BLOGUE. Avez-vous déjà eu votre quart d'heure de gloire, comme l'avait prédit Andy Warhol? Vous savez, cette poignée de minutes où tout a basculé, où les projecteurs se sont braqués d'un coup sur vous, sans prévenir, et où tout le monde s'est intéressé à vous comme jamais.
Découvrez mes précédents billets
Suivez-moi sur Facebook et sur Twitter
Alors? Oui? Non? Pas vraiment? Vous ne savez pas trop? Ne vous inquiétez pas, c'est tout à fait normal. Pourquoi? Parce qu'Andy Warhol s'est trompé : ce fameux quart d'heure de gloire n'existe pas. En vérité, quand on est vraiment célèbre, on l'est pour des années et des années, pour ne pas dire pour des décennies et des décennies.
Je suis catégorique, parce que je m'appuie sur deux études solides qui contredisent totalement l'affirmation du chantre du pop art. La première est intitulée Only fifteen minutes? The social stratification of fame in printed media. Elle est signée par deux professeurs de sociologie – Eran Shor, de l'Université McGill (Canada), et Arnout van de Rijt, de l'Université Stony-Brook (États-Unis) – et par deux professeurs de science numérique – Charles Ward et Steven Skiena, tous deux de l'Université Stony-Brook.
Les quatre chercheurs ont analysé tous les noms de personnes mentionnés dans plus de 2 000 journaux de langue anglaise publiés aux États-Unis, au Canada et au Royaume-Uni au cours de plusieurs décennies. Et ils ont découvert que, contrairement à la croyance populaire qui veut que la gloire est éphémère, les gens qui deviennent célèbres le demeurent pendant des dizaines d'années. Et ce, peu importe leur domaine d'activité, qu'il s'agisse de sport, de politique ou des affaires.
Ainsi, 96% des noms mentionnés plus de 100 fois dans les journaux au cours d'une même année faisaient déjà les manchettes au moins trois années plus tôt. Cela signifie que lorsque les médias ont parlé de quelqu'un pendant un moment, ils continuent de parler de lui dans les années qui suivent. Du coup, le nom de cette personne finit par se graver dans les esprits.
«Nous avons tous en tête des exemples de célébrités qui n'ont fait que passer dans le paysage médiatique et d'autres dont la renommée semble éternelle. Leonard Cohen est bien connu aujourd'hui, plus de quarante années après avoir accédé au rang de vedette. Toutefois, Chesley Sullenberger, le pilote qui a connu une notoriété instantanée après avoir réussi à poser son avion en détresse sur le fleuve Hudson, tombera probablement dans l'oubli assez vite. Ce que nos travaux montrent, c'est que Leonard Cohen est la règle, et Chesley Sullenberger, l'exception», dit M. Van de Rijt.
Il ressort de cette étude une règle particulière :
> Le mode de croissance, de persistance et de déclin très progressif de la popularité des célébrités suit celui de leur carrière au fil des décennies.
Autrement dit, on est en général célèbre d'un seul coup (les premières semaines où les médias découvrent le coup de génie de la célébrité en devenir) et cela ne retombe quasiment jamais d'un coup, cela ne fait que diminuer petit-à-petit durant des décennies.
Un exemple frappant… Dans un échantillon aléatoire de 100 000 noms mentionnés dans la section des arts & spectacles de journaux publiés entre 2004 et 2009, les 10 plus populaires étaient : Jamie Foxx, Bill Murray, Natalie Portman, Tommy Lee Jones, Naomi Watts, Howard Hugues, Phil Spector, John Malkovich, Adrien Brody et Steve Buscemi. Toutes ces vedettes ont tenu le haut du pavé pendant au moins une décennie, et leur popularité ne se dément pas encore aujourd'hui.
Les résultats de cette étude corroborent de bout en bout la trouvaille faite, il y a de cela quelques années, deux autres chercheurs : Jean-Baptise Michel et Erez Lieberman Aiden, tous deux œuvrant à la fois pour Harvard et pour Google. J'ai eu la chance de les rencontrer le mois dernier, lors de la Journée OFF d'Infopresse, où ils ont présenté l'un des derniers gadgets de Google, le Ngram Viewer.
Le Ngram Viewer? Il s'agit d'une application linguistique qui permet d'observer l'évolution de la fréquence d'un mot à travers le temps. De tous les mots qui existent et qui ont existé. À l'échelle des siècles.
Comment une telle prouesse est-elle possible? Les deux mathématiciens et biologistes ont eu l'idée, un jour, de regarder si la langue, comme les êtres vivants, évoluait selon des lois fondamentales, pour ne pas dire mathématiques. Ils se sont pour cela amusés à analyser l'évolution des verbes irréguliers anglais, qui étaient auparavant beaucoup plus nombreux qu'aujourd'hui, comme ils l'ont remarqué en se plongeant dans des manuscrits enluminés du Moyen-Âge. Un travail de moine – on peut le dire – qui leur a permis de mettre au jour l'une de ces lois :
> Si un verbe irrégulier est 100 fois moins fréquent qu'un autre, il se régularise 10 fois plus vite que lui.
L'air de rien, cette découverte leur a indiqué qu'ils avaient trouvé là un filon, sans trop savoir lequel au juste. (C'est le lot des chercheurs.) Ce qui leur a donné le courage de contacter Google, qui a entrepris de numériser tous les livres du monde. L'idée : chercher d'autres lois en fouillant par ordinateur dans tous les textes numérisés. Une idée géante comme les aime Google.
Résultat? Ngram Viewer, qui permet maintenant à tout un chacun de faire des recherches de popularité de mots dans les données phénoménales de Google. De mots, ou de noms, notamment ceux des célébrités.
Le constat est limpide, vous pouvez vous-même en faire l'expérience : quand une vedette devient célèbre, elle le reste pour toujours. On peut même s'amuser à comparer la popularité des uns et des autres. Tenez, à votre avis, qui est le plus célèbre de Freud et d'Einstein? Je vous laisse découvrir par vous-même la réponse…
En passant, l'écrivain russe Boris Pasternak aimait à dire : «La célébrité n'est pas belle, ce n'est pas ce qui nous grandit».
Découvrez mes précédents billets