BLOGUE. Au fond, à quoi tient le succès d'une équipe? À l'addition de ses talents? À la complémentarité de ceux-ci? Au leadership de son manager? À un peu de tout ça à la fois? En fait, la réponse est assez simple : à sa cohésion. Autrement dit, à l'esprit d'équipe qui y règne.
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Un exemple vous en convaincra… Prenons le soccer. Quelle est l'équipe qui détient actuellement le titre de champion du monde? L'Espagne. Pourtant, l'équipe d'Espagne ne compte pas dans ses rangs d'immense prodige qui, à lui tout seul, peut faire basculer un match, comme pouvaient le faire Pelé et autres Zidane. Et elle ne semblait mi meilleure ni moins bonne qu'une autre équipe qualifiée pour la compétition qui a eu lieu en 2010. Comment expliquer sa victoire? Son esprit d'équipe. Rien d'autre. Sur le terrain, les joueurs avaient visiblement un plaisir fou à jouer ensemble, à rivaliser de virtuosité entre eux et à se passer le ballon les uns aux autres, sans jamais chercher «à la jouer perso», comme on dit.
Maintenant, la question est de savoir comment, concrètement, il est possible de faire régner un tel esprit dans sa propre équipe. Eh bien, j'ai peut-être déniché une belle trouvaille à ce sujet, dans une étude intitulée Does sharing values lead to cooperation? A similarity-based investigation. Celle-ci est signée par Paolo Pellizzari, professeur d'économie à l'Università Ca' Foscari de Venise (Italie), assisté de deux étudiantes de la même université, Caterina Cruciani (économie) et Anna Moretti (management). Elle indique que l'esprit d'équipe repose essentiellement sur un socle inattendu…
Ainsi, les trois chercheurs se sont demandés ce qui pouvait bien expliquer le fait qu'il y ait une bonne coopération au sein de certaines équipes, et une coopération quasi-nulle chez d'autres. Ils ont regardé ce qui avait été déjà fait comme recherches sur ce thème et ont noté que la plupart d'entre elles en arrivaient à la conclusion que le facteur déterminant était la réciprocité. Grosso modo, on n'a pas envie de travailler avec les autres si l'on sait à l'avance qu'on ne profitera pas, ou peu, du fruit du travail commun. Ça semble logique : à quoi bon mettre l'épaule à la roue si cela ne nous apporte pas grand-chose?
Mais voilà, les trois chercheurs se sont dits que cette explication était peut-être trop sommaire. L'être humain est, par définition, un être complexe, si bien qu'il convient d'aborder toute interrogation à son sujet sous différents angles. Ce qu'ils ont fait, en regardant d'un point de vue économétrique ce qui peut se produire dans une équipe lorsqu'un individu sait qu'il ne tirera aucun bénéfice personnel d'un projet mené en commun. Son réflexe premier va-t-il consister à se retirer aussi vite que possible, histoire de minimiser ses pertes (ou plutôt son manque à gagner)? Ou va-t-il se comporter d'une toute autre façon?
M. Pellizzari et Mmes Cruciani et Moretti ont donc mis au point un modèle complexe dans lequel ils ont estimé, dans un premier temps, que l'individu avait le choix entre deux possibilités : intégrer un groupe ou un autre, sachant que ni l'un ni l'autre ne lui apporterait quoi que ce soit sur le plan financier. On peut imaginer une personne qui aurait à choisir entre devenir bénévole dans un organisme de bienfaisance ou intégrer la chorale d'une église.
Puis, ils ont fait entrer en ligne de compte une variable permettant de faire un choix : les valeurs. Oui, les valeurs de l'individu et celles des différentes équipes. Deux types de valeurs, pour être plus précis : les principales et les secondaires. Les valeurs principales concernent celles qui caractérisent le plus la personne, c'est-à-dire celles sur lesquelles il ne sera jamais possible de faire de compromis; tandis que les secondaires, elles, sont assez souples pour que la personne en question puisse, à l'occasion, fermer les yeux sur ce qui la dérange, pourvu que cela permette d'apaiser ses rapports avec autrui.
Enfin, ils ont multiplié les simulations afin d'optimiser les calculs. Que ce soit en faisant varier la taille des équipes, la répartition des différentes valeurs, ou encore les écarts entre ce que sont les valeurs principales et les secondaires.
Résultat? «Des groupes se forment et coopèrent à merveille dès lors que leurs membres s'identifient les uns aux autres, c'est-à-dire dès qu'ils sentent qu'ils partagent des valeurs fortes. Peu importe alors si l'un ou l'autre ne retire aucun profit direct du travail qui sera fait ensemble, le groupe fonctionnera au mieux sans cela», est-il indiqué dans l'étude.
C'est aussi simple que ça… L'esprit d'équipe découle avant tout des valeurs communes, oui, des valeurs fortes partagées par tous les membres de l'équipe. Et inversement, on en déduit qu'une équipe dysfonctionnelle résulte d'un manque d'uniformité dans les valeurs fondatrices du groupe.
Les trois chercheurs sont allés une coche plus loin dans leur étude. Ils ont intégré une dernière variable : la mémoire. Sans surprise, ils ont constaté que d'un point de vue économétrique, plus une équipe avait la mémoire longue en matière de valeurs fortes, plus elle était soudée dans l'effort.
Que retirer de tout cela? Que pour renforcer la cohésion de l'équipe que vous pilotez, mieux vaut :
1. Réfléchir aux valeurs nécessaires pour l'accomplissement des missions que vous avez à remplir. C'est-à-dire en dresser la liste, puis réduire celle-ci au strict minimum.
2. Parler du fruit de votre réflexion aux autres, et leur demander leur opinion.
3. Revoir la liste en fonction des commentaires reçus.
4. Faire adopter la liste finale à chacun des membres de votre équipe.
5. Baser désormais chacun de vos faits et gestes en fonction des valeurs fondamentales de votre équipe. Et en demander autant de tous les autres.
6. Vérifier que chaque nouvelle recrue partage les valeurs du groupe.
7. De manière générale, veiller à ce que les valeurs du groupe perdurent dans le temps.
En passant, l'écrivain français Claude Michelet a dit un jour, en entretien : «Chaque individu doit se forger ses propres outils, ses propres valeurs, s'il ne veut pas se transformer en zombie»…
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