J'ai eu le privilège d'assister à une conférence de Jon Husband, un homme exceptionnel à plus d'un titre : il a eu mille métiers (gardien de prison, conducteur de camion, banquier, analyste financier, consultant en management, etc.), ce qui est remarquable; et surtout, il a passé ces derniers temps à réfléchir à l'avenir du monde du travail, pour en arriver à avoir une vision fascinante de ce qui nous attend tous demain, ce qui est admirable. Une vision qu'il a explicitée en clôture de l'événement Bootcamp Stratégies de formation organisé la semaine dernière à Montréal par Ellicom.
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Il y a une quinzaine d'années, Jon Husband a eu un flash. Il manipulait un numéro du magazine Wired et s'est dit que la société dans laquelle nous évoluons allait être de plus en plus caractérisée par la notion de connexions. Et ce, en partie grâce aux avancées technologiques (Internet, etc.). «Il était évident que la multiplication des connexions allait modifier le flux d'informations, et donc avoir un impact sur les processus de prise de décision et sur la façon dont nous organisons nos activités, comme le travail», a-t-il indiqué.
Ainsi, il en est venu à se dire que des formes inédites d'organisation des activités en groupe allaient inévitablement apparaître. Des formes que l'on pourrait regrouper sous un même vocable, celui de wirearchy (wired + archy), que je me permets de traduire en français par connexarchie.
Qu'est-ce que la connexarchie? «C'est un flux dynamique bidirectionnel d'autorité et de pouvoir. Un flux basé sur le savoir, la confiance, la crédibilité et l'atteinte d'objectifs. Un flux activé grâce à l'interconnexion des individus et des technologies», a-t-il dit.
Quelques explications s'imposent… «De nos jours, le flux d'informations est devenu tel qu'on peut le considérer comme un flot de grains de sable électroniques, qui érodent les piliers traditionnels de la hiérarchie. Le fameux modèle de leadership du commande-et-contrôle, qui est encore en vigueur ici et là, a de moins en moins de pertinence, car il freine, voire bloque, ce flux. Il va nécessairement devoir céder la place à autre chose, de mieux adapté au monde interconnecté qui est le nôtre», a-t-il illustré.
Autrement dit, les rapports d'autorité et de pouvoir sont appelés à évoluer, en particulier dans le monde du travail. C'est-à-dire que l'autorité et le pouvoir vont être de moins en moins concentrés entre certaines mains, pour être de mieux en mieux répartis entre tous. Et ce, au sein d'une entreprise comme au sein d'une simple équipe de travail. Pour le réaliser, il suffit de se rappeler de la formule «L'information, c'est le pouvoir» : à partir du moment où l'information n'est plus l'apanage d'un seul, il est clair que chacun gagne en puissance, et par conséquent en autorité et en pouvoir.
Voilà donc pourquoi Jon Husband présente la connexarchie comme «un flux bidirectionnel d'autorité et de pouvoir». Chacun, connecté à plus d'individus que jamais, est tantôt émetteur, tantôt récepteur d'informations. Ce faisant, il exerce une forme d'autorité et de pouvoir qui n'est jamais à sens unique : parfois, c'est lui qui crée un flux d'informations; parfois, c'est lui qui le reçoit; et toujours, c'est lui qui choisit vers qui diriger ces flux d'informations. Si bien que l'influence d'une personne ne réside plus aujourd'hui dans son titre hiérarchique, mais bel et bien dans la puissance du flux d'informations qui passe par lui.
«C'est bien simple, nous sommes en train de passer du commande-et-contrôle au coordonne-et-relaye», a-t-il résumé. Ce qui change, de toute évidence, la donne. Les implications concrètes sont multiples, comme M. Husband l'explicite sur son site Web personnel :
> Implications pour le leader. «Il doit prendre conscience de l'évolution des flux d'informations et des changements que cela entraîne. Il doit saisir les nouvelles façons qu'ont les individus pour se connecter entre eux et échanger de l'information. Il doit s'y adapter, en écoutant davantage les autres, en montrant mieux aux autres qu'il est quelqu'un qui assume ses responsabilités, en montrant mieux aux autres qu'il est fiable, et en faisant davantage preuve de transparence.»
> Implications pour le manager. «Il doit, lui aussi, prendre conscience du fait qu'on va vers davantage e collaboration, et que cela va peser énormément sur la nature-même du travail. Il doit apprendre à se comporter comme un coach, ce qui passe par une meilleure écoute qu'auparavant.»
> Implications pour l'employé. «Il doit, lui aussi, prendre conscience du fait que la nature de son travail et les structures hiérarchiques traditionnelles sont en train de se métamorphoser. Il doit gagner en autonomie et se rendre davantage utile aux autres. Il doit apprendre à se débrouiller seul dans un environnement de travail en perpétuelle mutation.»
La connexarchie nécessite de :
> S'intégrer au "flux de la vie", soit accepter l'évolution, et non lui résister;
> S'orienter adéquatement dans le "flux de la vie" et se projeter dans le futur, afin d'anticiper les difficultés les opportunités à venir;
> Transformer les éléments de notre vision du futur en objectifs concrets;
> Apprendre en cheminant, afin de s'assurer d'atteindre les objectifs visés;
> Réagir en cheminant, afin de saisir les occasions qui se présentent au fur et à mesure;
> Vérifier en cheminant que nous sommes bel et bien sur la bonne voie, et en mesure d'atteindre les objectifs visés.
Concrètement, cela peut se traduire comme suit :
> Lâcher-prise. Chacun doit faire preuve de plus de flexibilité qu'auparavant, histoire d'être en mesure de s'adapter au mieux aux changements perpétuels dus à la connexarchie. Pour les leaders et les managers, cela signifie, entre autres, s'en remettre davantage aux autres, en matière de prise de décision.
> Intelligence émotionnelle. Les individus vont de moins en moins accepter les directives autoritaires du leader, fondées sur la position hiérarchique de celui-ci. C'est pourquoi il faudra à l'avenir, pour être écouté des autres, briller par son intelligence émotionnelle, soit la faculté que nous avons d'user des émotions et des sentiments pour communiquer en profondeur avec autrui.
> Adulte. Auparavant, le rapport de travail était celui du maître et de l'esclave. De nos jours, il a pris la forme d'un rapport adulte-enfant. Et demain, grâce à la connexarchie, il deviendra plutôt un rapport d'adulte à adulte. «C'est là le cœur de la connexarchie. Car plus personne ne souhaitera demeurer dépendant d'autrui comme peut l'être un enfant envers ses parents nourriciers. Chacun grandira et assumera davantage de responsabilités, au point de devenir lui-même un véritable adulte, avec les avantages (efficacité, etc.) et les inconvénients (stress, etc.) que cela comporte», a-t-il dit.
> Dialogue. Qui dit connexions dit flux d'informations. Et donc, dialogue. Un dialogue sur un pied de relative égalité. Un dialogue où chacun laisse le temps à l'autre de s'exprimer. Un dialogue où chacun est vraiment à l'écoute des autres. Un dialogue où chacun apprend des autres.
> Histoire. Chacun est appelé à contribuer à l'histoire qu'est en train de raconter le groupe dans lequel il évolue. Ce n'est plus l'un qui raconte une histoire et les autres qui en respectent les grandes lignes, mais l'ensemble des personnes interconnectées qui racontent ensemble une histoire commune.
> Esprit d'équipe. Les équipes vont être plus que jamais nécessaires pour pouvoir bien manœuvrer au sein du "flux de la vie". Mais elles vont prendre de nouvelles formes, puisqu'elles vont être bâties plus sur la complémentarité des flux d'informations traversant les uns et les autres que sur la complémentarité de leurs savoirs et talents.
Voilà. Demain est déjà là. Et il prend la forme de la connexarchie, si l'on en croit Jon Husband. Qu'en pensez-vous? Croyez-vous que ce changement est inéluctable? Qu'il va se produire de manière foudroyante dans les prochaines années? Que cela va encore nécessiter des décennies avant de le voir prédominer?
En passant, le philosophe français Gaston Berger a dit dans Phénoménologie du temps et prospective : «Demain est moins à découvrir qu'à inventer».
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