faut-il par conséquent s’en remettre à la chance ? Se contenter de croiser les doigts, en espérant que les dieux vont nous sourire ? Non, bien entendu. S’il n’existe pas de méthode imparable, il y a tout de même moyen de « forcer » la chance. C’est du moins ce que j’ai saisi en découvrant une étude intitulée Comobility et signée par : Matt Marx, professeur de stratégie, d’entrepreneurship et d’innovation technologique à l’École de management MIT Sloan à Cambridge (Etats-Unis); et Bram Timmermans, professeur de comportement organisationnel et d’entrepreneurship à l’Université d’Aalborg (Danemark). Une étude fascinante, comme vous allez le voir.
Les deux chercheurs se sont intéressé à ce qu’on appelle la «comobilité». Il s’agit d’un néologisme caractérisant le fait que non pas un, mais plusieurs employés passent d’une entreprise à l’autre. Cela peut découler du fait, par exemple, qu’une entreprise en acquiert une autre, et décide de fusionner des équipes entre elles. Cela peut également se produire lorsqu’une star se fait débaucher par un concurrent, et emmène avec lui plusieurs de ses collègues. Etc.
Ils se sont demandé si le phénomène de la comobilité était fréquent, ou plutôt une rareté. S’il ne concernait qu’une élite, ou plutôt un échantillon plus large d’employés. Et s’il avait le moindre impact sur la performance des employés concernés.
Pour s’en faire une idée, ils ont recouru à deux bases de données. D’une part, l’Automatic Speech Recognition (ASR), qui regroupe une foule d’informations sur les employés des firmes à la fine pointe de la technologie, à l’échelle de la planète ; des informations sur, entre autres, leurs CV, leurs salaires et leurs dépôts de brevets. D’autre part, la Danish Integrated Database for Labor Market Research (IDA), qui présente des informations pointues sur l’ensemble des employés évoluant au Danemark, lesquelles sont tirées des enquêtes démographiques menées par Statistique Danemark ; des informations permettant, entre autres, de suivre à la trace l’évolution de la carrière de chacun.
MM. Marx et Timmermans ont croisé ces deux bases de données dans l’optique d’en dégager des données fiables en lien avec la comobilité. Résultats ? Voici les trois principaux :
➢ La comobilité représente 11% de l’ensemble de la mobilité professionnelle. C’est-à-dire que lorsqu’un employé change d’employeur, 1 fois sur 10 il le fait avec un ou plusieurs membres de l’entreprise dans laquelle il évoluait. «Ce chiffre est nettement supérieur à ce que nous avions anticipé. Des estimations préliminaires nous avaient indiqué que le pourcentage devait tourner autour de 1,4% : nous étions loin du compte», indiquent les deux chercheurs dans leur étude.
➢ La comobilité est payante pour les employés concernés. En général, les employés qui changent ensemble d’employeur empochent au passage des salaires nettement supérieurs à ce qu’ils auraient été s’ils avaient effectué ce changement individuellement.
➢ La comobilité est bénéfique pour la productivité des employés concernés. En général, les employés qui changent ensemble d’employeur se montrent nettement plus productifs qui s’ils avaient effectué ce changement tout seul. Et cela se vérifie surtout auprès de ceux qui évoluaient dans la même équipe ou qui ont déjà œuvré sur un même projet.
Fascinant, vous ne trouvez pas ? Ainsi, le phénomène de la comobilité est plus fréquent que ce que l’on croit a priori, et surtout, il permet aux employés concernés de gagner plus et de se montrer plus productifs que jamais. Ce qui est tout bénéfice pour le nouvel employeur.
Que dégager de tout ça ? Eh bien, un truc ultrasimple pour s’assurer de mettre toutes les chances de son côté dès lors qu’on compose une nouvelle équipe, me semble-t-il :
➢ Qui entend voir sa toute nouvelle équipe faire des étincelles se doit d’user de la comobilité. C’est-à-dire qu’il lui faut veiller à ne surtout pas réunir des individus qui ne se connaissent ni d’Ève ni d’Adam, mais plutôt des personnes qui ont déjà travaillé ensemble par le passé (et qui ont apprécié l’expérience, bien entendu). Il lui faut non pas piger un membre d’une équipe, puis un autre d’une autre, et encore un autre d’une autre, en se disant que l’addition de talents complémentaires fera des merveilles, mais en prendre deux ou trois d’une équipe, puis deux ou trois autres d’une autre, etc., même si à première vue ces personnes-là semblent moins «douées». Pourquoi ? Parce que l’efficacité de la nouvelle équipe va résulter avant tout des liens déjà noués entre la plupart de ses membres ; des liens qui assurent notamment une meilleure communication et un meilleur échange des savoirs.
Voilà. La performance d’une nouvelle équipe dépend en grande partie de sa composition, ce dont tout le monde se doutait, mais là où la plupart du temps on se trompe, c’est en croyant que la clé du succès réside dans l’addition de talents complémentaires, alors qu’en vérité il se trouve davantage dans les connexions préexistantes entre les personnes concernées. Subtil, non ?
En passant, l’artiste français Abd al Malik a dit dans une récente entrevue accordée au magazine Télérama : «La véritable irrévérence aujourd’hui, c’est de faire du lien dans une époque qui sépare les êtres».
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