C’est bien connu, si l’on veut redoubler de créativité, il faut s’accorder des périodes de temps où l’on ne fait rien d’autre que brasser des idées, voire rêver. Des périodes de temps où l’on n’accomplit aucune autre tâche professionnelle, où l’on décroche vraiment de son quotidien au travail.
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Parfait. Mais j’ai une question, à présent : ce qui est bon pour la créativité peut-il l’être également pour d’autres choses ? Prenons un exemple. Se pourrait-il qu’il soit bon de s’accorder des périodes de temps libres, sur les heures habituelles de travail, pour gagner, disons, en productivité ? Cette question est bizarroïde, n’est-ce pas ? Mais pas tant que ça, comme vous allez le voir…
J’ai en effet mis la main sur une étude renversante, intitulée Slack time and innovation. Celle-ci est signée par : Ajay Agrawal, professeur d’entrepreneurship à l’École de management Rotman à Toronto (Canada); Christian Catalini, professeur d’entrepreneurship à l’École de management Sloan du MIT (Etats-Unis); et Avi Goldfarb, professeur de marketing à l’École de management Rotman à Toronto (Canada). Et elle montre qu’il y a bel et bien un lien insoupçonné entre temps libres et productivité.
Les trois chercheurs ont vu leur curiosité piquée par une anecdote : saviez-vous que Microsoft et Facebook sont officiellement nées en janvier, et que ce n’est pas un hasard ? La raison est que, durant ce mois-là, les étudiants de Harvard n’ont plus de cours : il leur faut consacrer tout leur temps à la lecture obligatoire d’ouvrages sélectionnés par l’école, histoire de bien préparer les examens à venir. Il s’agit, en quelques sortes, d’une période de ‘temps libre’, en ce sens que les étudiants sortent nécessairement de leur routine (grosso modo suivre des cours et faire des devoirs) pour apprendre autrement, à leur rythme. Or, Bill Gates et Mark Zuckerberg étaient justement étudiants à Harvard et ont tous deux profité de leur ‘temps libre’ de janvier pour faire enregistrer leurs entreprises respectives.
Ils se sont alors demandé si le fait d’avoir une période de ‘temps libre’ ne pouvait pas favoriser la concrétisation des projets qui n’en étaient resté qu’à l’état d’idées. Et mieux, si ces périodes de temps là n’étaient pas vitales pour assister à de telles réalisations. Belles interrogations, vous ne trouvez pas ?
Pour s’en faire une idée, ils se sont plongé dans une base de données formidable à ce sujet, à savoir celle de Kickstarter. Kickstarter ? C’est une entreprise américaine de financement participatif (crowdfunding, en anglais), qui permet à tout un chacun de soutenir financièrement le projet d’autrui, quel qu’il soit (lancement d’une entreprise, création d’une application, tournage d’un documentaire, etc.). En l’occurrence, les trois chercheurs ont pu analyser plus de 97 000 projets américains ayant obtenu du financement entre 2009 et 2014. Soit 60% de l’ensemble des projets soumis et 94% de l’ensemble des fonds recueillis.
Qu’est-ce que ce travail de moine leur a permis de mettre au jour ? Ceci :
> Des congés pratiques et utiles. Chaque fois que les étudiants américains entrent dans une période de congé prolongée (c’est-à-dire supérieur à une fin de semaine), on assiste à un pic des soumissions de projet à Kickstarter. À noter que ces soumissions se font, la plupart du temps, au tout début de la période de congé considérée, ce qui signifie que cette période-là n’est pas utilisée pour réfléchir au projet en question, mais pour le concrétiser.
> Une meilleure planification. Plus la difficulté pour soumettre un projet sur Kickstarter est élevée, plus le pic de soumissions est élevé en période de congé. En effet, les trois chercheurs ont noté que la firme américaine avait volontairement complexifié l’enregistrement des projets dans les catégories Design et Technologie, dans l’optique de réduire le nombre des projets qui ne tenaient pas la route, à savoir ceux que les idéateurs laissaient vite tomber même s’ils avaient obtenu le financement souhaité. Or, cela a entraîné comme conséquence principale d’inciter davantage les étudiants à utiliser leurs congés pour mener à bien toutes les opérations nécessaires pour présenter leur projet sur Kickstarter. Autrement dit, cela a fouetté la motivation des plus convaincus en leur projet, au point de les pousser à mieux planifier la concrétisation de celui-ci, en ce sens qu’ils se sont organisé pour consacrer une bonne partie de leurs congés à la réalisation de l’idée qu’ils avaient en tête depuis un bon moment.
«Les résultats de notre étude montrent que les périodes de ‘temps libre’ facilitent l’accomplissement de tâches a priori rebutantes pour un esprit créatif, comme des démarches administratives, mais des tâches incontournables pour pouvoir passer de l’étape du prototype à celle de produit. Mieux, ces périodes-là réduisent les ‘frictions naturelles’ entre les tâches rebutantes et l’innovation», disent les auteurs de l’étude.
Autrement dit, la simple idée de devoir se coltiner avec la réalité pour concrétiser un projet suffit – trop souvent – à le laisser tomber (c’est là la fameuse ‘procrastination de l’idéateur’…), mais il appert que le simple fait de bénéficier d’une période de ‘temps libre’ permet de surmonter ce blocage mental, et de passer à l’action ! Bref, pour passer de l’idée à l’action, rien de mieux que d’avoir une période de ‘temps libre’. D’ailleurs, pour s’en convaincre, il suffit de songer aux prodigieux projets nés du 20% de leur temps de travail que les employés de Google peuvent dédier à un projet personnel : c’est ainsi que sont nés AdWords et Gmail, aujourd’hui deux cartes maîtresses de Google, tout comme d’innombrables start-ups lancées par des ‘Xooglers’ (le nom que se donnent les ex-employés de Google), à l’image de Playground Global d’Andy Rubin, le père d’Android, ou encore de Foursquare de Dennis Crowley.
Que retenir de tout cela ? Ça me paraît assez simple :
➢ Qui entend se montrer plus productif que jamais au bureau se doit… d’arrêter de travailler ! Oui, il lui faut planifier des périodes de ‘temps libre’, où il ne se consacrera pas à ses tâches de travail habituelles, mais à la concrétisation d’un projet en lequel il croit dur comme fer. Plus précisément, il doit profiter de ces périodes-là pour mener à bien les tâches qui le rebutent tant, même s’il sait qu’il est inévitable de les accomplir. Et surtout, se faire une mission d’accomplir les tâches en question au tout début de la période de ‘temps libre’ dont il dispose. Car ce sera ainsi qu’il sera le plus efficace.
Idem, on peut généraliser tout cela en disant que tout manager digne de ce nom se doit de planifier des périodes de ‘temps libre’ – comprendre des plages horaires dédiées non pas aux tâches habituelles, mais à la concrétisation d’un projet – avec chacun des membres de son équipe. Car cela sera pour lui une occasion en or de leur donner la chance non pas de se tourner les pouces, mais au contraire de s’investir dans des tâches qui les font classiquement procrastiner.
En passant, le dramaturge français Molière a dit dans L’Étourdi : «En peu de temps, parfois, on fait bien du chemin».
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