BLOGUE. Vous comme moi, nous avons un ennemi farouche contre lequel nous luttons à mort. Oui, un ennemi si redoutable que notre lutte est perdue d’avance. Ce qui – curieusement – ne nous fait pas baisser les bras, bien au contraire. Quel ennemi? Le temps.
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Nous avons toujours mille choses à faire, et peinons en à faire deux ou trois correctement par jour. Nous carburons à jets d’adrénaline tout au long de la journée de travail, et nous écroulons de fatigue une fois à la maison. Bref, nous courons après la montre, et ce – soyons honnêtes –, en vain.
La question saute dès lors aux yeux : pourquoi agissons-nous ainsi? Et plus précisément : pourquoi accordons-nous tant d’importance au temps qui passe? Et par suite : y aurait-il moyen d’atténuer la pression du temps, qui nous fait courir en tous sens n’importe comment, ce qui nuit à notre efficacité et à notre santé? À ceux qui se posaient déjà la question, j’ai une excellente réponse : «Oui, un tel moyen existe!»
Je l’ai trouvé dans une étude remarquable, intitulée Time is tight : How higher economic value of time increases feelings of time pressure. Celle-ci est signée par Sanford DeVoe, professeur de management, de la Rotman School of Business (Toronto, Canada), et Jeffrey Pfeffer, professeur de comportement organisationnel, de la Stanford Graduate School of Business (Stanford, Etats-Unis). Elle indique que la pression du temps, dans le fond, ne dépend que de nous…
Ainsi, les deux chercheurs ont noté qu’une grande partie du stress ressenti au travail provenait de la pression du temps. De nombreuses études montrent, en effet, que le fait de devoir accomplir un grand nombre de tâches dans un court laps de temps est pénible à vivre et nuit à la performance individuelle. Mais, elles n’expliquent pas pourquoi nombre d’entre nous ressentons cette fameuse «pression du temps», alors qu’elle ne vient pas toujours de notre boss, mais plutôt de nous-mêmes, de notre volonté de faire les choses vite et bien. Pas vrai?
MM. DeVoe et Pfeffer ont émis l’hypothèse que nous fonctionnons au travail avec l’idée en tête que «le temps, c’est de l’argent». Idée inconsciente qui nous motiverait à aller toujours plus vite pour nous enrichir toujours plus. Et ils ont procédé à cinq expériences distinctes pour voir si cette hypothèse était fondée, ou pas…
Pour commencer, ils se sont plongés dans l’immense base de données du sondage annuel Household Income and Labour Dynamics in Australia (Hilda) et en ont dégagé 35 589 informations pertinentes pour eux, issues de 6 846 personnes sondées. La variable considérée était la réponse à la question : «Évaluez de 1 (jamais) à 5 (presque toujours) la fréquence à laquelle vous vous sentez pressé par le temps au travail». Après quelques caculs économétriques visant à assurer une certaine robustesse aux résultats trouvés, les deux chercheurs ont mis au jour le fait que le salaire évoluait de paire avec l’impression de pression du temps. C’est-à-dire que plus notre salaire grimpe, plus nous nous sentons pressés par le temps.
Puis, ils ont mené plusieurs expériences pour affiner leur trouvaille. Un exemple lumineux : la numéro 2. Il a été demandé à 66 étudiants d’une université canadienne d’effectuer plusieurs tâches sur un ordinateur dans un temps imparti (30 minutes). À souligner que ces tâches étaient rigoureusement les mêmes pour tous, l’une d’elles consistant à devoir remplir une facture à chaque tâche accomplie. Certains participants se devaient de facturer 1,50 dollar chaque tâche menée à bien, les autres, seulement 0,15 dollar. Résultat? Ceux qui ont ressenti la plus grande pression du temps durant ces 30 minutes ont été ceux qui facturaient 1,50 dollar la tâche.
Les expériences 3 et 4, elles, ont montré deux autres choses intéressantes. La première, que plus on se sent riche, plus on ressent la pression du temps. Et la seconde, que plus on se sent riche, plus on fait preuve d’impatience.
Quant à la dernière expérience, elle a permis d’apprendre que plus on a une idée précise de la somme exacte d’argent que l’on gagne pour chaque heure de travail, plus on se sent pressé par le temps.
«En conclusion, on peut dire que le sentiment d’être pressé par le temps au travail découle en grande partie de la valeur que l’on accorde au temps. D’autres facteurs interviennent, bien entendu, comme les conditions de travail et le temps consacré au travail dans une journée, mais la corrélation entre la perception que l’on a de son salaire et la pression du temps que l’on ressent au travail est indéniable», disent MM. DeVoe et Pfeffer dans leur étude.
Voilà le fin mot de l’histoire : la perception que nous avons de notre salaire. Plus nous avons conscience que nous travaillons pour de l’argent, plus nous nous activons à la tâche, et plus nous avons l’impression de ne jamais avoir assez de temps devant nous pour tout accomplir. Nous sommes là confrontés à un cercle vicieux. Et comme tout cercle vicieux, il nous appartient d’y mettre un terme, voire de l’inverser. Nous pourrions, vous comme moi, procéder en ce sens par étapes :
1. Lever le pied. C’est-à-dire nous forcer à ralentir notre rythme de travail, en décidant d’en faire moins, mais mieux. L’intérêt est que la spirale dans laquelle nous nous laissons aspirer se mettra alors d’elle-même à devenir moins puissante.
2. Prendre le temps de réfléchir. À savoir profiter de l’accalmie ainsi créée pour chercher ce qui fait que nous avons du plaisir à travailler. Et aussi, ce qui fait que nous nous injectons des doses d’adrénaline à certains moments précis de la journée, et pas à d’autres.
3. Passer à l’action. En commençant par corriger le tir pour une tâche donnée, qui nous donne à chaque fois qu’on s’y attaque des sueurs froides ou des bouffées d,angoisse, par peur de l’échec, ou du moins de la contre-performance». Corriger le tir? Cela peut prendre différentes formes, comme de parler à son manager de la pénibilité que l’on éprouve pour telle ou telle tâche et de votre souhait de ne plus avoir à l’accomplir (d’autant plus qu’il y a peut-être un collègue qui, lui, l'accomplira volontiers et y excellera…).
4. Vérifier la justesse de la correction du tir. Le changement apporté à votre façon de travailler a-t-il apporté les fruits escomptés? Si oui, tant mieux, vous êtes sur la bonne voie, poursuivez. Si non, reprenez l’opération à partir de l’étape numéro 2.
Qu’en pensez-vous? Cela vous paraît-il une bonne façon de procéder pour atténuer la pression du temps? Le fait de penser davantage à ce qui vous fait plaisir au travail qu’à ce qu’il vous apporte sur le plan financier vous semble-t-il pertinent, et surtout suffisant? N’hésitez pas à me faire part de votre avis…
En passant, Marcel Proust a dit dans À la recherche du temps perdu : «Le temps dont nous disposons chaque jour est élastique : les passions que nous ressentons le dilatent, celles que nous inspirons le rétrécissent, et l’habitude le remplit»…
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