BLOGUE. Il vous est sûrement déjà arrivé de prendre une décision importante sans savoir à l'avance quelles en seraient les conséquences. Un peu comme un pari, comme une marque de confiance envers votre «bonne étoile». Par exemple, quand vous vous êtes lancé la première fois sur une piste de ski noire, ou encore la dernière fois où vous avez décidé de passer à l'orange (un orange honnêtement plus rouge qu'orange…). Est-ce que je me trompe?
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Après coup, vous vous êtes peut-être dit que vous ne le referez plus jamais, que le jeu n'en valait pas la chandelle. Car même si vous n'avez pas eu d'accident, vous savez que la probabilité que cela se soit produit était dangereusement élevée. Et pourtant, vous avez récidivé peu de temps après. Certes d'une autre façon, mais cela revient au même.
Pourquoi? Oui, pourquoi reprenons-nous sans cesse des risques inutiles? Et ce, dans la vie privée comme au travail. Pourquoi signons-nous encore et toujours des contrats tout en sachant fort bien qu'on ne sait pas trop à quoi on s'engage? Pourquoi donnons-nous notre feu vert à des projets tout en sachant au fond de nous que quelque chose cloche quelque part? Pourquoi fermons-nous les yeux et prenons-nous une grande respiration avant de dire «oui» à l'autre personne au bout du fil?
Connaître la réponse à toutes ces interrogations nous permettrait, à n'en pas douter, de commettre moins de bévues. La question est : «Une telle réponse existe-t-elle?». Eh bien, la réponse est : «Oui». Si, si… Il y a bel et bien moyen de réagir au mieux face à l'incertitude, c'est-à-dire de prendre de bonnes décisions quand il nous faut faire des choix dont nous ne connaissons pas pourtant tous les tenants et tous les aboutissants.
Ce moyen, je l'ai déniché dans une étude intitulée Group decisions under ambiguity: Convergence to neutrality. Celle-ci est signée par Enrico Diecidue, professeur de science des décisions à l'Insead (France), assisté de son élève Steffen Keck, et par David Budescu, professeur de psychologie à la Fordham University (États-Unis). Elle indique que face à l'incertitude, l'idéal est de prendre une décision concertée…
Ainsi, les trois chercheurs ont soumis 240 étudiants new-yorkais à une expérience visant à analyser notre comportement vis-à-vis de l'incertitude. Les participants ont été répartis aléatoirement en trois catégories différentes, chacune correspondant à un test distinct :
Catégorie 1 : le participant doit prendre une série de décisions seul, puis une autre série de décisions en groupe.
Catégorie 2 : il doit prendre une série de décisions en groupe, puis seul.
Catégorie 3 : il doit prendre une série de décisions seul, puis une autre série de décisions en groupe, et enfin une dernière série de décisions seul.
Quelles décisions? C'est très simple. Le but de chaque participant est d'empocher le plus d'argent possible, le maximum étant de 20 dollars. Comment? En participant à une loterie. Mais pas n'importe quelle loterie. En fait, chaque participant doit déterminer lui-même, à l'avance, toute une série de loteries possibles, sachant qu'une seule, en réalité, sera retenue par les expérimentateurs et servira à réellement déterminer la somme gagnée.
Pour déterminer une loterie, chaque participant et chaque groupe se voit proposer deux choix : un choix sûr (la somme gagnée est fixée et annoncée, mais minime ; par exemple 5 dollars) et un choix incertain (il y a une probabilité de gagner 20 dollars, mais une probabilité incertaine ; par exemple, le participant est averti qu'il a à peu près 50% de chances de gagner, le pourcentage réel étant fixé à la toute fin par les expérimentateurs, avec un écart de plus ou moins 10 points de pourcentage, si bien qu'il aura en réalité entre 40 et 60% d'empocher les 20 dollars).
Le tirage final – quand cela était nécessaire, c'est-à-dire quand le choix retenu par les expérimentateurs correspondait à une loterie prédéterminée par le participant, et non à un choix sûr de celui-ci – était effectué dans une urne contenant 100 jetons de couleurs. Rouge = gain ; Noir = perte. La proportion des jetons rouges et noirs dépendait des possibilités choisies (dans le cas décrit ci-dessus, l'urne pouvait avoir finalement 43 jetons rouges et 57 noirs).
Résultats? On ne peut plus intéressants, à mon sens :
> Un piètre choix individuel. Seul, le participant fait le meilleur choix (sur le plan statistique) 1 fois sur 4. Et 1 fois sur 2, il opte pour le choix sûr, pour la prudence, même si ce n'est objectivement pas le meilleur choix pour lui.
> Avantage au groupe. La décision faite par le groupe est la bonne 1 fois sur 2. Et quand ce n'est pas le cas, le groupe a une nette préférence pour l'option prudente plutôt que pour celle qui est risquée.
> L'influence indéniable du groupe. Les individus sont portés à faire de meilleurs choix après avoir pris une série de décisions en groupe. Tout individu tire donc de fructueux enseignements de son passage dans un groupe.
Comment expliquer qu'un groupe soit ainsi plus efficace qu'un individu? Et surtout que le passage, même bref, au sein d'un groupe laisse de telles traces sur un individu? Les trois chercheurs ont regardé dans leurs données si des indices pouvaient permettre de répondre à cela. Et ils ont découvert que :
> L'interaction au sein d'un groupe est plus qu'une simple agrégation d'opinions. C'est-à-dire que les membres d'un groupe ne se contentent pas d'émettre leur avis et de faire un choix en fonction du nombre de ceux qui disent blanc et de ceux qui disent noir. Il y a débat et réflexion commune, ce qui a visiblement pour effet de faire plus souvent le bon choix.
> L'individu qui est passé par un groupe emporte avec lui une manière d'aborder le problème qu'il n'avait pas spontanément tout seul dans son coin. Et cette manière de penser, de réfléchir, lui permet de se trouver un peu moins souvent. Quelle manière? Il s'agit d'une plus grande méfiance envers les choix prudents ainsi qu'envers les choix risqués.
En conclusion, MM. Diecidue, Keck et Budescu considèrent que l'idéal, au travail, quand il s'agit de prendre une décision importante entourée d'une grande incertitude et de la confier à un groupe, et non à un individu isolé. Bref, mieux vaut qu'un comité de direction prenne la décision plutôt que le PDG lui-même.
En passant, l'écrivain français Jean Giono a dit dans Noé : «Imaginer, c'est choisir»…
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