L’injustice. Elle survient au travail lorsque la décision d’un boss joue en notre défaveur. Lorsque nous ne touchons pas la prime que nous avions cru mériter. Lorsqu’encore nous ne décrochons pas le poste auquel nous avions postulé. L’injustice, on le voit bien, est notre lot quotidien, ou presque, au bureau.
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Le hic, c’est que nous ne savons jamais comment y réagir? Faut-il s’en offusquer, et monter sur nos grands chevaux? Ou convient-il plutôt de plier l’échine sur le coup, pour mieux la redresser à la première occasion? Une question de tempérament, et de circonstances, me direz-vous. Eh bien , pas tant que ça…
C’est en effet ce que j’ai appris grâce à une étude intitulée Fast to forgive, slow to retaliate: Intuitive responses in the ultimatum game depend on the degree of unfairness. Une étude signée par quatre professeurs de psychologie : Eamonn Ferguson, Peter Bibby et Claire Lawrence, tous trois de l’Université de Nottingham (Grande-Bretagne); et John Maltby, de l’Université de Leicester (Grande-Bretagne). Une étude riche en enseignements, comme vous allez le voir.
Les quatre chercheurs se sont étonné d’une chose a priori étrange : quand nous voyons un parfait inconnu en difficulté, notre premier réflexe, c’est de lui venir en aide. Y compris si cela nous met en danger : il suffit qu’un enfant tombe à l’eau et panique dans les tourbillons du courant pour que, sans réfléchir, nous plongions à notre tour pour lui porter secours. Pourtant, quand on y réfléchit, ce comportement est irrationnel : à quoi bon mettre en péril notre vie pour un parfait inconnu?
Ils ont noté que plusieurs études récentes allaient dans le même sens pour expliquer ce curieux comportement : l’explication résiderait essentiellement dans le fonctionnement de notre cerveau. Dès qu’il est confronté à un problème, notre cerveau se met à fonctionner d’une des deux seules façons possibles. Soit il adopte le système 1 (rapide, intuitif, automatique, sans effort, en tenant compte des émotions), soit il adopte le système 2 (lent, réfléchi, proactif, nécessitant des efforts, sans tenir compte des émotions).
Du coup, lorsqu’il est confronté à quelque chose d’inattendu (par exemple, un enfant en train de se noyer), notre cerveau recourt aussitôt au système 1 : nous n’écoutons plus dès lors que notre coeur et nous sautons à l’eau, au péril de notre vie; sans réfléchir. Cela étant, il peut arriver qu’un détail freine notre élan au dernier moment : on peut imaginer, par exemple, que le cerveau se rappelle que l’on ne sait pas nager, et donc qu’il serait ridicule que les deux se noient. Si bien que nous passons au système 2, qui va nous inciter à agir autrement, de manière plus raisonnable, comme d’appeler au secours.
Les quatre chercheurs, en considérant ce cas de figure particulier, ont noté que l’élément déterminant était finalement… le temps. Oui, le temps pris avant d’agir. Plus on s’accordait de temps avant de passer à l’action, plus il y avait de chances que l’on passe du système 1 au système 2. Et donc, plus il y avait de chances qu’on prenne une décision raisonnable lorsque nous sommes confrontés à l’inattendu.
Ils ont voulu vérifier cette intuition, et ont pour cela décidé de s’intéresser à l’injustice. Comment faire pour y réagir au mieux, sans céder trop aisément à nos impulsions? se sont-ils demandé. Et pour s’en faire une idée, ils ont concocté une petite expérience…
Il a été demandé à 204 volontaires de bien vouloir jouer au jeu de l’ultimatum. Le principe est simple : chacun était installé dans un cubicule; face à lui, un ordinateur; sur l’écran, la présentation de la règle du jeu, soit le fait qu’un autre joueur allait lui faire une offre de partage de la somme qu’il dispose (10 livres, soit environ 17 dollars); le joueur devait alors décider s’il acceptait cette offre de partage, ou pas; dans le cas où l’offre est acceptée, l’argent est partagé comme convenu; si l’offre est refusée, personne n’empoche rien.
En réalité, l’offre présentée était faite par un logiciel conçu pour les besoins de l’expérience. L’offre n’était jamais la même, pouvant aller de 50-50 (partage équitable) à 90-10 (offre carrément injuste, le joueur ne se voyant offrir que 10% de la somme). De surcroît, le temps entrait en ligne de compte, à l’insu des joueurs : certains ne disposaient que de 1 ou 2 secondes pour répondre, alors que d’autres devaient obligatoirement attendre 8 ou même 15 secondes avant de fournir leur réponse.
Astucieux, n’est-ce pas? Voici maintenant ce que cette expérience a permis aux quatre chercheurs de trouver :
> Pardon. Face à une petite injustice (en l’occurence, une offre 60-40), les participants qui ont vite réagi, et donc recouru au système 1 pour faire leur choix, ont eu tendance à accepter l’offre. Et par conséquent, à pardonner l’injustice qui leur était faite.
> Vengeance. Face à une petite injustice (une offre 60-40), les participants qui ont pris le temps de réfléchir, et donc recouru au système 2 pour faire leur choix, ont eu tendance à décliner l’offre. Et par conséquent, à se venger de l’injustice qui leur était faite.
> Unanimité. Face à une injustice flagrante (ici, une offre 90-10), les participants n’ont jamais hésité à rejeter l’offre. Le coeur et la raison arrivent dès lors toujours à la même conclusion.
«Nous sommes en général prompts à pardonner l’offense qui nous est faite, et lents à lui répliquer», résument les quatre chercheurs dans leur étude. Et de souligner : «Mais lorsque l’offense est carrément choquante, là, nous ne manquons jamais de rendre la monnaie de sa pièce à celui qui s’est moqué de nous, ou à tout le moins de garder une dent contre lui. Avec cet avantage que le rejet de l’offre fera une leçon à l’offenseur, si bien qu’à l’avenir il se montrera probablement plus généreux».
Que retenir de tout cela? Ceci, à mon avis :
> Qui entend réagir au mieux face à une injustice se doit de prendre tout son temps. Pourquoi? Parce que ce temps-là peut nous donner le courage de ne pas plier l’échine, ce que nous serions peut-être tenté de faire s’il nous fallait décider au plus vite. Parce que surtout ce temps-là peut nous permettre de mieux analyser la situation, sans pour autant perdre de vue ce que nous murmure notre coeur. Bref, parce que c’est ainsi faire preuve de sagesse, et non pas de faiblesse.
En passant, l’écrivain français Georges Bernanos a dit dans Les grands cimetières sous la lune : «Le spectacle de l’injustice m’accable, mais c’est probablement parce qu’il éveille en moi la conscience de la part d’injustice dont je suis capable».
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