Au bureau, il nous faut sans cesse prendre des décisions. Des petites. Des grandes. Et parfois des cruciales. Le hic? C'est que nous ne savons jamais quelle est la meilleure méthode pour s'y prendre : vaut-il mieux décider seul, ou à plusieurs? Difficle à dire. Du coup, nous y allons selon notre humeur du jour, sans trop savoir si cela va nous mener droit dans le mur, ou au contraire à des sommets inégalés. Pas vrai?
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La bonne nouvelle du jour, c'est que j'ai mis la main sur une étude qui permet d'y voir plus clair à ce sujet. Mieux, qui permet de savoir sans se tromper s'il vaut mieux, dans le cas précis qui vous préoccupe, prendre votre décision seul, ou à plusieurs. Si, si...
Cette étude est intitulée Are groups better planners than individuals? An experimental analysis. Elle est signée par : Enrica Carbone, professeure d'économie à l'Université de Naples II (Italie); et Gerardo Infante, doctorant en économie à l'Université d'East Anglia à Norwich (Grande-Bretagne). Et elle montre qu'il est loin d'être sorcier de recourir à la meilleure méthode de prise de décision.
Ainsi, les deux chercheurs italiens ont demandé à des volontaires de bien vouloir à se prêter à un petit jeu. Chaque participant se voyait remis un certain nombre de jetons et devait choisir :
> de la quantité qu'ils conservaient, sachant que le montant serait augmenté à chaque tour de jeu d'un taux d'intérêt de 2%;
> de la quantité qu'ils jouaient, sachant qu'il y avait 1 chance sur 2 que celle-ci soit appréciée (suivant un taux variable, déterminé par le tirage au sort) ou qu'elle soit dépréciée (là aussi, suivant un taux variable, déterminé par le tirage au sort).
Chacun savait à l'avance qu'il y aurait au total deux tours de jeu, et qu'à la fin les jetons qu'il aurait empochés seraient convertis en véritables euros. Par conséquent, chacun était poussé à trouver la meilleure stratégie de jeu, afin de mettre toutes les chances de son côté pour gagner une somme rondelette.
À noter que tous les participants n'avaient pas été placés dans les mêmes conditions :
> Individuel. Certains jouaient tout seuls. Ils devaient prendre leurs décisions sans l'aide de qui que ce soit.
> Binôme fixe. D'autres jouaient en binômes fixes. Ils devaient prendre leurs décisions à deux, toujours avec le même partenaire durant les deux tours de jeu.
> Binôme mobile. Les autres jouaient en binômes mobiles. Lors du premier tour de jeu, ils devaient faire leurs choix à deux, et lors du second tour de jeu, ils devaient prendre leurs décisions avec un autre partenaire désigné par les expérimentateurs.
Résultats? Attendez-vous à quelques surprises :
> Avantage aux binômes. Lors du premier tour de jeu, les binômes prennent en général de meilleures décisions que les individus. C'est-à-dire que leur choix tend à s'approcher de plus près de la stratégie optimale que celui effectué par ceux qui sont tout seuls pour trancher.
> Avantage aux individus. Si l'on regarde les deux tours de jeu, on note que les individus s'améliorent de l'un à l'autre. C'est-à-dire qu'ils prennent de meilleures décisions au fil du temps, apprenant de leurs 'erreurs'. En revanche, ce n'est absolument pas le cas des binômes. En effet, les binômes fixes n'enregistrent aucun progrès significatif d'un tour de jeu à l'autre; pis, les binômes mobiles, eux, enregistrent en général une performance un poil moins bonne que celle des autres. Bref, au final, individus et binômes fixes font aussi bien l'un que l'autre, ou peu s'en faut, et en tous cas mieux que les binômes mobiles.
Surprenant, n'est-ce pas? On a l'habitude de dire que 'Deux têtes valent mieux qu'une', mais il semble que ce ne soit pas toujours si vrai que ça. Il y a certains cas de figure où cela ne se vérifie pas.
Comment expliquer ce phénomène? Plus précisément, comment se fait-il que les groupes n'apprennent pas tant que ça de leurs expériences? «Une analyse en détail des discussions qui ont eu lieu au sein des binômes montre que leurs membres ont passé beaucoup de temps à s'entendre, au lieu de juste parler stratégie. Si bien que les réflexions qui auraient pu enrichir la stratégie lors du second tour de jeu n'ont tout simplement pas eu lieu, ou à peine. Même si nous ne savons rien quant aux pensées qu'ont eues ceux qui jouaient en individuel, on peut néanmoins imaginer que peu de ces participants-là ont perdu leur temps en tergiversations, et ont plutôt réfléchi à la meilleure stratégie à suivre», indiquent les deux chercheurs italiens dans leur étude.
Autrement dit, les binômes ont un avantage immédiat, mais perdent celui-ci dès lors que les décisions se multiplient. Parce que les individus apprennent nettement mieux qu'eux de leurs expériences passées, pour ne pas dire de leurs erreurs.
Que retenir de tout ça? Ceci, à mon avis :
> Qui entend prendre une décision cruciale se doit de trancher en équipe, pourvu que celle-ci soit stable. Pourquoi? Parce que les décisions prises à plusieurs sont meilleures que celles prises individuellement lorsque la décision en question a une conséquence immédiate. Parce que les décisions prises à plusieurs sont tout aussi bonnes que celles prises individuellement lorsque la décision en question a des conséquences dans la durée. Mais à une condition, à savoir que les membres de l'équipe se connaissent bien ; sans quoi, on risque de perdre beaucoup de temps en tergiversations oiseuses. À noter que cette méthode a un revers : décider à plusieurs ne favorise autant l'apprentissage à partir des erreurs commises que lorsque cela est fait par un individu seul face à ses responsabilités. En conséquence, il est important que l'équipe prenne le temps de tenir des réunions post-mortem, histoire de se donner la possibilité d'apprendre chemin faisant.
En passant, l'écrivain malien Massa Makan Diabaté a dit dans Une hyène à jeûn : «Être grand, c'est revenir sur ses erreurs».
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