L'équipe dans laquelle vous évoluez ne donne pas son 110%. Vous en avez conscience, mais vous ne savez pas vraiment ce qui cloche, ce qui fait au juste que chacun ne se voue pas corps et âme à la réussite de toute l'équipe. Et ce, alors même qu'il est dans l'intérêt de chacun de voler tous ensemble de succès en succès. Pas vrai?
Et si l'épine qui freine votre équipe était l'égoïsme… Vous savez, ce gonflement démesuré de l'ego qui amène certains – soyons honnêtes, parfois nous-mêmes – à marcher sur les pieds d'autrui dans l'objectif délibéré de s'imposer. Une attitude assez fréquente merci au travail : quand une prime est en jeu, quand une promotion est dans l'air, quand un gros contrat se profile à l'horizon, etc.
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Les égoïstes ont toujours mille fausses excuses qui leur viennent en tête, du genre «Si ce n'est pas moi qui le fais le premier, ce sera un autre» ou «Si je ne passe pas à l'action tout de suite, ce sera un autre qui me marchera sur les pieds». De fausses excuses qui visent à masquer la triste vérité de leurs agissements innommables, à savoir qu'à penser à eux avant tout ils nuisent directement à la performance de l'équipe dans laquelle ils évoluent.
C'est clair, les égoïstes sont de véritables parasites pour les équipes. Ils profitent des efforts communs pour en tirer un bénéfice supérieur à celui des autres. Et peu leur chaud que la performance globale soit bonne ou pas, ce qui compte à leurs yeux est leur seul bénéfice.
La question saute à l'esprit : comment annihiler l'influence négative du ou des égoïstes qui sévissent au sein de votre équipe? La bonne nouvelle du jour, c'est qu'une réponse à cette interrogation se trouve dans une étude intitulée Do beliefs justify actions or do actions justify beliefs? An experiment on stated beliefs, revealed beliefs, and social-image manipulation. Celle-ci est signée par James Andreoni, professeur d'économie à l'Université de Californie à San Diego (États-Unis), assisté de son étudiante Alison Sanchez. Une réponse fascinante, comme vous allez le voir…
Ainsi, les deux chercheurs ont demandé à 82 volontaires de bien vouloir se prêter à une petite expérience. Il s'agissait de jouer à un jeu à deux. Le joueur 1 dispose de 10 dollars et doit décider du montant qu'il donne au joueur 2 : soit les 10 dollars (il ne lui reste alors rien); soit 2 dollars (il garde alors 8 dollars pour lui). Et ce, sachant que le montant attribué au joueur 2 sera triplé. Puis, le joueur 2 doit décider du montant qu'il doit donner en retour au joueur 1 : soit la moitié de la somme dont il dispose (il garde alors l'autre moitié pour lui); soit le sixième de la somme dont il dispose (il conserve alors les 5/6e de la somme).
La subtilité de l'expérience résidait dans le fait que chacun des deux joueurs devait indiquer par écrit ce qu'il ferait dans tous les cas de figure. Avant même de jouer. Du coup, chaque joueur devait dire à l'avance s'il se montrerait toujours égoïste, toujours généreux, ou parfois l'un et l'autre (ex.: «Si le joueur 1 se montre cheap au départ en ne me donnant que 2 dollars, eh bien je ferais comme lui, et je ne lui donnerais que le sixième de mon argent»). À noter que toutes ces indications restaient secrètes : en aucun cas, l'autre joueur ne disposait de cette information avant de jouer.
Enfin, l'expérience présentait une dernière subtilité. Avant de jouer, chacun devait faire un dernier choix, concernant le mode de paiement de la somme qu'il empocherait. Il était possible de retenir l'option 1 : le joueur gagnait la somme exacte de celle qu'il aurait à la fin de la partie. Ou l'option 2, un poil plus complexe : le joueur gagnait la somme résultant d'un calcul de probabilités (pour faire simple, chacun devait indiquer la probabilité que tel ou tel scénario se produise vraiment, et plus ses prédictions allaient collé à la réalité, plus sa somme finale était appréciée; par exemple, quelqu'un qui avait prédit que l'autre se montrerait égoïste, et lui généreux, et si tel avait bel et bien été le cas, alors il touchait un bonus qui pouvait faire, au final, une nette différence).
À quoi bon toutes ces subtilités, me direz-vous? C'est fort simple : elles ont permis aux deux chercheurs d'une part d'identifier les égoïstes, d'autre part de connaître le fond de leurs pensées. Oui, elles leur ont permis de mettre au jour le mode opératoire secret des égoïstes lorsqu'ils sont à l'œuvre.
Résultats? Les voici :
> Les égoïstes ont une vision distordue d'autrui. Les égoïstes ont tendance à penser que les autres sont, eux aussi, des égoïstes en puissance. Ils croient qu'à la première occasion les autres leur marcheront sur les pieds, et donc, que le mieux est d'être le plus prompt à faire preuve d'égoïsme. Et ils se disent que, s'ils se trompent sur la personnalité de l'autre (s'ils ont affaire à un généreux qu'ils croyaient a priori être un égoïste), ce n'est pas si grave que ça, puisqu'ils auront dès lors "la chance de plumer un pigeon". Bref, en raisonnant ainsi, ils se pensent toujours gagnant.
> Les égoïstes sont des manipulateurs d'information. Pour arriver à leurs fins, les égoïstes recourent à la "manipulation d'information". Qu'est-ce que la manipulation d'information? C'est plus malin que le simple mensonge. C'est l'art de faire croire quelque chose à autrui, histoire d'influencer son comportement sans qu'il s'en rende compte. Exemple : un égoïste sait avoir le comportement de quelqu'un d'a priori généreux afin de tromper ce qu'il croit être un rival. Autre exemple : un égoïste sait raconter l'histoire qui endormira les soupçons du généreux qu'il entend plumer.
> Les égoïstes se préoccupent grandement de leur image. Qu'est-ce qu'un égoïste déteste par-dessus tout? Avoir l'image d'un égoïste aux yeux d'autrui. C'est d'ailleurs une telle hantise pour lui qu'il est prêt – c'est là un point fondamental – à changer son comportement pour modifier la perception que les autres ont de lui. Oui, vous avez bien lu, un égoïste est disposé à se montrer généreux si, et seulement si, cela lui permet de faire croire aux autres qu'il n'est pas viscéralement quelqu'un d'égoïste.
Que retenir de tout cela? Ceci, à mon avis :
> Qui entend annihiler l'égoïsme au sein de son équipe se doit d'user de l'épée de Damoclès. Comme un égoïste abhorre passer pour un égoïste, il convient de miser sur ce point faible pour le faire changer de comportement. L'idée est qu'au premier agissement égoïste décelé au sein de votre équipe, il vous suffit de faire passer à tous le message que l'égoïsme est une nuisance pour l'ensemble de l'équipe, et en particulier pour l'égoïste lui-même. Attention, ce message ne doit surtout pas viser quelqu'un en particulier, encore moins désigner l'individu fautif. Car cela est inutile : à la minute même où l'égoïste sentira qu'il est entré dans une zone dangereuse, où il risque de voir les projecteurs se braquer d'un coup sur lui, il changera de comportement et fera tout son possible pour se montrer plus généreux que tout le monde. De fait, sa priorité absolue est son apparence, si bien qu'à la première menace de voir son image détériorée aux yeux des autres, il s'attachera à se montrer on ne peut plus agréable. D'où l'intérêt d'installer une symbolique épée de Damoclès au-dessus de sa tête.
En passant, l'écrivain français Jules Renard a dit dans son Journal : «Il n'y a qu'une façon d'être un peu moins égoïste que les autres : c'est d'avouer son égoïsme».
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