Le bonheur au travail. C'est, semble-t-il, le graal moderne du management. À tel point que nombre d'entreprises rivalisent aujourd'hui d'ingéniosité pour rendre leurs employés les plus heureux possible, et ainsi figurer en tête des meilleurs employeurs de leur pays, voire du monde entier.
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Mais voilà, j'ai une question qui tue : cette surenchère constante au bonheur maximal est-elle une bonne chose pour le bonheur réel des employés? Par exemple, pensez-vous que les membres de votre équipe vont être forcément plus épanouis dans leur travail parce que vous multipliez les opérations de team building, ou encore parce que vous organisez des cours de yoga, tous les midis, dans la grande salle de réunion? Oui, pensez-vous que ce soit aussi simple que ça? Croyez-vous vraiment que la multiplication de petites gâteries permet de bâtir un bonheur profond?
Cette interrogation existentielle m'est venue à la lecture d'une étude intitulée Employee satisfaction, labor market flexibility, and stock returns around the world. Celle-ci est signée par deux professeurs de finance : Alex Edmans, de la London Business School (Grande-Bretagne); et Chendi Zhang, de l'École de commerce Warwick à Coventry (Grande-Bretagne), assisté de son étudiant Lucius Li. Elle montre en effet qu'à trop vouloir le bonheur d'autrui, on peut connaître d'immenses désillusions…
Les trois chercheurs ont eu vent d'études indiquant que plus les employés d'une entreprise étaient heureux, plus la valeur des titres boursiers de celle-ci grimpait. Ils ont voulu le vérifier à leur manière, mais surtout regarder si cela était vrai partout sur la planète, pas seulement en Amérique du Nord (nombre de ces études-là portent, de fait, sur les entreprises cotées à Wall Street).
Pour ce faire, ils ont utilisé la banque de données de l'organisme Great Place to Work, de San Francisco, qui établi chaque année le palmarès des entreprises où il fait bon travailler, dans 45 pays. Ils se sont également servis d'informations issues de deux index : celui de l'Employment Protection Legislation, de l'Organisation de coopération de de développement économiques (OCDE); et celui de l'Economic Freedom of the World, de l'Institut Fraser. Car ces deux index-là permettent d'évaluer le degré de flexibilité du marché du travail de la plupart des pays. Et ce, sachant que :
> La flexibilité du marché du travail peut être élevée. C'est-à-dire que les employeurs sont soumis à peu de contraintes légales en ce qui concerne l'embauche, la rétention et le licenciement des employés. C'est le cas, entre autres, aux États-Unis et au Canada.
> La flexibilité du marché du travail peut être faible. C'est-à-dire que les employeurs sont soumis à de véritables contraintes légales en ce qui concerne l'embauche, la rétention et le licenciement des employés. C'est le cas, entre autres, en Allemagne et en France.
Leur objectif? On ne peut plus simple : regarder si le degré de flexibilité du marché du travail a la moindre incidence sur l'impact des mesures prises par les employeurs pour rendre leurs employés heureux au travail, et par suite sur la performance en Bourse des titres de l'entreprise.
Simple, n'est-ce pas? Et c'est là qu'une sacrée surprise les attendait :
> Le bonheur à tout prix est un leurre. À mesure qu'une entreprise grimpe dans le palmarès des entreprises les plus heureuses de son pays, le titre de celle-ci grimpe en Bourse. Et inversement. C'est-à-dire que plus un employeur s'évertue à rendre ses employés heureux, plus son entreprise est considérée comme de plus en plus performante aux yeux des investisseurs, et plus elle gagne en valeur. Mais attention : cela n'est vrai que dans les pays où le marché du travail est très flexible! Pas dans les autres : un employeur allemand, par exemple, aura beau multiplier les programmes de bien-être destinés aux employés, cela ne fera pas pour autant grimper automatiquement le titre de l'entreprise en Bourse.
Pourquoi ça? Pourquoi de tels programmes sont-ils payants en Amérique du Nord, et pas vraiment en Europe? D'après les trois chercheurs, la raison principale de cette différence est logique : une gâterie a beaucoup d'effet là où le sort des employés est précaire, et nettement moins là où les employés bénéficient d'une relative sécurité d'emploi. C'est bien connu, les cadeaux sont d'autant plus appréciés qu'ils sont rares, ou à tout le moins inattendus.
Que retenir de tout cela? Ceci, à mon avis :
> Rendre ses employés heureux au travail est une nécessité. Car c'est cela qui peut faire devenir son équipe, voire toute son entreprise, vraiment performante.
> Rendre ses employés heureux à tout prix est une erreur. Car à trop gâter on finit par lasser.
Alors? Que faire? C'est tout bête, il suffit de trouver un juste milieu :
> Qui entend rendre ses employés vraiment heureux se doit de les surprendre agréablement. Qu'est-ce à dire? Eh bien, l'idée est ici de ne pas en faire trop, ni trop peu. L'idéal est de faire, au bon moment, le geste qui rendra autrui heureux. Oui, franchement heureux. Pensez, si vous êtes un homme, à votre conjointe : à votre avis, qu'est-ce qui la rendrait vraiment heureuse de vivre avec vous, entre recevoir un diamant chaque année à la même date (comme l'anniversaire de votre mariage), et recevoir, quand elle en a secrètement besoin, un petit geste attentionné de votre part (comme une escapade surprise à la campagne, en amoureux, une longue fin de semaine, alors qu'elle traverse une période difficile au travail)? Hein? À votre avis?
Voilà. C'est maintenant à vous de jouer. Et de trouver les petites attentions qui feront en sorte que vos employés seront aux anges.
En passant, le journaliste français Georges-Armand Masson disait : «Si l'on était toujours heureux, où serait le plaisir?»
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